Organisations
Créativité et organisations positives : quelles applications concrètes pour une meilleure qualité de vie au travail et une réduction des risques psychosociaux ?
La seconde journée des organisations positives a eu lieu le 2 février 2018 à Bordeaux, à l’initiative de l’association des organisations positives du Sud
Elle portait sur le thème « créativité et organisations positives ».
Deux représentants de Technologia participaient à cet événement, ponctué par différentes interventions et des ateliers collaboratifs.
L’objectif partagé par les structures ayant présenté leurs réalisations lors de la journée, et plus généralement par l’approche des organisations positives, est la transformation de plusieurs aspects caractérisant les organisations : relations de travail, valeurs au travail, relations hiérarchiques et process, relations à la société.
C’est une démarche dynamique engagée par différents acteurs au sein des organisations.
Cette démarche existe dans de multiples types d’organisations y compris celles qu’on se
rait tenté de taxer de bureaucratiques, telles que la Caisse d’Allocations Familiales (CAF). Les organisations mettant en œuvre la démarche sont diverses en termes de :
- Taille (de la TPE à la grande mutuelle d’assurance)
- Type d’entreprise (de la Société Coopérative et Participative au service public en passant par le secteur privé)
- Secteur d’activité et métier (assurances, secteur public, médico social, communication...)
- Génération de salariés ou d’acteurs concernés, des plus jeunes aux seniors.
Une dynamique de ce type peut aussi prendre naissance dans une partie de grand
e organisation, sans engager nécessairement l’organisation dans son entier
(administrations, grandes entreprises...).
Il s’agit ici de faire le point sur les apports de
l’approche en termes d’organisations
positives et de créativité pour le développement de deux dynamiques étroitement
interdépendantes
: la Qualité de vie au travail ou QVT (augmentation du nombre et
de la qualité des facteurs protecteurs pour les salariés)
et la réduction des risques
psychosociaux ou RPS (diminution du nombre et de la gravité potentielle des
facteurs de risques pour les salariés). Deux axes sont développés pour ce faire
:
–
Qu’apporte la notion d’
organisations positives
à
l’analyse de la QVT
dans une
organisation ?
–
Les méthodes
fond
ées sur la créativité peuvent
quant à elles
servir d’appui
pour la mise en place d’actions en faveur de la QVT et de la réduction des
RPS. Lesquelles et comment
?
Les «
organisations positives
»
: une conception de
s relations de travail et des
rapports humains susceptible d’engendrer une amélioration de la QVT
L’humain au centre
La place de l’homme dans l’entreprise
est un axe de réflexion central pour les
tenants des organisations positives
: il s’agit de placer, ou replacer en fonction du
stade d’où part l’organisation, l’humain au centre du système professionnel et de
productio
n. Cette démarche permet d’agir en particulier sur deux grands facteurs
structurant les modèles d’analyse des risques psychosociaux et de la qualité de vie
au travail (Siegrist, Karasek, DARES
2
, ANACT
3
, INRS
4
...)
: l’autonomie et la charge de
travail.
Dans
l’ensemble des structures ayant présenté leurs projets, il s’agissait de permettre
à des salariés effectuant des tâches très diverses de
:
1) réaliser leur travail en ayant
davantage de prise sur lui, par exemple en suivant des dossiers ou des projets de
b
out en bout plutôt qu’en parcellisant les tâches, ce qui représentait un gain
d’autonomie
;
2) s’exprimer sur leurs conditions de travail
;
3) agir sur celles
-
ci. Ces
deux dernières dimensions de l’autonomie sont moins présentes dans les modèles
traditionn
els d’analyse des RPS et de la QVT, mais de plus en plus prises en compte
dans des modèles plus récents, ou encore dans les négociations interprofessionnelles
concernant l’égalité professionnelle et la QVT (Accord National Interprofessionnel du
19 juin 201
3 notamment).
Vouloir placer l’humain au centre des organisations est également susceptible
d’avoir un impact positif sur la charge de travail : il s’agit de rechercher des solutions
effectives pour répondre à l’obligation, inscrite dans la loi
dans
le co
ntexte français
mais
qui ne prévaut pas
dans tous les pays,
d’
«
adapter le travail à l’homme
»
(article 4121
-
2 du
c
ode du
T
ravail).
