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Comment apprend-on dans les CHSCT ? Une thèse en sociologie de Tessa Tcham
Lauréate du DIM Gestes en 2014, Tessa Tcham consacre sa thèse aux dynamiques d’apprentissage dans les CHSCT. Elle est accueillie à l’Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales (Université Paris-Dauphine).
Avant de reprendre ses études, Tessa Tcham, 32 ans, a eu l’occasion de travailler dans de nombreuses entreprises, après un BTS en commerce international puis un contrat de qualification dans le graphisme. « J’ai travaillé dans une quinzaine d’établissements : hôtels, restaurants, casinos de jeu… En privilégiant toujours les CDD et l’intérim ». Un discours qui peut paraître étonnant à première vue. Mais l’actuelle doctorante justifie ce choix par l’ennui rapide qui survenait à chaque fois qu’elle avait le sentiment de maîtriser son travail.
« Plus de souffrance que de travail »
Au final, ce parcours professionnel semble avoir été très formateur. « J’avais un petit côté naïf lorsque je suis entrée sur le marché du travail à 21 ans. Mais j’y ai, en définitive, vu plus de souffrance que de travail ». Et peu de représentants syndicaux, semblerait-il. « Le fait est que j’ai travaillé dans des secteurs un peu particuliers, où il est difficile de créer du collectif. La présence des CHSCT et des syndicats se résumait, pour moi et nombre d’autres salariés, à leurs noms sur les tableaux d’affichage. Pourtant, le monde de la restauration, de l’hôtellerie et des casinos sont à risques. J’ai vu des managers faire des crises cardiaques à 30 ans et ai fait l’expérience de politique du type « on ne licencie pas, vous démissionnez ». Ces milieux fonctionnent par ailleurs en microcosmes : on travaille souvent la nuit, les changements d’horaires sont fréquents et les salariés finissent donc par essentiellement fréquenter leurs collègues parce qu’ils partagent ces caractéristiques atypiques d’emploi. Perdre son emploi signifie donc également perdre son monde social ».
À 28 ans, elle a décidé de reprendre ses études (ce qu’elle avait toujours imaginé faire) et a choisi la sociologie, qui permettait « d’intégrer de nombreuses autres disciplines ». « Une première année et on verra ». C’est finalement l’engrenage. Une fois la première année validée, elle a décidé de continuer en licence, avec l’idée de passer des concours de la fonction publique. Mais une fois sa licence en poche, impossible de ne pas continuer en master. Dans ce cadre, elle a réalisé un mémoire en sociologie politique sur les dispositifs de concertation en aménagement du territoire. Bref, plus question de quitter l’université, y compris après le master. « Je voulais en faire plus. Notamment travailler sur la thématique de la souffrance au travail et en m’intéressant au travail des élus des CHSCT. Justement parce que n’en avais jamais vu de toute ma vie professionnelle ».
Qui sont les délégués CHSCT ?
En 2013, elle a décidé de contacter Arnaud Mias pour lui parler de son projet. Quelques mois plus tard, elle a présenté une candidature au DIM Gestes, qui a donc répondu à l’affirmative en 2014.
Sa thèse porte donc sur les CHSCT, à l’heure où ils pourraient bien rejoindre la délégation unique du personnel, sous le coup du projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi qui sera examiné au Sénat dès le 22 juin. Mais au final, que sait-on sur ceux qui participent à cette instance, qui jouent depuis quelques années un rôle important dans la prévention des risques professionnels ? Comment les délégués CHSCT répondent-ils à la complexité de leurs tâches et de leurs missions ? Quel rapport au savoir entretiennent-ils ? Autant de questions auxquelles Tessa Tcham tente de répondre durant son doctorat, afin d’appréhender le travail des CHSCT à travers le rapport au savoir de leurs élus, face à des enjeux de connaissance de plus en plus prégnants.
À la rencontre des formateurs et experts auprès des CHSCT
« Je travaille sur les CHSCT de la fonction publique mais j’investis également le terrain de la formation et de l’expertise auprès des CHSCT. Cependant, comme je viens de commencer, je suis encore dans une phase exploratoire ». Au cœur de ses réflexions et observations actuelles, la manière dont ses interlocuteurs envisagent le « savoir » et le définissent et le rôle de la pratique dans l’apprentissage. « J’ai l’impression que l’on revient de l’apport théorique pur et dur ». Tous les CHSCT ne fonctionnent pas, par ailleurs, de la même manière. « Les personnes interrogées me parlent justement de CHSCT « mûrs » ou « pas mûrs ». C’est l’un des points que je trouve particulièrement intéressants : quels peuvent être les ressorts de cette différenciation ? » La doctorante se confronte par ailleurs à d’autres phénomènes propres à l’environnement des représentants du personnel : enjeux en termes de carrière syndicale (en quelle place figurent les CHSCT dans celle-ci ?), représentations du « bon syndicaliste »…
En attendant que sa recherche, qui a démarré il y a quelques mois à peine, porte ses fruits, Tessa Tcham partage son enthousiasme pour l’enseignement. « Je ne m’attendais pas à autant apprécier cette activité. Au-delà de l’apport en matière de connaissances personnelles, lors de la préparation de mes cours, c’est un véritable plaisir de voir des étudiants s’intéresser à une discipline que l’on aime ».