Harvard prépare la « Nouvelle donne » de la négociation collective
Face à des inégalités sociales qui deviennent inacceptables, la plus prestigieuse des universités américaines lance un ambitieux programme pour baliser ce à quoi pourrait ressembler le nouveau contrat social des travailleurs américains. Le constat est que les travailleurs (salariés ou pas) bénéficient de moins en moins de protection collective, faute de négociations collectives. Une problématique mondiale.
Même le droit élémentaire à être payé pour le travail effectué n’est pas nécessairement une garantie aux États-Unis où le niveau de protection des salariés en santé, maternité ou retraite est bien inférieur à celui appliqué en France. En parallèle, la part des travailleurs non salariés précarisés prend des proportions considérables. Tous ces ingrédients sont propices à des mouvements sociaux d’une toute autre ampleur de ceux que l’on a connu en France avec les « gilets jaunes » par exemple… Autant prévenir les conséquences d’une individualisation qui serait allé trop loin. D’autant que, comme en France, les syndicats américains se retrouvent régulièrement face à des mobilisations collectives spontanées dont ils ne sont pas à l’initiative, comme récemment dans plusieurs États républicains au niveau des agents des services publics de l’éducation.
Face à ce sombre constat, l’Université de Harvard vient de lancer un programme de recherche et d’actions baptisé « Clean Slate », visant à refonder le droit du travail. Ce programme « progressiste » va courir sur 24 mois, avec un budget de 1,5 million de dollars, financé par quatre fondations : Ford, Kellogg, Hewlett et Public Welfare. « Le budget est à la hauteur des enjeux. Ce n’est pas qu’un programme de recherche théorique qui se bornerait à la publication d’un rapport. Nous allons contribuer à des expérimentations locales. Un partenariat est déjà en place avec Jobs With Justice qui fait intervenir de jeunes juristes gratuitement auprès de salariés dont les droits élémentaires ne sont pas respectés », explique Christine Blumauer, coordinatrice de ce programme porté par huit groupes de travail nationaux bénéficiant des apports d’un groupe international avec des représentants français, suédois, italiens, belges, danois, allemands, australiens, sud-africains, canadiens, brésiliens et israéliens. « La problématique du développement du travail non salarié se retrouve dans les différents thèmes de la recherche, de même que l’émergence de nouvelles formes de mobilisations collectives », précise la coordinatrice avant d’ajouter : « Moins il y a de mobilisations collectives, plus les conditions de travail des salariés se dégradent. Or, depuis 1935, le corpus juridique du droit social n’a quasiment pas évolué aux États-Unis. Un corpus source de ségrégation car il exclut toujours les travailleurs agricoles et domestiques ». L’expérience sud-africaine serait en la matière susceptible d’apporter des pistes, avec toutes les adaptations nécessaires en fonction du contexte.
Quelles transpositions ?
« Il n’est pas facile de présenter la hiérarchie des normes et le principe de faveur à des gens qui ne connaissent pas le contexte. On touche assez vite aux limites de l’exercice de comparaison des systèmes juridiques mais cela permet de mesurer les différents niveaux d’intervention de l’état selon les pays », rapporte Nicole Maggi-Germain, maître de conférences en droit social, directrice de l’ISST ( Institut des Sciences Sociales du Travail) rattaché à l’Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne et membre du laboratoire de recherche en droit et changement social. Avec les experts des onze pays représentés dans le groupe d’observation internationale du programme, elle a présenté les grands traits de la négociation collective à la française aux membres des différents groupes de travail nationaux mi-janvier. Une expérience motivante : « L’ambition de ce programme peut rappeler le projet de nouvelles sociétés que nous avons connu en France après la Deuxième Guerre Mondiale. Chez nous, cela fait bien 60 ans que la négociation collective fait partie du débat. Or, les États-Unis partent de quasiment rien en la matière. Il y a une volonté d’explorer. Cela donne du souffle tandis que nous voyons de notre côté les limites de la négociation collective dans sa forme actuelle, dans les branches par exemple. En revanche, au niveau des groupes, un nouveau cadre de négociation prend indéniablement une place de plus en plus importante dans le droit et les pratiques de dialogue social ».
« Clean Slate » est de nature à inspirer le programme des Démocrates de refondation du droit du travail à l’horizon de la présidentielle de 2020. Le calendrier est compatible. À noter que Sharon Block, co-responsable de « Clean Slate », a été conseillère auprès du Secrétaire d’État au travail sous le mandat de Barack Obama...