Les organismes présents lors de la journée des
organisations positives ont présenté des initiatives visant à obtenir des pr
océdures
moins lourdes, plus souples, davantage adaptées aux réalités du terrain, permettant
d’alléger la quantité de travail liée à ce volet. Par exemple, dans une SCOP opérant
dans le secteur de la communication, le parti
pris de limiter les
reportings
p
ermet aux
collaborateurs de se concentrer sur le contenu de leurs dossiers en cours, sans
empêcher pour autant la Direction d’avoir une vision précise de la productivité et
des performances de chacun
via
des indicateurs mesurés «
par le haut
»
.
Il s’agit
é
galement de se préoccuper de ne pas alourdir la charge de travail à l’occasion
des projets de transformation de l’organisation. C’est ainsi que dans une CAF, les
managers participant aux ateliers «
créativité
» ont été déchargés d’une partie de
leurs autre
s tâches afin d’être réellement actifs au sein de ces ateliers.
Faire ensemble
Un second pilier des organisations positives est celui de la gouvernance partagée,
du
«
faire ensemble
»
, ayant un effet sur un troisième facteur central dans les grands
modèl
es d’analyse des RPS et de la QVT
: la reconnaissance au travail.
L’autonomisation des individus va en particulier de pair avec leur responsabilisation,
générant une meilleure reconnaissance professionnelle. Le respect et la
reconnaissance des compétences
et qualités de chaque membre de l’organisation
se traduisent par l’implication de toutes les personnes sur des sujets touchant à la
stratégie de l’organisation, ou par leur consultation sur des domaines variés
2
Direction de l’Animation de la Recherche, des Etudes et des Statistiques.
3
Agence Nationale de l’Amélioration des Conditions de Travail.
4
Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents
du travail et des
maladies professionnelles.
concernant l’activité professionnelle (nouvell
es procédures à mettre en œuvre,
bonnes pratiques dans la réalisation des activités, etc.). Cette dynamique est
porteuse de bien
-
être et de satisfaction pour les salariés qui en bénéficient et,
d’après les témoignages présentés, garantit plus de fluidité d
ans les relations
hiérarchiques et l’application des procédures, ainsi qu’une plus grande motivation.
Ce fonctionnement est par exemple au cœur du laboratoire
de
relations sociétaires
d’une grande mutuelle d’assurance, où sont détachés des salariés pour de
s
périodes de plusieurs mois. Des outils et méthodes (
design thinking
notamment) sont
mis à leur disposition afin de trouver en équipe des solutions concrètes et originales
pour améliorer les pratiques du quotidien, notamment concernant la relation aux
soc
iétaires.
Les valeurs au travail, au cœur des préoccupations
L’utilité sociale du travail, ses externalités positives pour la société, constituent le
troisième pilier de l’approche en termes d’organisations positives, englobé sous le
terme de «
cohérence
des activités
»
.
L’articulation peut être faite entre ce pilier et
un autre facteur central dans la qualité de vie au travail ou la protection contre les
RPS
: la question des valeurs, qui conditionnent en grande partie le sens du travail.
Il s’agit pour
les organisations positives de réaliser des tâches qui soient, d’une
manière ou d’une autre, utiles au reste de la société
: missions de service public,
aide à des publics démunis, communication pour des entités générant des
externalités positives, etc. Ce
la contribue, pour leurs membres, au sens de leur
travail
: le sentiment d’utilité du travail réalisé et la reconnaissance sociale dont jouit
l’activité sont en effet deux composantes du facteur «
sens
» dans l’analyse de la
QVT et des RPS. Il en découle é
galement un sentiment de satisfaction ainsi que
l’envie de réaliser un travail de qualité.
Deux structures du secteur de l’aide médico
-
sociale ont ainsi présenté leur
démarche de reconfiguration de l’activité autour du duo accompagnant /
accompagné en Fran
ce et en Suisse. L’objectif était de se transformer de l’intérieur
pour apporter aux bénéficiaires une aide
mieux
adaptée à leurs besoins et donc
plus efficace, d’autant plus qu’elle s’accompagne d’un accroissement recherché,
en interne, du bien
-
être des salariés de ces structures.
Du côté des salariés ou acteurs de ces organisations, ce type d’approche est
générateu
r de fierté d’appartenance et d’envie de s’investir. Parmi les organismes
p
articipants
, une SCOP
présente
des taux de
turn
-
over
extrêmement faibles avec en
moyenne un départ de salarié tous les 15 ans. Le laboratoire d’innovation de la
mutuelle d’assurance
, situé à Niort, attire quant à lui de nombreux salariés de toute
la France désireux de s’investir dans les projets et modes de travail originaux de cette
unité.
