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Faute lourde : l’intention de nuire doit être caractérisée…
Dans un arrêt du 23 septembre 2015 (n° 14-16.801), la chambre sociale de la Cour de cassation confirme sa jurisprudence (très) restrictive concernant le licenciement pour faute lourde. À défaut de pouvoir caractériser une intention de nuire à l’employeur, ce licenciement disciplinaire n’est pas justifié…
Une définition restrictive
La faute lourde constitue le comportement fautif le plus élevé sur l’échelle des sanctions disciplinaires.
Pour la Cour de cassation, la faute lourde est celle qui est commise par le salarié avec l'intention de nuire à l'employeur.
Le détournement d’argent, par un chef comptable, ne constitue pas une faute lourde mais une volonté de s’enrichir.
Contrairement à la faute simple et à la faute grave, qui se caractérisent par leur degré de gravité, la faute lourde dépend de l’intention du salarié à l’époque de la commission des faits. L’employeur doit donc faire ressortir, dans la lettre de licenciement, que le salarié a commis la faute qui lui est reprochée dans l’objectif de nuire à l’entreprise.
Ainsi, le détournement d’argent, par un chef comptable, ne constitue pas une faute lourde mais une volonté de s’enrichir (Cass. soc. 18 novembre 2003, n° 01-44102).
Dans l’arrêt du 23 septembre 2015, la Cour de cassation rappelle cette jurisprudence à propos d’un salarié, conducteur de travaux, ayant commis des détournements d’espèces :
« Attendu que, pour dire le licenciement justifié par une faute lourde, l'arrêt retient que le comportement du salarié, qui ne conteste pas avoir encaissé les espèces provenant des ventes pour un montant important mais s'abstient de justifier d'une quelconque remise de ces espèces à la société DRI ou à ses dirigeants, rend impossible son maintien au sein de l'entreprise et constitue non seulement une faute grave, mais également une faute lourde, eu égard à l'intention de nuire à l'employeur qui découle du détournement de telles sommes ;
Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'intention de nuire à l'employeur ou à l'entreprise, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ».
Même si cette décision peut sembler choquante, elle s’inscrit dans la jurisprudence constante de la Cour de cassation.
Il n’en reste pas moins que la faute lourde est parfois retenue par les juridictions, comme en témoignent les exemples suivants.
- L’abstention volontaire, de la part d'un directeur financier, de payer les salaires et les fournisseurs et d'établir les déclarations sociales, faisant courir un risque important d'atteinte au patrimoine de l'entreprise (CA de Pau 30 novembre 2009, n° 08-499).
- Le fait, pour un responsable d’exploitation, de commander la livraison d'une importante quantité de fuel, aux fins de se livrer volontairement à une malversation relevant d'une intention délibérée de nuire aux intérêts de la société qu'il était chargé de diriger (Cass. soc. 15 novembre 2011, n° 10-22789).
- Le fait, pour la directrice d’une entreprise, de créer une entreprise concurrente et d’affirmer faussement que son employeur présente des difficultés économiques, pour tenter de l’affaiblir sur le marché (Cass. soc. 31 mai 2011, n° 09-72795).
Des effets peu significatifs
Comme la faute grave, la faute lourde est privative d’indemnité de préavis (C. trav. art. L. 1234-5) et de licenciement (C. trav. art. L. 1234-1).
Ces sanctions sont importantes pour le salarié mais, au-delà, la faute lourde n’emporte pas de conséquences particulièrement significatives.
En effet, elle prive seulement le salarié de l’indemnité de congés payés afférente à la période de l’année en cours lors du licenciement (Cass. soc. 28 février 2001, n° 98-45762).
Dans cet arrêt, la Cour de cassation a jugé que, la période de référence débutant le 1er juin de chaque année et se terminant le 31 mai, le salarié licencié pour faute lourde le 18 juillet 1997 ne pouvait être privé de son indemnité pour la période de référence du 1er juin 1996 au 31 mai 1997.
En dépit d’une faute lourde, le salarié conserve donc les indemnités de congés payés relatives à la période de référence antérieure.
Par ailleurs, le salarié licencié pour faute lourde perd le droit au maintien des garanties complémentaires santé et prévoyance (C. séc. soc. art. L. 911-8).
Compte tenu de ces effets minimes (par rapport à la faute grave), l’employeur est souvent hésitant à diligenter un licenciement pour faute lourde.
En effet, l’intention de nuire est suffisamment difficile à caractériser pour ne pas risquer une requalification par le conseil de prud’hommes…
Par exception, la faute lourde retrouve un intérêt particulier en présence de comportements fautifs commis pendant une grève.
En effet, selon l’article L. 2511-1, alinéa 1er du Code du travail, « l'exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié ».
L’alinéa 3 du même texte ajoute que « tout licenciement prononcé en absence de faute lourde est nul de plein droit ».
Ces dispositions ont pour objet d’accorder une protection au salarié gréviste, sans toutefois exclure son licenciement en cas d’intention de nuire.
À titre d’exemple, commettent une faute lourde les salariés grévistes ayant interdit l'accès des lieux de travail aux salariés non-grévistes et persisté dans cette obstruction en dépit d’une ordonnance du juge des référés leur enjoignant de cesser d'occuper les accès du chantier (Cass. soc. 26 mai 2004, n° 02-40.395).
En conclusion, rappelons qu’en cas de faute lourde, le salarié est susceptible d’engager sa responsabilité pécuniaire à l’égard de l’employeur (Cass. soc. 21 octobre 2008, n° 07-40809).