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Diversifier les recrutements de l’ENM pour garantir la vitalité de la magistrature
Xavier Ronsin (directeur de l'École Nationale de la Magistrature) a abordé la question dans le dernier numéro de la revue Gestion et Finances Publiques, qui nous a autorisés à relayer ses réflexions. Ainsi pour lui, « rendre une justice de qualité suppose, à l’évidence, des magistrats bien formés. Mais la justice, rendue au nom du peuple français, n’a de sens que si elle est incarnée par des magistrats à l’image de notre société, issus d’un recrutement certes impartial et basé sur les critères d’excellence universitaire et humaine, mais aussi soucieux de favoriser la diversité géographique et sociale des candidats ».
L’École Nationale de la Magistrature recrute et forme les futurs juges et procureurs depuis 1959 et je constate avec satisfaction que les auditeurs de justice, que je côtoie depuis trente ans, sont tout, sauf formatés. Leurs parcours et leurs personnalités sont très diversifiés.
Qu’ils soient étudiants ou déjà dans la vie active, ils ont en commun leur motivation, leur goût du service public et leur envie d’avoir une vie professionnelle riche de sens. Aujourd’hui, plus que jamais, ce principe doit rester au cœur de la politique de recrutement de notre école, au même titre que la recherche de l’excellence.
Cette politique, nous la déclinons en trois objectifs : attirer les meilleurs étudiants en droit et professionnels du monde juridique vers les métiers de la magistrature, inciter le plus grand nombre à se porter candidat et enfin, valoriser les « personnalités » et la motivation. Car c’est en suscitant des vocations, notamment auprès du public qui serait tenté de s’autocensurer, par peur de l’échec, par éloignement géographique des lieux de préparation les plus connus ou par manque de moyens financiers, que notre école contribuera à la vitalité de la magistrature, dans la plus pure tradition républicaine de nos institutions.
Un recrutement qui repart à la hausse
L'ENM demeure en Europe et dans le monde une référence et un modèle incontestés en matière de formation judiciaire. Cependant, la sélectivité de ses concours d’accès, due au nombre particulièrement important de candidats dans les années 1990, et la baisse très sensible du nombre de postes offerts de 2008 à 2010, ont eu pour effet notable de progressivement décourager les candidats.
Depuis trois ans, notre école se bat donc avec succès pour renverser la tendance à la baisse des inscriptions aux concours déplorée depuis la fin des années 1990.
À notre grande satisfaction, les premiers résultats positifs sont tangibles : les concours d’accès 2013 ont vu les 214 postes offerts entièrement pourvus par un jury légitimement attentif à la qualité des recrutements. Avec les 66 auditeurs recrutés sur titre sur le fondement de l’article 18-1 de l’ordonnance de 1945, la promotion 2014 est l’une des plus grandes qu’ait connue l’École. En outre, 2 669 candidats se sont inscrits aux concours d’accès de 2014, soit 59 % de personnes supplémentaires par rapport aux chiffres de 2011.
Différentes voies d’accès pour favoriser la diversité
Autre idée fausse que nous combattons régulièrement : celle du formatage supposé de nos auditeurs de justice.
Que ce soit à leur arrivée à l’École ou à leur sortie, je suis frappé de constater que leurs parcours et leurs personnalités sont très diversifiés. Les différentes voies d’accès à l’ENM favorisent cette richesse des profils et notre promotion 2014 en est la parfaite illustration.
Si les étudiants en droit issus du premier concours représentent la part majoritaire de nos effectifs (65 % pour la promotion 2014), 95 % d’entre eux ont déjà eu une expérience professionnelle. Non seulement ils ont fait de brillantes études mais ils ont touché du doigt la réalité du monde du travail.
L’intégration sur dossier représente 23 % de la promotion 2014. Ces candidats, recrutés sur lefondement de l’article 18-1 de l’ordonnance de 1945, sont issus pour les deux tiers du milieu juridique ou judiciaire. Avant de choisir la magistrature, ils occupaient les fonctions par exemple d’avocat, de juriste d’entreprises, de directeur de la PJJ, de greffier en chef, de conseiller RSA, de directeur de services pénitentiaires ou encore de capitaine de police.
