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11 / 06 / 2014 | 15 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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Défendre et promouvoir le modèle de protection sociale solidaire des fonctionnaires

À la veille de l'assemblée générale de la Mutualité Fonction Publique, Alain Arnaud (président de la MFP), avant de passer la main après toutes ces années de mandat, donne son sentiment dans une interview donnée à la Revue de la Mutualité Fonction Publique et qu'il nous a autorisé à reprendre dans nos colonnes. Des analyses et contributions  qui méritent assurément réflexion dans le contexte actuel...

Vous présentez un rapport moral à l’assemblée générale de la MFP, empreint de désillusion sur le sort qui est fait à la protection sociale et à la mutualité. Pourquoi ?

Désillusion n’est sans doute pas le terme approprié. Je dirais plutôt désappointement et inquiétude. Nous attendions en effet autre chose en termes de changement.

En réalité, de quel changement parle-t-on ?

S’agit-il de revenir aux fondamentaux de notre pacte républicain pour plus de liberté, d’égalité, de fraternité, avec des systèmes institutionnels appropriés par nos concitoyens, qui favorisent la solidarité et le sens du bien commun ?

Ou s’agit-il de poursuivre, en l’accentuant, une forme d’économie qui privilégie le marché, la concurrence et réduit les solidarités à un socle de base, aux aides caritatives et à l’assistanat ?

Notre pays s’est enorgueilli d’avoir bâti un modèle solidaire, garant d’une protection pour tous, en respectant la dignité des gens.

Il s’est appuyé sur deux piliers : une Sécurité sociale efficace et un service public assuré par une fonction publique loyale et soucieuse de l’intérêt général.

Aujourd’hui, ces institutions sont malmenées, voire contestées, sous prétexte que notre pays, pourtant 5ème puissance économique mondiale, n’aurait plus les moyens d’assurer le niveau de solidarité qui a fait sa fierté. Alors, fleurissent des conceptions d’organisation de la société qui stimulent l’individualisme, le consumérisme et flattent l’intérêt particulier, la compétition, le chacun pour soi.

Tandis que la demande de réponses sociales est grandissante, le régime obligatoire est simultanément affaibli et les effectifs d’une  fonction publique mise sous tension et trop souvent stigmatisée, sont réduits. Les conséquences sont désormais bien visibles : pauvreté croîssante, exclusion au logement grandissante et inégalités d’accès au système de santé, pour ne citer que les plus criantes.

Jusqu’alors, on ne peut pas dire qu’une politique de santé cohérente et anticipatrice a traité les problématiques d’organisation du système d’accès aux soins.

Vous êtes donc favorable à une réforme de la protection sociale et en particulier de l’Assurance-Maladie ?

Il est légitime de se poser la question de l’efficience du système actuel auquel 11,7 % du PIB sont consacrés quand, en même temps, les inégalités de santé se sont accrues, une certaine insécurité sanitaire a été révélée par des scandales retentissants et le taux de renoncement aux soins n’a jamais été aussi élevé. Par ailleurs, les déterminants de santé tels que les conditions d’existence, le stress au travail, l’environnement, l’allongement de la durée de vie, restent insuffisamment pris en compte par un système de santé essentiellement curatif.

C’est ce à quoi le gouvernement a déclaré vouloir s’attaquer, en 2013, avec sa « stratégie nationale de santé ». Si nous pouvons en partager les constats, les principes et les grands objectifs, nous n'en sommes pour autant qu’à la théorie et aux annonces et, il faut bien le dire, nous restons sur notre faim.

Rien n’est dit sur la question du financement, pourtant primordiale si l’on veut rééquilibrer les comptes en maintenant une protection de haut niveau.

Rien sur la place institutionnelle de la complémentaire santé devenue indispensable pour accéder aux soins. Est envisagée, tout au plus, une régulation du marché au moyen de contrats solidaires et responsables dont nous pouvons craindre que le contenu ne soit pas assez discriminant pour réguler quoi que ce soit.

En outre, ces contrats fourniront la rampe de lancement d’un troisième étage, celui de la sur-complémentaire, déjà en magasin chez de nombreux opérateurs.

Rien n’est dit non plus sur la mutualité, l’une des grandes composantes de l’économie sociale et solidaire, dans sa dimension d’acteur de santé non lucratif. Sont ignorés son utilité sociale et son apport à la prévention et à la gestion du risque santé.

Pourtant la mutualité pourrait accompagner l’État et l’Assurance-Maladie dans la mise en œuvre des politiques publiques, au meilleur bénéfice de l’intérêt général.