La notion de créativité dans la mise en place d’actions en faveur de la QVT
La créativité
s’applique à un large éventail de projets...
L’aménagement de lieux, d’espaces de travail, voire de bâtiments entiers, est une
première modalité d’intervention concrète sur l’organisation
qui porte sur
l’environnement de travail. Il s’agissait notamment des
projets de la CAF
(aménagement d’un toit
-
terrasse dans les bâtiments existants) et de la SCOP
(création d’une Société Civile Immobilière
–
SCI
–
pour l’achat d’une maison à
rénover et aménager afin d’en faire le lieu de travail).
Concernant l’organisatio
n du travail et la circulation des informations utiles pour
travailler, des projets visant à fluidifier, alléger et simplifier les procédures
,
existent
également. C’est le cas des initiatives présentées par la mutuelle, où l’enjeu est de
rester dans le cad
re légal fortement normé du secteur des assurance
s
tout en
proposant des solutions innovantes dans les modalités de mise en œuvre des
procédures (supports originaux et conviviaux notamment).
Au niveau des exigences émotionnelles et des relations externes,
des projets
d’évolution de l’organisation
dans
la relation aux usagers, sociétaires ou autres
acteurs extérieurs
,
peuvent être mis en œuvre. Les structures médico
-
sociales
,
en
Suisse et en France, ont ainsi entamé de vastes chantiers pour revoir les modal
ités
des relations entre leurs acteurs internes et les publics auxquels ils s’adressent afin de
mieux prendre en compte les besoins de ces derniers
:
a
mélioration des conditions
de travail des salariés en interne et meilleure adaptation aux besoins des pub
lics sur
le long terme ont été travaillé
e
s parallèlement, garantissant l’efficacité de ces
démarches.
Les relations de travail et l’ambiance de travail sont enfin concernées par certains
projets, comme la mise en place de moments de convivialité hors trav
ail, voire de
grands projets dans le cadre extra
-
professionnel
: les salariés de la SCOP présente à
la journée organisent ainsi régulièrement un voyage à l’étranger tous ensemble, ce
qui demande dans la préparation comme dans le déroulement une grande
capa
cité d’écoute et de dialogue.
...
p
ortés par des collectifs et acteurs à animer dans la durée
La motivation et l’implication des acteurs autour des projets «
positifs
» dépendent
souvent de quelques personnes
,
moteur
s
en interne, capables de lancer et
d’entretenir la dynamique sur le long terme. Il import
e
que ces personnes
parviennent
à fédérer autour d
’un assez grand nombre de
projets
,
afin d’être
éventuellement remplacées en tant que moteurs de la dynamique, surtout
si les
projets s’inscrivent dans le temps long.
Un accompagnement extérieur efficace est par ailleurs souvent aussi une clé de
succès pour de tels processus. Les
coachs
ou consultants impliqués auprès des
organisations désireuses d’évoluer a
pport
ent des
méthodes externes souvent
originales et méconnues en interne, par exemple la créativité, le
design thinking
... Ils
sont par ailleurs porteurs d’une vision décentrée
,
sur l’organisation et ses acteurs, qui
peut aider les personnes internes à prendre du recul
sur leurs pratiques et valeurs et à
les
faire évoluer le cas échéant.
Des méthodes «
créatives
»
qui
influen
ce
nt favorablement les relations de travail
La mise en place de méthodes autour de la créativité a des effets positifs en termes
de relations de
travail, au sein des collectifs impliqués dans les projets, mais aussi de
manière plus large.
Il s’agit de faire ensemble, d’associer les salariés, en réservant des
espace
s
-
temps
consacrés à la réflexion sur les projets, durant lesquels les personnes sont
déchargées
d’une partie de leur travail quotidien. Cela favorise la prise de recul sur l’organisation
et la formation ou le renforcement de liens au sein de collectifs qui pouvaient
auparavant se trouver moins soudés du fait du poids d
’
u
n
travail quotidien
qui
ne
laissa
i
t pas suffisamment de temps aux interactions
et échanges
conviviaux.
Le rapport aux procédures est différent
: il s’agit de fonctionner, dans la réflexion sur
les projets et leur mise en place, de manière interactive et non uniquement
desce
ndante, chaque individu est invité à être force de proposition. Les procédures
sont ainsi plus souples, moins contraignantes
,
et modifiables par tous dans le cadre
d’un échange continu. Dans l’espace
-
temps de la réflexion sur la transformation, la
créativi
té implique une annihilation des liens hiérarchiques. Les relations entre les
personnes et l’ambiance de travail s’en trouvent généralement fluidifiées et
modifiées.
