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23 / 06 / 2016 | 5 vues
robin carcan / Modérateur Contenu
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Évaluation : un « suivi longitudinal » du salarié induit des risques psychosociaux

Le cabinet Deloitte a récemment organisé une réunion d’information au sein de l’ANDRH pour évoquer la fin de l’entretien d’évaluation sous sa forme actuelle. Le cabinet décline chez lui un système qu’il commence à promouvoir. Ainsi, 90 % du temps d’évaluation est consacré à apprécier les performances et 10 % au développement du salarié : Deloitte veut inverser ce rapport. Avec un retour permanent, managers et subordonnées rempliront un questionnaire numérique à chaque fin de trimestre (ou de missions etc.) et le tout serait agrégé dans une base de données.



Un participant RH à cette session nous a anonymement livré son sentiment nuancé sur ce projet. En marge de la version in extenso proposée ci-dessous, retrouvez notre interview
Une mission ratée de 15 jours vaudra-t-elle
autant qu’une réussie
de 6 mois?
L’idée directrice est de capitaliser sur les défauts de l’entretien « annuel » pour le faire passer pour quelque chose de ringard. Pour Deloitte, l’entretien annuel tel qu’il est pratiqué présente assez peu d’intérêt et beaucoup d’inconvénients : on y passe 90 % du temps à parler du passé et seulement 10 % de l’avenir ; on s’attarde sur les points faibles alors que l’on devrait se focaliser sur les points forts. C’est une spécificité française semble-t-il. La classification (ranking) actuelle serait donc dépassée et l’avenir au retour régulier (voire permanent…), sans lien direct avec la rémunération afin de pouvoir se focaliser sur les performances.

  • L’entretien annuel représente une perte de temps évalué à 1,5 % du temps de travail pour un manager de Deloitte. La justification de Deloitte est d’abord comptable : auparavant, il leur fallait 60 000 heures de travail et 9 millions d’euros pour un résultat non discriminant en décalage avec la courbe de Gauss attendue : 77 % des collaborateurs évalués supérieurs aux attentes et seulement 43 % des employés pensent que les meilleurs exécutants sont ceux promus.

Il faut d’abord rappeler que Deloitte fonctionne, comme nombre de ses homologues du secteur du conseil, sur un mode de « missions » : il existe déjà une sorte d’évaluation à la fin de chacune d’elles et l’évaluation en cours d’année peut avoir du sens. Une mission ratée de 15 jours vaudra-t-elle autant qu’une réussie de 6 mois ? À l’inverse, on peut se demander si ce système est véritablement adapté lorsque les missions des collaborateurs dépassent une voire deux années et sont plus généralement adaptables à d’autres types d’entreprises.

Il est certain que la tendance à la fixation d’objectifs de moins en moins annuels entre de plus en plus dans la pratique des entreprises et, de ce fait, la forme et la temporalité de l’évaluation posent question.

Deloitte a créé un système de check-in (objectifs généraux et détaillés…) en début de mission et un check-out (points forts, axes d’amélioration, degré de progression du membre de l’équipe, degré d’atteinte des objectifs) en fin de mission rempli par le responsable de mission avec le collaborateur et partagés avec ce dernier.

Illustration check-in / check-out

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce système entièrement dématérialisé (sur internet ou smartphone) se double d’une évaluation managériale des performances du collaborateur (« performance snapshot »), évaluation rapide et non partagée avec le collaborateur, par le responsable de mission en fin de mission, ou trimestriellement pour les missions longues, qui répond à 4 questions ciblées : bonus ou augmentation en fonction de la valeur du travail réalisé pour l’organisation, capacité de collaboration ou à travailler en équipe, risque de sous-performance, promotion.

Illustration « performance snapshot »


Personne ne contestera le besoin d’améliorer et de fluidifier les échanges entre manager et salarié d’une part et vers les RH d’autre part. La volonté affirmée est de transformer le manager évaluateur en formateur, en chef d’orchestre avec une appréciation plus collective des performances et finalement, d’améliorer celle-ci.

Je ne suis pas certain qu’évaluer les salariés au travers d’un smartphone soit une preuve de considération

Deloitte parle d’une évolution vers la « no rating philosophy » à l’instar de la méthode OKR, aussi appelée ORC en français (objectifs et résultats-clefs), de Google qui fixe des ambitions et non des objectifs à ses salariés (hors domaine commercial). L’ambition, non discutable ni négociable, doit être inconfortable et difficile à atteindre. L’objectif serait de maintenir la motivation du collaborateur dans la durée et l’appréciation se fonderait moins sur l’atteinte du résultat que sur la direction prise, retours trimestriels à l’appui.

On arrête la classification (ranking) mais pas le suivi (tracking)…

Je m’interroge sur plusieurs points, notamment la traçabilité des données qui seraient issues de différentes évaluations temporaires et ensuite compilées sur toute l'année. Il y a de fait une absence de transparence pour le salarié qui n’aurait pas de restitution finale. Alors que ces différents bilans d’étape seront nécessaires à une évaluation définitive, celle-ci servira de base pour verser (ou pas) une part variable. En réalité, la classification perdure sous une autre forme puisqu’il y a un classement automatique prévu dans le système par compilation des évaluations et calcul de moyennes.

Il n’y a a priori pas non plus de communication de classification moyenne prévue dans le processus décrit par Deloitte. Du coup, on peut se demander si le salarié sera suffisamment protégé du risque de subjectivité de l’évaluation par la compilation de celles-ci. D’autant que les données seraient issues de différentes évaluations issues de temporalités différentes et ensuite compilées sur toute l’année. Cela pose la question de l’équité. Comment, avec le nouveau système, va-t-on justifier les décisions prises ?

Il ne semble pas que les organisations syndicales de Deloitte se soient émues de ces changements, ni que le CHSCT ait été consulté sur l’introduction du nouveau système. Pourtant, il me semble qu’un « suivi longitudinal » du salarié, même avec focalisation sur les points forts, induit des risques psycho-sociaux à court ou moyen terme.

Deloitte reconnaît pour sa part que le « point faible » des nouveaux systèmes réside soit dans la difficulté du contrôle des RH, notamment du fait de l’abandon de la classification au profit d’évaluations qualitatives, soit du risque de non-concordance entre les check-outs partagés et les évaluations finales. Certains clients se poseraient sérieusement la question de la nécessité de recourir à des robots d’analyse sémantique pour s’assurer de cette concordance… En attendant, chez Deloitte, c’est l’associé qui est tout-puissant et qui décide de tout.

À noter : en l’absence de RH de chez Deloitte, les managers présents lors de la présentation à l’ANDRH n’ont pu répondre à la question de la conformité de leur système à la loi informatique et libertés, ne sachant pas pour leur part si la CNIL avait fait l’objet d’une saisine ou avait émis des remarques ou réserves.

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