Culture, couleur, patrimoine et SCIC
Ôkhra (ocre en grec) est une « vieille » société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). Cette année, elle fêtera ses 15 ans puisque née en 2004, soit deux ans après la création du statut et la parution des décrets et circulaires d’application et, à ce titre, l’une des premières SCIC de France.
Elle est d’autant plus vieille que son histoire a débuté dix ans auparavant, quand un jeune couple, Mathieu et Barbara Barrois, passionné de culture et du patrimoine industriels, a découvert, au terme de recherches sur l’ensemble du territoire national, l’usine « Mathieu», productrice d’ocres dans les montagnes du Luberon, au sein du massif des ocres du Roussillon, désaffectée mais en état de marche et dont le savoir technique restait disponible.
Dès l’origine, l’ambition est claire : Ôkhra, « conservatoire des ocres et pigments appliqués », a été une entreprise culturelle appliquée au patrimoine technique, lequel doit être source de création de richesse et de développement économique et social, grâce à la promotion des savoir-faire traditionnels de production de l’ocre et de son utilisation dans différents métiers (bâtiment, métiers d’art etc.).
Pour ses promoteurs, on ne sauvera ces savoir-faire traditionnels que si l'on est capable de les inscrire dans une dynamique économique durable. D’emblée, cette ambition a rejoint les préoccupations de la commune de Roussillon, propriétaire de l’usine, pour laquelle l’enjeu était de préserver son patrimoine sans en faire peser le coût sur les finances publiques.
Le statut associatif s’est alors imposé comme le seul possible. L’association ÔKhra a ainsi été créée par les porteurs du projet et la municipalité, avec le soutien du parc naturel régional du Luberon, garant de la qualité de l’ancrage environnemental, en 1994. Puis, dès 1998, un contrat d’affermage a été passé entre la commune et l’association sous la forme d’une délégation de service public (DSP) « culturel et touristique », procédure pour le coup innovante car peu usitée dans le domaine culturel.
Cette délégation a fixé un cadre juridique durable entre « l’exploitant » et le propriétaire et a permis la valorisation, d’une part, des apports en industrie des créateurs et, d’autre part, des investissements réalisés par la commune sur les douze ans que la délégation devait durer. Dénoncée de façon anticipée en 2007 par la commune, cette première DSP a été reconduite après un appel d’offre où seule Ôkhra a été au terme de la mise en concurrence.
En effet, la question du temps long s’est posée dès l’origine du projet. Les enjeux étaient nombreux : usine à réhabiliter, savoir-faire à « ressusciter », services culturels à créer pour attirer les visiteurs du sentier voisin des ocres, modèle économique à inventer et acteurs locaux à convaincre, rien de moins.
L’obtention de la délégation de service public y a incontestablement contribué, en donnant un horizon (vingt ans) de long terme. Dès sa publication, le statut de coopérative d’intérêt collectif a très rapidement semblé particulièrement adapté à leur projet aux dirigeants d’Ôhkra. Ils y ont vu une manière de durablement embarquer l’ensemble de leurs parties prenantes. « Après une année de rencontres et de séminaires entre les salariés, les entreprises, les artisans, les artistes, la commune, le parc naturel, les bénévoles et les habitants, la SCIC est créée. Celle-ci permettait d’intégrer toutes les parties prenantes au sein de la même structure juridique, ce qui prolongeait bien notre pratique associative et ouvrait ainsi une nouvelle dynamique territoriale », en dit Mathieu Barrois.
Au demeurant, c'est grâce à la force de ce sociétariat que la SCIC a trouvé l’énergie collective indispensable pour répondre aux contraintes imposées par la seconde DSP qui, de façon paradoxale, accordait, certes du temps au temps mais faisait également peser une très forte contrainte économique en fixant pour règle une redevance annuelle de 5 % du chiffre d’affaires de l’entreprise et une part fixe d’entrée en affermage de 150 000 € sans aucun versement de la collectivité au délégataire pour sujétion de service public.
