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05 / 06 / 2014 | 4 vues
Sylvain Thibon / Membre
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Valeur de l’action ou résultat financier : et si nous prenions l’emploi comme critère du développement et de réussite ?

À l'heure de la réorganisation globale du groupe Vivendi et de sa scission qui sera actée dans quelques jours à l'assemblée générale des actionnaires du 24 juin, il nous semble intéressant de poser la question sociale comme élément déterminant pour le futur du groupe.

Depuis des années, le cours atone de l’action Vivendi aurait décidé du sort du groupe Vivendi et de sa scission finalement actée par la vente de SFR à Numéricable. Ce serait donc pour satisfaire les actionnaires que l’on aurait décidé du sort de l’une des plus grandes entreprises française, un fleuron reconnu sur le plan mondial pour certaines de ses activités comme UMG ou Activision Blizzard et dans l’Hexagone avec SFR et Canal+. Pour l’instant, le résultat de cette opération n’est pas probant, le cours de l’action Vivendi reste à des niveaux décevants. Il est vrai que l’opération est en cours et qu’elle devrait se finaliser en fin d’année, une fois franchis les obstacles juridiques, en particulier les injonctions de l’autorité de la concurrence.

Cette opération de restructuration des actifs de Vivendi fait également suite à l’arrivée d’un 4ème opérateur, Free Mobile, qui a déstabilisé tout le secteur des Telecom et cassé une dynamique industrielle qui faisait de la France une référence en matière de développement et d’investissement dans ce secteur. Une arrivée qui n'a pas été anticipée et qui a plongé SFR dans un marasme inquiétant, finalement inacceptable pour certains responsables du groupe Vivendi. L’occasion était trop belle pour ne pas la saisir : certains ont claqué la porte, d'autres s'y sont engouffrés.

Pression sur l'emploi 

L’opération en cours vise également à rétablir des « marges financières » que nos dirigeants trouvent aujourd’hui trop faibles. Selon eux, 15, 20, 30% ou plus de rentabilité, ce sont des objectifs atteignables mais à quel prix ? Dans le contexte actuel de stagnation ou de contraction du chiffre d’affaires, le maintien a minima du résultat financier impose de réduire les voilures et d’opérer des coupes sombres dans les budgets déjà sous pression depuis des années. Ainsi s’explique par exemple à Canal+ la délocalisation de la relation clients en « off-shore » au Maroc pour nos prestataires installés il y a encore 2 ans en France. Ainsi s’explique aussi la pression sur l’emploi de plus en plus forte et que chacun peut constater ou subir dans son organisation de travail. Les conséquences sont connues, augmentation de la productivité, désorganisation, risques psychosociaux accrus.

On veut de l'argent ! L’opération réalisée par la vente de SFR à Numéricable permettra au nouveau groupe Vivendi organisé en « pôle médias » de retrouver des couleurs financières et des marges de manœuvre importantes.

Tout de même, 5 milliards d’euros pour les actionnaires ! La vente de SFR devrait rapporter au final 13,5 millions d'euros à Vivendi. Cette manne permettra de désendetter totalement le groupe et de distribuer un dividende exceptionnel de près de 3,5 millions d’euros aux actionnaires… Une somme colossale qui, malheureusement, ne sera pas utilisée pour favoriser le redéploiement industriel du nouveau Vivendi mais seulement servir les intérêts des actionnaires (notamment les minoritaires qui représentent plus de 60 % du capital de l’entreprise). Des actionnaires pour la plupart américains, ceux-là même qui soutiennent aussi certainement le développement d'activités concurrentes sur nos territoires... 

Mais sait-on ce que veulent les actionnaires ? Sans majorité significative, tout le monde interprète en fonction de ses propres intérêts : tant qu’il n’y a pas de conflit à l’assemblée générale annuelle ou l’art subtil de la gouvernance ! Il faut espérer de ce point de vue que nos dirigeants gardent les pieds sur terre pour conduire l’avenir du groupe non en fonction des coups de vent économiques mais avec des idées directrices fortes…

Attention au court-terme

De toute évidence, ce n’est pas quand chaque acteur économique cherche à maximiser ses gains personnels que l’on obtient le profit global maximum, les tenants de l’ultralibéralisme n'ont qu'à bien se tenir… Non que cette approche n’ait pas fait ses preuves puisque les pays anglo-saxons qui l’appliquent sont plutôt performants mais parce que rien ne permet d’affirmer que l’on ne peut pas faire mieux avec une d’autres priorités.

