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2015 : une année dure pour les droits des handicapés
Alain Rochon, président de l'Association des paralysés de France (APF) fait le bilan dans une interview exclusive de cette année anniversaire de la loi de 2005 et les « accomodements » votés cette année à l'occasion de la loi ratifiant l'ordonnance sur l'accesibilité de septembre 2014.
Pour lui, 2015 restera une année dure pour les droits des handicapés. Il est regrettable que l'APF doive consacrer plus d'énergie à sauvegarder les droits existants qu'à en conquérir de nouveaux, s'irrite Alain Rochon. Cela révèle que la politique du handicap est loin de constituer une priorité du gouvernement.
Pour vous, cette année aura été une année de forte mobilisation, notamment sur la lancinante question de l'accessibilté, malgré les engagements de la loi de 2005.
Effectivement, en 2015, l'APF aura dû batailler contre plusieurs textes visant à faire reculer les droits des handicapés, que ce soit sur l'accessibilité, les MDPH, l'emploi ou encore l'AAH. D'autres, en revanche, se sont traduits par quelques avancées.
Mais la première moitié de l'année aura été marquée par les actions de l'APF contre le projet de loi ratifiant l'ordonnance sur l'accessibilité du 26 septembre 2014. Avec pour point d'orgue, le 6 juillet, le dépôt à l'Assemblée nationale de la liste de 232 000 personnes ayant signé la pétition lancée par l'APF, seize mois plus tôt, pour dire oui à l'accessibilité. Le jour même où les députés examinaient « le texte de la honte ».
Plus tôt dans l'année, le collectif pour une France accessible, dont l'APF est à l'origine, avait profité de la date anniversaire de la loi du 11 février 2005 pour appeler ses membres à manifester partout en France. Une nouvelle journée d'actions avait été organisée, le 27 mai. Mais jusqu'au bout, les parlementaires auront fait la sourde oreille. Les 21 et 22 juillet, les députés puis les sénateurs ont adopté le texte. Tout juste ont-ils concédé, sous la pression, quelques amendements à portée limitée.
Début décembre, le collectif a dénoncé « la faillite » du dispositif des agendas d'accessibilité programmée (AD'AP) : plus d'un mois après la date limite de dépôt, 40 % des établissements recevant du public ne sont pas couverts par un AD'AP. C'était prévisible puisque les sanctions sont quasi-inexistantes.
L'APF a appelé ses représentants en CCDSA à émettre un avis défavorable sur tout dossier invoquant l'un des trois motifs de dérogation automatique créé par l'ordonnance et ses textes d'application (refus des copropriétaires etc.). Par ailleurs, elle vient de publier un guide pratique pour que les citoyens confrontés à l'inaccessibilité puissent facilement porter plainte. La réglementation a certes été allégée mais elle doit continuer de s'appliquer et l'APF y veillera.
Dans le cadre de la loi d'adaptation de la société au viellement, quelle est votre appréciation sur l'incitation à créer des maisons de l'autonomie (MDA) ?
De vraies maisons pour une vrai compensation... C'est l'autre combat au long cours de l'année 2015 : celui contre l'article 54 ter du projet de loi d'adaptation de la société au vieillissement (PL ASV), adopté par le Parlement en décembre. Car il constitue, dans les faits, un appel à créer des maisons de l'autonomie, regroupant les handicapés (et donc leur MDPH) et personnes âgées. Pourtant, les réglementations et les dispositifs sont très différents d’une population à l’autre.
En mars, l'association avait donc lancé la pétition « Touche pas à ma MDPH ! », qui a récolté près de 40 000 signatures. Cela n'a pas suffi à persuader les parlementaires de retenir ses propositions alternatives. Ils ont toutefois ajouté un amendement garantissant des évaluations et des plans d'aide distincts. L'APF va poursuivre sa mobilisation en proposant un groupe de travail national au sein du comité d’entente. Cela permettra de renforcer les prises de positions inter-associatives auprès de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie mais aussi au sein des commissions exécutives, qui administrent les MDPH. Notre objectif est désormais de parvenir à endiguer autant que possible la création de MDA et la main-mise des départements sur les MDPH.
Pour les aidants, l'examen du PL ASV a permis d'obtenir quelques avancées : le congé de soutien familial, devenu congé de proche aidant, ne sera plus réservé aux seuls membres de la famille et il est étendu aux aidants de personnes âgées ou handicapées placées chez un tiers ou en établissement.
Enfin, le Parlement a validé la création de conseils départementaux de la citoyenneté et de l'autonomie. L'APF est l'un des concepteurs de ces nouveaux acteurs de la gouvernance des politiques concernant toutes les dimensions de la vie des personnes concernées par le handicap ou la perte d'autonomie.
Le projet de loi de finances 2016 ont suscité des réactions de votre part.