Aujourd’hui, Ôhkra réalise un chiffre d’affaires de 600 000 €, emploie 8 salariés en équivalent temps plein, compte 260 coopérateurs, dont 40 salariés et intervenants, 40 fournisseurs, 50 partenaires, 124 particuliers et 6 collectivités territoriales que sont les communes de Roussillon et de Rustrel, la communauté de communes du Pays d’Apt-Luberon, le parc naturel régional du Luberon, le département de Vaucluse et la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Ensemble, ces collectivités détiennent 31 % du capital social qui s’élève au total à 239 000 €. Des entreprises de référence (telle la Société des ocres de France) sont également sociétaires de la SCIC. Son offre de services est large : visites-animations et valorisation du patrimoine de l’usine Mathieu et des matériaux de la couleur ; formation pratique artisanale, artistique et scientifique, notamment avec le CNRS qui co-anime depuis 15 ans « L’École interdisciplinaire sur la couleur », stages, ateliers, comptoir-librairie et vente à distance, centre de ressources (archives, bibliothèque, « matériauthèque ») mais aussi, afin de marquer son insertion dans le champ de l’ESS, conseilingénierie auprès de dirigeants culturels ou de l’économie sociale et solidaire. Elle vise un public aussi varié : professionnels, chercheurs, touristes et grand public, écoliers et étudiants, entreprises…
Elle reçoit chaque année 30 000 visiteurs (dont 6 000 scolaires) et propose 130 journées de stage annuelles et 3 500 ouvrages sur la couleur depuis le XVIe siècle, 15 000 échantillons et produits manufacturés sont quelques caractéristiques de la coopérative.
Si le modèle économique reste très fragile, le bilan est largement positif. Ôhkra fait la démonstration (notamment auprès des collectivités locales) de la possibilité de maintenir un patrimoine vivant, en s‘appuyant sur une forme d’entreprise encore innovante au modèle économique pérenne, économe des deniers publics, dans un cadre éthique et responsable, voire démocratique. Pour autant, le dialogue reste souvent vif avec les collectivités « qui doivent passer du « faire » ou du « faire-faire » au « faire avec » » (Mathieu Barrois), en prenant en compte les contraintes économiques et la recherche de complémentarités territoriales entre acteurs publics et privés.
Elle a également permis la préservation et la transmission de savoir-faire industriels tant auprès d’un large public que des professionnels ou des scientifiques, sans compter la création de la dizaine d’emplois permanents.
Ôkhra a activement contribué à l’obtention du label de pôle d’excellence rurale « couleurs matières – couleurs lumières » pour les communautés de communes d’Apt et Pied Rousset, favorisant ainsi le financement européen de projets locaux. Elle participe ainsi à la structuration de la filière ocrière en Provence-Alpes-Côte d'Azur et à la création d’entreprises ou de services liées à cette filière : « les ocres à vélo » , une SARL de gestion des mines d’ocres Arcano, le cabinet conseil Culture couleur, et une nouvelle société, la Coopérative des Couleurs, pour développer la fabrication de produits des beaux-arts à colorants naturels « made in Luberon » que le « PTCE » a contribué à formuler.
Depuis 2015, consécration de ce rôle structurant, Ôkhra porte le pôle territorial de coopération économique (PTCE) « matières & couleurs Luberon-Provence » qui vise à structurer l’ensemble de la filière couleurs (minérales et végétales) durables en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, tout en promouvant un tourisme plus éco-responsable dans une région soumise à une forte pression touristique.
Au travers d’activités de recherche et développement (innovations technologiques sur les propriétés de la couleur et innovations sociales par la promotion de la coopération), de marketing valorisant le territoire, de production de produits et de services nouveaux, de promotion, grâce à des événements festifs notamment, et de formation pour la création d’emplois qualifiés, l'ambition en est un changement d’échelle et la création de valeur, pas tant des seules entreprises de l’économie sociale et solidaire mais de l’ensemble de la filière, au service du développement du territoire dont la « couleur » fait largement partie de l’identité régionale.
Au-delà des premiers effets de structuration de la filière, il est encore trop tôt pour mesurer les résultats et effets du PTCE sur la filière ocrière mais il ne l’est pas pour souligner l’intérêt que peut prendre la forme juridique de la SCIC pour favoriser la construction de projets contribuant à la résilience et à « l’encapacitation » du territoire dès lors que le projet commun est durablement partagé par le multi-sociétariat et que chacun y trouve son compte.
C’est tout l’enjeu de la gouvernance des SCIC que de constamment s’assurer du maintien de l’intérêt de chacun pour le projet commun par la satisfaction de ses intérêts propres ayant mené à la participation au projet commun, dans le cadre contraint d’un modèle économique pérenne car l’une des promesses de la SCIC est bien cette tension entre intérêt collectif, intérêts particuliers et régulation économique. C’est tout l’art de la maïeutique (maieutikê en grec) que doivent pratiquer les dirigeants des SCIC.