 

Vous considérez que les mesures du gouvernement manquent d’ambition ?

Nous avons besoin d’un véritable service universel et solidaire d’assurance maladie, pas d’un système à plusieurs étages, générateur d’inégalités.

Les mesures prises par les pouvoirs publics sont loin de donner l’impression de s’inscrire dans cette direction. Au contraire, elles sont parcellaires et manquent significativement de cohérence globale. Trois exemples pour l’illustrer.

En premier, la lutte contre les dépassements d’honoraires. Dans le cadre des négociations tripartites avec les professions médicales, un accord a été trouvé pour maîtriser l’évolution des honoraires des médecins. Les complémentaires santé s’étaient engagées à apporter 150 millions d’euros au financement des compléments d’honoraires.

Or cette bonne intention manifestée par les familles de l’UNOCAM s’est finalement traduite par une préemption au profit de l’Assurance-Maladie, la faisant apparaître comme seul financeur des rémunérations des médecins, ce qui dénature complètement la lettre de l’avenant n° 8 de la convention médicale et l’esprit des négociations conventionnelles. Deuxième exemple, la fiscalité : l’impôt sur les sociétés frappe le résultat des mutuelles, c’est-à-dire les excédents de cotisations versées par leurs adhérents tandis que la TSCA est appliquée à l’activité d’assurance développée par les mutuelles au profit de leurs adhérents.

Or, ceux-ci n’achètent pas un contrat, ils acquittent une cotisation à un système solidaire.

On en arrive ainsi curieusement à fiscaliser les cotisations des sociétés de personnes .

Cette fiscalité s’ajoute à la contribution CMU (entre temps devenue une taxe) et à la participation au complément de rémunération des médecins qui vient compléter la ponction des mutuelles, à raison de 2,50 euros par adhérent en 2013 et 5,00 euros à partir de 2014.

Troisième exemple, la généralisation des contrats collectifs obligatoires. Elle ne concerne que le secteur privé, mais elle entraîne un bouleversement majeur de l’organisation de la protection maladie, sans pour autant gommer les inégalités.

Retraités, étudiants et chômeurs sont en effet laissés de côté et les fonctionnaires sont loin d’avoir le même niveau d’aides de leurs employeurs. Par ailleurs, sont progressivement ponctionnés les effectifs des mutuelles qui offrent des garanties individuelles et solidaires.

De plus, comment ne pas craindre une atteinte à l’universalité de la Sécurité sociale, dès lors qu’un régime complémentaire obligatoire est organisé par voie de négociation entre partenaires sociaux, autour de l’entreprise et du contrat de travail ?

Cette absence de réflexion globale n’apporte donc pas de solutions aux besoins de plus en plus criants de nos concitoyens, ni aux plus démunis, ni à la classe moyenne, c’est-à-dire la plus grande partie de la population.

Comment la MFP fait-elle face à ce contexte ?

Nous considérons que la mutualité a un rôle à jouer dans la régulation du système de santé au nom de l’intérêt général, aux côtés de l’Assurance-Maladie obligatoire qui doit rester le pilier du système.

La mutualité et en premier lieu les mutuelles de fonctionnaires sont donc disposées à participer à la refondation de ce service universel et solidaire, aux côtés du régime obligatoire.

Gestionnaires de l’assurance maladie des fonctionnaires, les mutuelles de la fonction publique sont actives depuis toujours dans la prise en charge globale des problématiques de santé de leurs ressortissants.

Mais elles ont du mal à se faire entendre, dans un contexte général de banalisation qui s’avère défavorable au mutualisme et au mouvement de pensée qui l’anime.

Face aux mutations profondes de leur environnement, les mutuelles de fonctionnaires ont fait la démonstration qu’elles ont la capacité de s’adapter. Les initiatives prises pour mettre en œuvre des regroupements, fusions, création de mutuelles uniques du livre II, unions mutualistes de groupe ont été fondamentales pour continuer à être reconnus comme acteurs majeurs de la protection sociale des fonctionnaires.

Nul doute que la consolidation des activités d'assurance renforcera la crédibilité de notre mouvement lors du renouvellement des appels à concurrence.

Le projet de création d’UMFGAM s’inscrit-il dans cette démarche ?