La notion de confiance est centrale dans la démarche
créative dans le cadre de
projets de transformation. Les mécanismes de contrôle et d’évaluation mis en place
dans la gestion de projet classique,
tout comme
les relations hiérarchiques
,
s’en
trouvent revisités. Les prises de décision sont ainsi réalisées en groupe sans avoir
nécessairement besoin d’être validées par un niveau supérieur. De même,
l’évaluation et le contrôle dans le cadre de ces projets sont menés de manière
collective et
n’amènent pas de sanctions qui seraient rédhibitoires pour
l’engagement des individus.
Au
-
delà des collectifs impliqués directement dans la démarche de transformation,
l’effet sur les relations de travail se fait ressentir aussi à
une
plus large échelle d
ans
l’organisation. Les méthodes créatives impliquent en effet que les collectifs portant
les projets soient ouverts sur l’ensemble de l’organisation selon différentes modalités
:
–
Possibilité pour les salariés qui le souhaitent de les rejoindre à tout mome
nt ;
–
Consultation régulière des salariés
via
des interlocuteurs clés et des
intermédiaires identifiés.
Si les relations hiérarchiques ne tombent pas comme dans l’espace restreint des
équipes projet, leur poids est toutefois modéré afin de donner aux person
nes de la
base la possibilité et l’envie de s’exprimer et d’agir sur l’organisation, afin de
s’impliquer également dans sa transformation.
Conclusion / synthèse
Le cadre théorique comme les méthodes concrètes mis en œuvre dans les
organisations positives
présentent de nombreux points de convergence avec les
méthodes d’amélioration de la QVT et de réduction des RPS. Ces convergences sont
synthétisées dans le tableau ci
-
dessous, par une mise en correspondance des
principaux facteurs utilisés dans l’approche
QVT / RPS avec chacun des trois piliers
fondant l’approche en termes d’organisations positives. En découlent des domaines
d’action pour agir concrètement sur les organisations,
l
es actions voyant leur mise en
œuvre facilitée par une modalité centrale de m
ise en œuvre
: la créativité et les
méthodes associées à ce concept.
Facteurs d’analyse
des RPS ou de la QVT
Piliers de l’approche
en termes
d’organisations
positives
Domaines d’action pour la
transformation des organisations
Exigences de travail
:
charge de travail,
exigences
émotionnelles
Humain au centre
–
Adapter le travail à l’homme
•
Procédures internes
•
Limitation de la charge de
travail
des
personnes
impliquées dans des projets de
transformation
–
Relations avec le public / les
usagers / les clients
Autonomie
–
Expression et action des équipes sur
les conditions de travail
–
Prise de décision collégiale
Environnement de
travail
–
Aménagement
des
lieux
de
convivialité
–
Aménagement des espaces de
travail
–
Choix des bâtiments
Reconnaissance
Gouvernance
partagée, faire
ensemble
–
Institution
n
alisation d’espaces et de
moments
dédiés
au
faire
ensemble
:
laboratoires
d’innovation, groupes de
créativité...
–
Responsabilisation et écoute de
chaque membre de l’organisation
Relations de travail
–
Utilisa
tion des méthodes de la
créativité pour animer les collectifs
porteurs
de
projets
de
transformation
–
Collectifs branchés sur le reste de
l’organisation
: ouverture à tout
moment
aux
salariés
qui
le
souhaitent,
procédures
de
consultation des équipes via des
intermédiaires
Management
–
Mise entre parenthèses du lien
managérial dans l’espace
-
temps
des groupes de projets
–
Méthodes d’évaluation et de
contrôle collégiales
–
Refus
des
sanctions
qui
amèneraient les personnes à se
censurer
Valeurs au travail,
sens
du travail
Cohérence des
activités (RSE,
externalités positives,
impact sur la société)
–
Meilleure prise en compte des
besoins des publics et usagers
Vision de l’avenir
–
Projets à long terme (ex
.
: projets
immobiliers)
Conjoncture
–
Agir sur la société
positivement
amène une conjoncture favorable
au
développement
de
telles
organisations et une bonne image
de ces dernières
Tableau de correspondances
: lien entre l’approche en termes d’organisations
positives, les facteurs structurant les modèles d’anal
yse de la QVT ou des RPS
,
et les
types d’actions mis en place pour agir sur les organisations dans les deux approches.
Marjolaine Paris
Docteur en sociologie
–
Responsable de mission
- Santé au travail parrainé par Groupe Technologia