Elle est d’autant plus vieille que son histoire a débuté dix ans auparavant, quand un jeune couple, Mathieu et Barbara Barrois, passionné de culture et du patrimoine industriels, a découvert, au terme de recherches sur l’ensemble du territoire national, l’usine « Mathieu», productrice d’ocres dans les montagnes du Luberon, au sein du massif des ocres du Roussillon, désaffectée mais en état de marche et dont le savoir technique restait disponible.
Dès l’origine, l’ambition est claire : Ôkhra, « conservatoire des ocres et pigments appliqués », a été une entreprise culturelle appliquée au patrimoine technique, lequel doit être source de création de richesse et de développement économique et social, grâce à la promotion des savoir-faire traditionnels de production de l’ocre et de son utilisation dans différents métiers (bâtiment, métiers d’art etc.).
Pour ses promoteurs, on ne sauvera ces savoir-faire traditionnels que si l'on est capable de les inscrire dans une dynamique économique durable. D’emblée, cette ambition a rejoint les préoccupations de la commune de Roussillon, propriétaire de l’usine, pour laquelle l’enjeu était de préserver son patrimoine sans en faire peser le coût sur les finances publiques.
Le statut associatif s’est alors imposé comme le seul possible. L’association ÔKhra a ainsi été créée par les porteurs du projet et la municipalité, avec le soutien du parc naturel régional du Luberon, garant de la qualité de l’ancrage environnemental, en 1994. Puis, dès 1998, un contrat d’affermage a été passé entre la commune et l’association sous la forme d’une délégation de service public (DSP) « culturel et touristique », procédure pour le coup innovante car peu usitée dans le domaine culturel.
Cette délégation a fixé un cadre juridique durable entre « l’exploitant » et le propriétaire et a permis la valorisation, d’une part, des apports en industrie des créateurs et, d’autre part, des investissements réalisés par la commune sur les douze ans que la délégation devait durer. Dénoncée de façon anticipée en 2007 par la commune, cette première DSP a été reconduite après un appel d’offre où seule Ôkhra a été au terme de la mise en concurrence.
En effet, la question du temps long s’est posée dès l’origine du projet. Les enjeux étaient nombreux : usine à réhabiliter, savoir-faire à « ressusciter », services culturels à créer pour attirer les visiteurs du sentier voisin des ocres, modèle économique à inventer et acteurs locaux à convaincre, rien de moins.
L’obtention de la délégation de service public y a incontestablement contribué, en donnant un horizon (vingt ans) de long terme. Dès sa publication, le statut de coopérative d’intérêt collectif a très rapidement semblé particulièrement adapté à leur projet aux dirigeants d’Ôhkra. Ils y ont vu une manière de durablement embarquer l’ensemble de leurs parties prenantes. « Après une année de rencontres et de séminaires entre les salariés, les entreprises, les artisans, les artistes, la commune, le parc naturel, les bénévoles et les habitants, la SCIC est créée. Celle-ci permettait d’intégrer toutes les parties prenantes au sein de la même structure juridique, ce qui prolongeait bien notre pratique associative et ouvrait ainsi une nouvelle dynamique territoriale », en dit Mathieu Barrois.
Au demeurant, c'est grâce à la force de ce sociétariat que la SCIC a trouvé l’énergie collective indispensable pour répondre aux contraintes imposées par la seconde DSP qui, de façon paradoxale, accordait, certes du temps au temps mais faisait également peser une très forte contrainte économique en fixant pour règle une redevance annuelle de 5 % du chiffre d’affaires de l’entreprise et une part fixe d’entrée en affermage de 150 000 € sans aucun versement de la collectivité au délégataire pour sujétion de service public.