Oui, bien sûr. L’initiative, prise sous l’impulsion de la MFP, de la MGEN et de MFP Services, d’ouvrir un projet de regroupement des organismes gestionnaires dans une structure unique, représentative de la gestion du RO fonctionnaires, a du sens dès lors qu’elle vise à réduire les coûts de gestion, améliorer l’efficience en termes de prévention et de gestion du risque santé, et surtout offrir aux fonctionnaires un guichet unique traitant l’ensemble de leurs besoins sociaux en matière de santé.

L’UMFGAM  (1) doit être unique et concerner toutes les mutuelles gestionnaires, constituant ainsi un ensemble cohérent et opposable au sein du régime général, améliorant l’organisation administrative du régime des fonctionnaires prévu par le code de la Sécurité sociale, quelle que soit la filière opérationnelle choisie par chaque mutuelle.

En optimisant le poids des mutuelles de fonctionnaires au sein de la CNAMTS, on se donne aussi la possibilité de pérenniser la gestion du régime obligatoire et de négocier les conditions de cette gestion.

Quels sont les autres chantiers que conduit la MFP ?

L’action sociale et l’accompagnement des agents parce qu’il sont au cœur de la vocation mutualiste. Une convention partenariale a été signée avec la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse en vue d’organiser des expérimentations de prévention pour les retraités des fonctions publiques, qui pourront être généralisées.

D’autres initiatives sont en préparation.

En même temps, les mutuelles de fonctionnaires travaillent avec les organisations syndicales de fonctionnaires depuis plusieurs années sur les questions de protection maladie. À l’origine, il s’agissait de faire le bilan des dispositifs réglementaires mis en place pour la protection sociale complémentaire des agents de l’État et des territoriaux et de formuler des propositions d’amélioration, sachant que pour la fonction publique hospitalière, aucune mesure réglementaire n’a été mise en œuvre à ce jour, au-delà des dispositifs existants.

Après l’annonce par le Président de la République de la généralisation de la complémentaire santé et avec la transposition de l’ANI (2) dans la loi, cette réflexion s’est engagée plus loin, pour tenter d’imaginer un modèle de protection sociale innovant, adapté aux spécificités des fonctions publiques, s’inscrivant dans le prolongement des droits statutaires des agents. L’objectif est de préserver les solidarités construites depuis des décennies dans les champs professionnels, mais aussi de les améliorer.

Le colloque que nous avons organisé le 13 février 2014, clôturé par la ministre de la Fonction publique, a permis de dégager les premières orientations partagées avec les organisations syndicales. Elles s’appuient sur des principes communs à l’ensemble des fonctions publiques : préserver les solidarités professionnelles construites depuis des décennies par les agents au travers de leurs mutuelles et avec leurs cotisations, notamment les solidarités intergénérationnelles et catégorielles ; assurer la continuité des couvertures dans les cas de mobilité intra et inter fonctions publiques, dans le cadre des évolutions liées à la réforme de l’État et de la décentralisation ; adapter à chaque versant de la fonction publique les modalités de mise en œuvre de la protection sociale complémentaire permettant de respecter ces principes communs.

Des préconisations ont été faites pour tendre vers plus de cohérence, d’homogénéité et d’équité de la protection sociale des agents des trois fonctions publiques et renforcer le caractère statutaire des droits à la protection sociale santé et prévoyance des fonctionnaires. Nous revendiquons en outre, avec les organisations syndicales, une nette revalorisation des participations des employeurs publics, afin que l’écart entre fonctionnaires et salariés de droit privé soit réduit significativement.

Il nous paraît également nécessaire que soient sauvegardés les principes fondamentaux des mutuelles, sociétés de personnes, et particulièrement la vie démocratique des communautés d’adhérents parce que c’est avec leurs cotisations que se définit leur niveau de couverture.

Notre projet privilégie donc la mutualisation plutôt que l’individualisation, la démocratie responsable et solidaire plutôt que le consumérisme, le caractère professionnel et l’attachement au service public et au statut de la fonction publique et la prise en charge globale de la protection sociale des agents tout au long de leur vie.

Que dites-vous à ceux qui peuvent s’interroger sur la nécessité de disposer d’une union telle que la MFP ?

La MFP est un acteur légitime et respecté dans l’environnement de la fonction publique. Notre union a été refondée en 2008 sur des valeurs et des principes réaffirmés, sur des engagements consentis, fédérant la plus grande partie des mutuelles de fonctionnaires, elles-mêmes représentant la quasi-totalité des effectifs des agents publics.

Nous l’avons dit et redit, la MFP doit tenir un rôle politique au service des mutuelles et des groupes, recentré sur l’ensemble des questions liées aux fonctions publiques et aux employeurs publics. Il ne doublonne pas avec la démarche fédérale conduite par la FNMF.