Le recrutement par le biais du deuxième concours, réservé aux fonctionnaires pouvant justifier de quatre ans de service public, fournit, lui, 7 % de la promotion : ces auditeurs sont d’anciens greffiers en chef, greffiers, conseillers des services pénitentiaires d’insertion et de probation, attachés territoriaux, enseignants, inspecteurs du travail, lieutenants de police… Enfin, le troisième concours, réservé aux professionnels du secteur privé pouvant justifier de huit ans d’exercice, représente le public le moins nombreux (1 auditeur en 2014, aucun en 2013, contre 4 en 2012). D’anciens avocats, journalistes, professeurs d’histoire ou de philosophie ainsi que des musiciens ont intégré la magistrature par ce biais.
Quel que soit leur âge (l’auditeur le plus jeune a 21 ans contre 45 ans pour le plus âgé de la promotion 2014) et leur vécu professionnel antérieur, tous ces auditeurs partagent une formation de 31 mois, axée sur la pratique du métier de magistrat et ponctuée de stages.
Par ailleurs, afin de renforcer les effectifs de magistrats en juridiction, des concours complémentaires sont ouverts chaque année depuis 2011 par la direction des services judiciaires, à destination de professionnels de plus de 35 ans ou de plus de 50 ans, pouvant justifier de dix ou quinze années d’exercice dans le domaine juridique, économique ou social, selon qu’ils postulent au deuxième ou au premier grade. Ils bénéficient d’une formation probatoire de 9 mois, ce public étant caractérisé par de solides acquis théoriques et professionnels (anciens officiers de police, maîtres de conférences à l’université, greffiers, greffiers en chef...).
Enfin, l’École forme chaque année une trentaine de candidats à l’intégration directe (article 22-23 de l’ordonnance de 1945) qui, au regard des compétences acquises au cours de leur longue carrière, ont été sélectionnés sur dossier par la commission d’avancement. Ce public, très averti, effectue une formation de six mois sous forme de stage et compte dans ses rangs d’anciens juges de proximité, avocats, juristes, inspecteurs des impôts…
Recruter parmi le plus grand nombre
Choisir la magistrature n’est pas anodin. Les pouvoirs sont considérables, les responsabilités immenses et ce, dès le premier poste. Notre rôle, à l’ENM, consiste aussi à rappeler la beauté de ce métier et dire combien il est humainement et intellectuellement passionnant.
Susciter les vocations parmi les étudiants fait partie de nos missions. Il s’agit de transmettre notre idéal de justice et nos valeurs communes aux jeunes générations afin qu’elles les partagent, qu’elles se les approprient puis les fassent vivre y compris sous des formes nouvelles à inventer.
Face à l’augmentation du nombre de postes offerts ces trois dernières années, il est apparu nécessaire d’avoir un nombre suffisant de candidats aux concours, pour assurer un bon taux de sélectivité et ainsi veiller à ce que tous les postes offerts soient pourvus.
En effet, afin de recruter les meilleurs candidats, le jury souverain fixe une barre d’admission exigeante. Une étroite collaboration a ainsi été nouée depuis 2012 avec les facultés de droit et les instituts d’études judiciaires (IEJ) permettant d’aller à la rencontre des étudiants et de leurs enseignants. L’École a pris cette responsabilité en organisant, à partir de janvier 2013, 62 conférences d’information dans 41 facultés de droit et IEJ, dans le cadre du plan global de communication mis en place avec la direction des services judiciaires. Vingt forums d’orientation à destination des étudiants ont par ailleurs accueilli un stand ENM.
J’ai voulu dynamiser cette stratégie « de territoire » afin de recruter les meilleurs étudiants en droit et d’instituts d’études politiques sur l’ensemble du territoire français et de lutter contre l’autocensure et le plafond de verre. En effet, lors des conférences que j’ai tenues dans plusieurs facultés, j’ai rencontré trop d’étudiants d’excellent niveau qui n’osaient pas passer le concours ou qui sous-estimaient la qualité des enseignements reçus.