Aujourd’hui, Ôhkra réalise un chiffre d’affaires de 600 000 €, emploie 8 salariés en équivalent temps plein, compte 260 coopérateurs, dont 40 salariés et intervenants, 40 fournisseurs, 50 partenaires, 124 particuliers et 6 collectivités territoriales que sont les communes de Roussillon et de Rustrel, la communauté de communes du Pays d’Apt-Luberon, le parc naturel régional du Luberon, le département de Vaucluse et la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Ensemble, ces collectivités détiennent 31 % du capital social qui s’élève au total à 239 000 €. Des entreprises de référence (telle la Société des ocres de France) sont également sociétaires de la SCIC. Son offre de services est large : visites-animations et valorisation du patrimoine de l’usine Mathieu et des matériaux de la couleur ; formation pratique artisanale, artistique et scientifique, notamment avec le CNRS qui co-anime depuis 15 ans « L’École interdisciplinaire sur la couleur », stages, ateliers, comptoir-librairie et vente à distance, centre de ressources (archives, bibliothèque, « matériauthèque ») mais aussi, afin de marquer son insertion dans le champ de l’ESS, conseilingénierie auprès de dirigeants culturels ou de l’économie sociale et solidaire. Elle vise un public aussi varié : professionnels, chercheurs, touristes et grand public, écoliers et étudiants, entreprises…
Elle reçoit chaque année 30 000 visiteurs (dont 6 000 scolaires) et propose 130 journées de stage annuelles et 3 500 ouvrages sur la couleur depuis le XVIe siècle, 15 000 échantillons et produits manufacturés sont quelques caractéristiques de la coopérative.
Si le modèle économique reste très fragile, le bilan est largement positif. Ôhkra fait la démonstration (notamment auprès des collectivités locales) de la possibilité de maintenir un patrimoine vivant, en s‘appuyant sur une forme d’entreprise encore innovante au modèle économique pérenne, économe des deniers publics, dans un cadre éthique et responsable, voire démocratique. Pour autant, le dialogue reste souvent vif avec les collectivités « qui doivent passer du « faire » ou du « faire-faire » au « faire avec » » (Mathieu Barrois), en prenant en compte les contraintes économiques et la recherche de complémentarités territoriales entre acteurs publics et privés.
Elle a également permis la préservation et la transmission de savoir-faire industriels tant auprès d’un large public que des professionnels ou des scientifiques, sans compter la création de la dizaine d’emplois permanents.
Ôkhra a activement contribué à l’obtention du label de pôle d’excellence rurale « couleurs matières – couleurs lumières » pour les communautés de communes d’Apt et Pied Rousset, favorisant ainsi le financement européen de projets locaux. Elle participe ainsi à la structuration de la filière ocrière en Provence-Alpes-Côte d'Azur et à la création d’entreprises ou de services liées à cette filière : « les ocres à vélo » , une SARL de gestion des mines d’ocres Arcano, le cabinet conseil Culture couleur, et une nouvelle société, la Coopérative des Couleurs, pour développer la fabrication de produits des beaux-arts à colorants naturels « made in Luberon » que le « PTCE » a contribué à formuler.
Depuis 2015, consécration de ce rôle structurant, Ôkhra porte le pôle territorial de coopération économique (PTCE) « matières & couleurs Luberon-Provence » qui vise à structurer l’ensemble de la filière couleurs (minérales et végétales) durables en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, tout en promouvant un tourisme plus éco-responsable dans une région soumise à une forte pression touristique.
Au travers d’activités de recherche et développement (innovations technologiques sur les propriétés de la couleur et innovations sociales par la promotion de la coopération), de marketing valorisant le territoire, de production de produits et de services nouveaux, de promotion, grâce à des événements festifs notamment, et de formation pour la création d’emplois qualifiés, l'ambition en est un changement d’échelle et la création de valeur, pas tant des seules entreprises de l’économie sociale et solidaire mais de l’ensemble de la filière, au service du développement du territoire dont la « couleur » fait largement partie de l’identité régionale.
Au-delà des premiers effets de structuration de la filière, il est encore trop tôt pour mesurer les résultats et effets du PTCE sur la filière ocrière mais il ne l’est pas pour souligner l’intérêt que peut prendre la forme juridique de la SCIC pour favoriser la construction de projets contribuant à la résilience et à « l’encapacitation » du territoire dès lors que le projet commun est durablement partagé par le multi-sociétariat et que chacun y trouve son compte.
C’est tout l’enjeu de la gouvernance des SCIC que de constamment s’assurer du maintien de l’intérêt de chacun pour le projet commun par la satisfaction de ses intérêts propres ayant mené à la participation au projet commun, dans le cadre contraint d’un modèle économique pérenne car l’une des promesses de la SCIC est bien cette tension entre intérêt collectif, intérêts particuliers et régulation économique. C’est tout l’art de la maïeutique (maieutikê en grec) que doivent pratiquer les dirigeants des SCIC.
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