En fait, fin septembre, l'APF a découvert dans le projet de loi de finances (PLF) une mesure inique : les intérêts de l'épargne non imposable seront pris en compte pour calculer le droit à l'allocation pour adulte handicapé. Une menace pour les allocataires de l'AAH. L'APF a aussitôt alerté le secrétariat d'État aux handicapés, qui n'a pas réagi. Elle a donc lancé une pétition qui a recueilli près de 50 000 signataires en quelques jours. Les médias se sont emparé de l'affaire et, le 3 novembre, le gouvernement a finalement reculé. C'est une victoire importante mais nous restons extrêmement vigilants sur l'AAH car ce sujet pourrait revenir à la faveur de la mission sur la réforme des minima sociaux confiée à un député, dont les conclusions sont attendues en mars.
L'APF conteste également une autre mesure du PLF, qui sera adoptée d'ici la fin de l'année : la dégressivité de l'aide personnalisée au logement (APL) « à partir d’un certain plafond de loyer », qui serait jugé excessif par rapport aux capacités du ménage. Or, de nombreux handicapés ont besoin d’un logement plus grand pour pouvoir l’adapter ou bien loger leur(s) tierce(s) personne(s). Le manque d’accessibilité du parc social les condamne également souvent à se rabattre sur un logement plus coûteux, faute de choix.
Par ailleurs, l'APF a convaincu Bercy de prendre en compte la situation des travailleurs percevant l'AAH, pour la fusion de la prime pour l'emploi et du RSA activité. Cette nouvelle prime d'activité sera versée aux personnes percevant une faible rémunération (jusqu'à 1,3 fois le SMIC net). Le gouvernement s'est engagé à faire en sorte qu'à revenu global équivalent, les travailleurs allocataires ne soient pas désavantagés par rapport à un travailleur ne bénéficiant pas de l'AAH. Il a également revu sa copie pour que les usagers d'ESAT puissent en bénéficier. Dont acte.
Au fil des ans, on a constaté une augmentation de plus en plus importante des demandeurs d'emplois parmi les handicapés. Quel rôle peut jouer l'APF en ce domaine ?
L'APF ne reste pas inactive face à l'explosion du nombre de chômeurs handicapés. Elle a profité de la semaine pour l'emploi pour diffuser un dossier de presse : ses propositions (plan pluriannuel etc.) ont été largement reprises dans la presse.
Quelques semaines plus tôt, elle avait signé une convention avec l'AGEFIPH, visant à offrir des solutions concrètes au service de l’insertion professionnelle des handicapés et des employeurs du secteur privé.
Enfin, elle s'est opposée à certaines dispositions de la loi Macron, adoptée en août. Elles diversifient en effet les moyens d'atteindre l'objectif de 6 % de travailleurs handicapés plutôt que de favoriser l'emploi direct. Mais ses amendements n'ont pas été retenus.
L'APF a toujours affirmé sa volonté de défendre l'dée d'une société inclusive.
Effectivement, pour nous, il importe de rendre déjà l'école plus inclusive.
On notera que la rentrée 2015-2016 a été marquée par l'entrée en vigueur de nouvelles mesures inclusives. En élémentaire, les nouvelles unités localisées pour l’inclusion scolaire (ex-CLIS) continueront de dispenser un enseignement adapté mais les élèves iront, aussi souvent que leurs capacités le permettent, dans leur classe ordinaire de référence. L’externalisation de 100 unités d’enseignements des établissements sociaux et médico-sociaux vers les établissements scolaires suit la même logique inclusive.
Que pensez vous de la notion de « double orientation » par les MDPH, contenue dans le projet de loi de modernisation de la santé ?
On trouve de tout dans le projet de loi de modernisation de notre système de santé, adopté en décembre. Notamment un article mettant en place la double orientation, par les MDPH.
Le plan personnalisé de compensation comprendra désormais une orientation « idéale » mais aussi, si nécessaire, une orientation réalisable en fonction des ressources existantes, formalisée dans un plan d’accompagnement global (PAG). Ce PAG serait notamment proposé lorsque l’orientation souhaitée n’est pas possible, par manque ou défaut de places.
Une première mouture de cet article avait été présenté par les députés, en première lecture, puis retiré, sous la pression de l'APF, entre autres. Elle n'offrait pas suffisamment de garanties. Le gouvernement a donc travaillé, en concertation avec les associations, à une nouvelle rédaction, prenant mieux en compte les besoins des handicapés. Nous avons limité les dégâts mais la droit à une prise en charge adaptée restera théorique tant que le problème du manque de places n'aura pas été résolu. Se pose également la question des moyens des MDPH : elles vont devoir mettre en place un dispositif d'orientation plus complexe, alors qu'elles croulent déjà sous les dossiers.
À savoir
La compensation en baromètre
En juillet, l'APF a mis en place le premier baromètre de la compensation du handicap. Sur compensationhandicap.fr, les bénéficiaires de la prestation de compensation du handicap (PCH) peuvent évaluer ce dispositif, grâce à un questionnaire en ligne. Les données agrégées permettront de dresser des états des lieux départementaux et nationaux. Le droit à compensation sera l'un des thèmes majeurs d'action de l'APF en 2016.