Une action en faveur de la diversité : l’exemple des classes préparatoires
Les classes préparatoires « égalité des chances » constituent en outre l’une de nos actions phares en faveur de la diversité du recrutement des auditeurs de justice. Introduit par arrêté du ministre de la Justice du 22 mai 2008 pour la classe préparatoire de Paris, étendu à Bordeaux et Douai par arrêté du 19 janvier 2009, ce dispositif permet chaque année d’accueillir 45 bénéficiaires à raison de 15 par classe. En tant que directeur de l’ENM, je ne peux que me féliciter du succès de ce dispositif, qui connaît un taux de réussite élevé : depuis sa mise en place, 1 élève sur 5 ayant préparé le premier concours d’accès à l’ENM a été admis.
Ces trois classes préparatoires « égalité des chances » sont destinées à des étudiants méritants, issus de zones urbaines sensibles, boursiers ou dont les ressources financières sont faibles. La sélection des candidats, qui s’effectue sur dossier et entretien, repose ainsi sur les quatre critères suivants :
- la qualité du parcours étudiant,
- le niveau de ressources des candidats ou de leurs parents, l’origine géographique (zones urbaines sensibles, contrats urbains de cohésion sociale),
- et la motivation.
La préparation, qui se déroule sur 11 mois, de novembre à octobre, est gratuite.
Elle fait également l'objet d’un accompagnement financier : les élèves bénéficient d’une bourse dont le montant est versé par l’ENM, ainsi que de l’allocation pour la diversité. Afin d’éviter toute rupture d’égalité entre candidats au concours, la coordination de chaque classe est confiée à un universitaire et les formations à des universitaires et des magistrats qui n’appartiennent pas au corps enseignant de l’École.
L’accompagnement pédagogique est l’autre force du dispositif : un tutorat est développé pour chaque élève afin d’assurer un suivi personnalisé.
Le programme pédagogique prévoit trois concours blancs par promotion, des galops d’entraînement hebdomadaires et des enseignements théoriques et méthodologiques complétés de visites culturelles (Sénat, Assemblée nationale, Cour de cassation, musées, expositions, spectacles…).
Depuis leur ouverture, les classes préparatoires au premier concours de la magistrature ont accueilli 236 bénéficiaires et ont permis de recruter 53 auditeurs de justice. Par ailleurs, 37 bénéficiaires ont intégré d’autres écoles de la fonction publique ou un centre régional de formation à la profession d’avocat. La mise en œuvre de cette mesure visant à accroître la diversité des auditeurs de justice est un succès en termes de rayonnement de l’ENM, puisque les élèves des CP représentent désormais 7 à 10 % de la promotion d’auditeurs issus du premier concours et obtiennent de très bons résultats aux concours d’accès. En effet, plus de 50 % des élèves des CP admis aux sessions 2012 et 2013 sont classés dans la première moitié de la promotion.
Désormais connu et ayant fait ses preuves, le dispositif rencontre un succès grandissant auprès des étudiants en droit. L’ENM constate ainsi depuis deux ans une hausse du nombre de candidats à l’entrée des classes préparatoires.
Ce nombre accru lui permet d’ancrer encore davantage son action dans l’égalité des chances : l’École sélectionne ainsi des candidats au profil plus « risqué » au sein de son public cible, les étudiants aux faibles ressources, issus des zones sensibles et ayant obtenu de bons résultats universitaires.
Au-delà de ces critères, il s'agit bien de soutenir les étudiants qui manquent de temps parce qu’ils sont obligés de travailler pour financer leurs études ou encore ceux qui ont un déficit de culture générale parce qu’ils ne peuvent s’offrir des sorties culturelles régulières.
Nous privilégions donc les étudiants pour qui l’aide de la classe préparatoire sera décisive par rapport à un autre type de préparation. Le contenu et la qualité de l’entretien de sélection permettent de repérer ces profils plus « fragiles », auxquels le dispositif fournira l’étayage personnalisé dont ils ont besoin. C’est bien la marge de progression des candidats et, d’une manière générale, leur capacité à surmonter la difficulté que nous évaluons.
Avec ses classes préparatoires « égalité des chances », l’École renforce son engagement pour diversifier ses recrutements et ouvrir la magistrature à ceux qui, seuls, n’auraient pas eu les moyens d’intégrer l’ENM.
L'ENM est vraiment une belle école républicaine qui souhaite toujours porter mieux et plus loin les valeurs du service public. ■