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Vers un revirement de la Cour de cassation en matière de réparation du préjudice ?
Par un arrêt d’importance qui fera l’objet d’une publication au rapport annuel de la Cour de cassation (Cass. soc., 13 avril 2016, n° 14-28293 PBR), les Hauts Magistrats semblent revenir sur une jurisprudence fondamentale selon laquelle certains manquements de l’employeur causent « nécessairement » un préjudice au salarié, ce dernier n’ayant donc pas à en rapporter la preuve pour bénéficier d’une réparation.
En l’espèce, un salarié de la société RQS a saisi le conseil de prud’hommes de Lisieux aux fins de remise, sous astreinte, de divers documents (certificat de travail et bulletins de paie), lesquels ont été remis lors de l’audience de conciliation ainsi que la condamnation de l’employeur au paiement de dommages et intérêts en réparation de cette remise tardive.
Les conseillers prud’hommes ont débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour le motif, d’une part, que l’employeur lui avait remis lesdits documents lors de l’audience de conciliation et, d’autre part, que le salarié ne rapportait aucun élément sur le préjudice qu’il aurait subi du fait de cette remise tardive.
Ce dernier s’est alors pourvu en cassation s’appuyant sur une jurisprudence constante de la Haute Cour, selon laquelle la seule méconnaissance par l’employeur de son obligation légale constitue un préjudice sans qu’il soit nécessaire de justifier de l’existence réelle de celui-ci.
Ainsi, à l’instar de la jurisprudence existante (Cass. soc., 17 septembre 2014, n° 13-18850 au sujet de la délivrance de l’attestation de Pôle Emploi ; Cass. soc., 13 juin 2007, n° 06-41189 concernant la délivrance de l’attestation de Pôle Emploi et du certificat de travail), le salarié prétendait que la non-délivrance ou la délivrance tardive des certificats de travail et bulletins de paie cause nécessairement un préjudice que le juge doit réparer sans que le salarié n’ait à en prouver la réalité.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par le salarié : « Mais attendu que l’existence d’un préjudice et l’évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond ; que le conseil de prud’hommes, qui a constaté que le salarié n’apportait aucun élément pour justifier le préjudice allégué, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ».
Pour les Hauts Magistrats, le retard dans la remise du certificat de travail et de bulletins de paie ne génère pas par lui-même un préjudice. Il appartient donc au salarié de rapporter l’existence d’un préjudice s’il souhaite obtenir des dommages et intérêts.
Au-delà de la simple violation par l’employeur de ses obligations en matière de remise des documents précités qui n’a donc, en l’espèce, pas fait l’objet d’une condamnation, il est à craindre, eu égard à la généralité de l’attendu de cet arrêt et de sa publication au rapport annuel, une véritable remise en cause de la jurisprudence en vertu de laquelle certains manquements de l’employeur causent « nécessairement » un préjudice.
La Cour de cassation admettait jusqu’alors l’existence d’un préjudice automatiquement constitué dans divers domaines.
Tel est le cas, par exemple, en cas d’absence d’information sur la convention collective applicable (Cass. soc., 4 mars 2015, n° 13-26312), en cas de défaut de mention de la priorité de réembauche dans la lettre de licenciement (Cass. soc., 14 septembre 2010, n° 09-41238), en cas de stipulation d’une clause de non-concurrence nulle (Cass. soc., 12 janvier 2011, n° 08-45280) etc.
Il y a tout lieu de croire que la chambre sociale de la Cour de cassation veuille en finir avec la reconnaissance d’un « préjudice automatique » rejoignant ainsi la position des autres chambres de la Haute Juridiction.
Dans le doute, il est dorénavant vivement conseillé d’apporter aux juges du fond des éléments susceptibles de justifier de la réalité du préjudice allégué.