Quelle stratégie pour le futur Vivendi ? Vouloir de l'argent pour se désendetter ou servir l’actionnaire reste une stratégie financière de court terme qui se justifie quand la dette vient ponctionner les résultats et effrayer les boursicoteurs. Ce n’est en aucun cas un projet industriel. Cette stratégie devrait être clarifiée et exposée lors de la prochaine assemblée générale, fin juin. Les actionnaires devront l'approuver comme ils devront approuver les nominations des nouveaux dirigeants qui seront en charge de la mettre en œuvre. 

Cherche-t-on à réaliser des plus-values importantes à court terme ou, au contraire, veut-on construire une entreprise solide, européenne, capable d’affronter les mastodontes américains et de participer à la préservation d’un modèle culturel indépendant et puissant sur nos territoires ? Nous verrons et nous jugerons.

C’est pourquoi, dans ce contexte révolutionnaire, plutôt que de se concentrer exclusivement sur le rendement financier pour l’actionnaire ou la rentabilité de court terme, nous pourrions orienter notre stratégie autour d’une idée directrice forte : le développement et le maintien de l’emploi en France.

Organiser le futur du groupe autour de ses pôles en métropole ne serait pas une idée ringarde mais une idée plutôt noble car de bon sens. C’est d’ailleurs ce bon sens que développent  inexorablement nos amis allemands depuis quelques années. Leur économie se porte beaucoup mieux, le taux de chômage est bien moindre et « leur marché du travail jouera un rôle significatif pour tirer l'économie intérieure allemande, en particulier à travers la consommation privée », pronostique même Natixis.

Sur le plan social, les premières conséquences des bouleversements opérés dans le secteur des télécoms se traduisent malheureusement par des milliers de suppressions d'emplois. L'ARCEP, l'autorité de régulation des communications électroniques et des postes, a publié mercredi 28 mai les résultats de son observatoire sur l'emploi. L'ARCEP indique qu'en 2013, le secteur a supprimé 4 000 emplois. Une saignée qui pourrait se poursuivre en 2014 alors que Bouygues Télécom annonce déja un nouveau plan de licenciements.  

Critères majeurs du pilotage

Dans ces conditions, au lieu du simple résultat net annuel comme orientation stratégique, et pour éviter une catastrophe sociale, la pérennité des activités et de l'emploi devraient être intégrés comme critères majeurs du pilotage du nouveau groupe. Une démarche populaire mais surtout efficace car un salarié qui sait que son devenir dans l’entreprise est une préoccupation du management cesse d’être un mercenaire pour devenir un  acteur…

Le projet, quel projet ? Financier ou industriel, nous devrions bientôt être fixés. Ou bien le modèle s’oriente vers la maximisation de profits de court terme et tout serait à craindre pour l’avenir de nos activités comme pour l’emploi ou bien c'est au contraire une orientation résolument industrielle afin de construire et développer une entreprise solide en France, en Europe et au-delà. Nous devrions alors en percevoir les retombées sociales assez rapidement. Car dans le premier cas, je licencie pour diminuer la masse salariale, j’arrête les dépenses d’investissement avec pour première conséquence d’hypothéquer l’avenir. Dans le second, je parie sur l'avenir et je développe mes activités en embauchant.

Dans ce contexte, maintenir l’emploi en France pourrait être une saine orientation pour le nouveau groupe. Défendre ses intérêts est la première des sagesses et l’universalité s’arrête aux portes de Pôle Emploi. Que veut-on vraiment ? Être « pauvre » comme tout le monde ? Sombrer de façon égalitaire ? Aller travailler en Chine ?

En développant ces nouvelles priorités sociales en France au-delà de la maximisation du profit de court terme et du résultat net comme seules boussoles managériales, Vivendi y gagnerait en responsabilité sociale. L’entreprise ouvrirait alors de nouveaux horizons industriels, elle serait en capacité de mobiliser une armée de salariés motivés capables de remporter les futures et rudes batailles que nous allons devoir affronter dans un proche avenir.

L’emploi comme orientation stratégique et facteur de réussite ? Et s'il n'y avait pas d'autre alternative ?

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