La MFP tient-elle une place spécifique au sein du mouvement mutualiste français?

La culture de service public de la MFP a été un atout pour la mutualité française, comme l’innovation qui a caractérisé les mutuelles de fonctionnaires et nourri d’importantes réflexions au sein de la fédération nationale.

Cette culture, cette sensibilité et cette capacité d’innovation doivent pouvoir s’exprimer à nouveau dans les chantiers mutualistes, en appui des mutuelles de santé qui demeurent prépondérantes, d’autant que certains de ceux-ci, tel le conventionnement hospitalier, se construisent à partir des réalisations de la MFP.

Il semble donc opportun de réinscrire cette spécificité de la fonction publique au sein du mouvement mutualiste et d’apporter ainsi notre contribution dans un souci permanent de la défense de l’intérêt général. Il paraît utile de réfléchir à un mode de relation renouvelé avec la FNMF, qui ne se fonde pas sur un mode concurrentiel mais sur une approche positive, profitable à chacune des entités.

Des modalités simples doivent pouvoir être trouvées, sous forme par exemple d’une contractualisation fixant le cadre des relations entre la MFP et la FNMF. C’est, semble-t-il, l’un des chantiers à ouvrir.

Quel regard portez-vous sur les sept années de votre présidence de la MFP ?

Évidemment, j’éprouve des sentiments mêlés mais celui qui prédomine est la satisfaction d’avoir réussi collectivement à faire face à un contexte de plus en plus contraignant, voire hostile. Défendre la solidarité alors que l’individualisme et la concurrence sont prépondérants dans la société n’est pas chose facile.

À l’issue de ces sept ans, j’ai jugé utile de relire l’intervention que j’avais faite au conseil d’administration avant mon élection en 2007. Le contexte était déjà défavorable pour la mutualité et la MFP était vacillante. Cest en toute connaissance de cause que j’ai été candidat.

J’avais du mal (et c'est toujours vrai) à me résoudre à l’idée, qu’héritiers collectifs des immenses réalisations que nos mutuelles et nos aînés ont su mettre en œuvre depuis plus de 60 ans, nous pourrions laisser se désagréger leurs efforts et leurs réussites.

J’avais à la fois la conviction de la pertinence de l’existence de la MFP et celle du besoin de repenser son rôle. Cela s’est traduit par la refondation de notre union, avec l’adoption d’une charte politique, en vigueur aujourd’hui. Les regroupements qui se sont opérés entre mutuelles ont été nécessaires et préférables à un éparpillement.

Je regrette sans doute que quelques mutuelles aient préféré sortir de notre communauté affinitaire mais toutes les autres ont partagé le projet élaboré ensemble, ce qui confère une légitimité certaine à la MFP. S’il y a réussite de la MFP, il s’agit avant tout de celles des mutuelles qui ont su anticiper les évolutions défavorables et s’adapter à un monde en mutation.

Pour l’avenir, je ne doute pas que mon successeur, le conseil d’administration et les mutuelles adhérentes conduisent à leur terme les grands chantiers en cours, notamment la création de l’UMFGAM et le dossier relatif à la protection sociale complémentaire des fonctionnaires. Des chantiers essentiels et enthousiasmants doivent s’inscrire dans la préservation de l’esprit mutualiste qui nous a été transmis et nous avons le devoir de les développer pour les générations actuelles et à venir.

Notre union est aujourd’hui armée pour accentuer son action auprès des décideurs publics, renforcer sa collaboration avec les organisations syndicales de fonctionnaires, faire entendre sa voix pour porter les spécificités des mutuelles des fonctions publiques et défendre leurs intérêts, au plan national comme au plan régional, avec un réseau motivé, compétent et en ordre de marche.

Tant que les mutuelles adhérentes le décideront ainsi, la MFP assurera le rôle qui lui a été assigné, parce qu’elle n’a pas d’autre vocation que de les servir. Il lui appartient aussi de défendre l’idée même du service public, du statut et de la mission des fonctionnaires.

La tâche est rude tant l’offensive anti fonctionnaires est virulente. La MFP est bien dans son rôle quand elle met en lumière le fait que, loin d’être des privilégiés, ils servent la République, la nation et les citoyens.

 

1 - UMFGAM : Union des mutuelles de fonctionnaires gestionnaires de l’Assurance-Maladie.

2 - Accord national interprofessionnel.

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