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SAP : le fiasco du vote électronique
Lors des dernières élections professionnelles chez SAP, le vote électronique n’a pas permis d’atteindre le quorum au premier tour. Pourtant, la direction s’était acharnée et ses syndicats partenaires en étaient obsédés : les élections professionnelles se dérouleraient selon un processus électronique exclusif.
Le tribunal jugera notamment si l’employeur peut disposer des moyens d’authentification de tous les salariés
Ce résultat peut être considéré comme un fiasco car le processus électoral fait, en plus, l’objet d’un contentieux sur trois points. Le tribunal d’instance de Courbevoie l’arbitrera après l’audience du 5 décembre 2016. Le tribunal jugera notamment si l’employeur peut disposer des moyens d’authentification de tous les salariés.
Inefficacité d’un vote électronique
En 2010, 68 % des 1 500 salariés de l’UES SAP avaient voté dès le premier tour. Le scrutin avait été organisé classiquement, avec des urnes transparentes, sur 3 sites différents de la région parisienne. Comme aujourd’hui, les salariés étaient des commerciaux, des consultants, des formateurs, des développeurs, des administratifs, des itinérants ou des sédentaires. Le vote s’était déroulé en une seule journée, pendant les horaires normaux de travail, dans les locaux de l’entreprise. Il suffisait que les salariés prennent l’ascenseur pour aller voter. Ils devaient s’authentifier lors du vote physique par leur carte d’identité.Résultats 2010 : au premier tour, 68 % de participation. Le quorum avait été atteint ; la représentativité syndicale se jaugeait sur 68 % des salariés. Un second tour avait été organisé sur les postes restés vacants
En 2016, après moult péripéties juridiques, les 1 500 salariés de l’UES SAP rassemblés dans une même tour de 22 étages à Levallois (moins de soixante sont en province) avaient été appelés à voter de façon électronique. Seuls 52 % d’entre eux avaient participé au second tour du scrutin. Celui-ci s’était étalé du jeudi 13 octobre 2016 à 14h00 au mardi 18 octobre à 14h00. Les salariés devaient se connecter sur un site internet grâce à des codes d’authentification, qui leur avaient été adressés par simple courrier (voir pièce jointe).
Résultats 2016 : au premier tour, 49 % de participation. Un second tour avait été organisé mais seuls 52 % des salariés y avaient participé.
Soupçons autour du vote électronique
Interrogés pendant les 5 jours du déroulement des opérations électorales, de nombreux salariés nous ont rapportés ne pas savoir s’ils avaient reçu leurs codes d’authentification ou pas. Certains prétendaient les avoir égarés, d’autres ne savaient pas.Un processus de substitution avait été organisé par l’employeur SAP pour permettre aux salariés de demander de nouveaux codes d’authentification. Dans plusieurs courriels d’information interne, la direction SAP indiquait :
« Si vous n’avez pas reçu votre identifiant ou mot de passe, merci de nous avertir sans délai, à l’adresse e-mail : xxx . Un matériel de substitution vous sera alors adressé ».
Le bureau de la DRH remettait alors au salarié une enveloppe cachetée, identifiée par un numéro de série, contenant les nouveaux codes d’authentification.
Nous avons beau lire et relire le protocole d’accord électoral, nous ne trouvons aucune mention de ce processus de substitution.
Toutefois, deux questions fondamentales se posent :
- tous les salariés électeurs ont-ils reçu leurs codes d’authentification ?
- l’employeur SAP pouvait-il disposer légitimement des codes d’authentification des salariés ?
Enfin, plusieurs salariés nous ont rapporté de ne pas avoir voté pour des raisons d’absence de confidentialité. Il ne faut pas s’étonner qu’un informaticien soit suffisamment lucide sur la confidentialité des processus électroniques.
Le vote électronique ne garantit pas la sécurité juridique des opérations électorales.
Parmi les plus ou moins bonnes raisons qui motivent les employeurs à avoir recours au vote électronique, il y en une qui invoque une meilleure sécurité juridique des opérations électorales.
L’élection électronique est confiée à des experts, l’électeur perd son pouvoir de contrôle.En effet, la surveillance du processus électoral devient beaucoup plus complexe, l’identification des irrégularités également. Le vote électronique est une boîte noire, une urne virtuelle bien opaque, qui ne peut être surveillée que par des personnes très qualifiées. Le salarié électeur lambda ne voit plus rien ; le syndicaliste scrutateur en est réduit à croire ou ne pas croire les « experts attitrés » et payés par l’employeur. On a bien là un déficit démocratique. L’élection électronique est confiée à des experts, l’électeur perd son pouvoir de contrôle.
Cependant, malgré toutes ces facilités, SAP a réussi à rendre les élections professionnelles 2016 contestables.
La CGT@SAP a saisi le tribunal d’instance de Courbevoie afin d’annuler le second tour des élections professionnelles. Parmi les motifs ayant incité la CGT à agir, deux nous semblent fondamentaux.
Une délibération de la CNIL (n° 2013-091 du 11 avril 2013) est claire sur ce sujet. Traitant l’envoi des identifiants et des mots de passe permettant le vote et adressés ensemble par simple courrier ou par courrier électronique, la formation restreinte de la CNIL considère, « qu’en l’absence de mesures permettant de s’assurer que seul l’électeur aura accès aux moyens de vote ou destinées à séparer l’identifiant du mot de passe, les exigences de confidentialité prévues par le décret (…) ne sont pas satisfaites ».
En l’espèce, SAP ne s’assure pas que tous les salariés ont les moyens de voter. SAP ne prévoit pas d’accusé de réception pour les envois des codes d’authentification. Mais en plus, SAP n’envoie même pas les codes d’accès de façon séparés !
Ainsi, le courrier portant les deux codes montrent un papier à en-tête SAP et un lieu de rédaction ou d’impression : Levallois-Perret, siège social de SAP en France (voir pièce jointe). De ce fait, il est évident que SAP a disposé des moyens d’authentification de tous les salariés à un moment donné du processus électoral. L’expédition postale a pu être effectuée par le prestataire mais le lieu d’affranchissement ne compte pas en matière de confidentialité. C’est le lieu où les codes peuvent être réunis qui détermine ou non la confidentialité.
Chez SAP, la direction sait-elle organiser des élections professionnelles sincères ?
Depuis 2006, pratiquement toutes les élections professionnelles chez SAP France font l’objet de contentieux. La plupart sont annulées. Les élections de 2010 n’ont pas été annulées car le syndicat contestataire, qui avait délibérément été écarté de la négociation du protocole, n’avait pas su se pourvoir correctement au tribunal. Une chance pour la DRH de l’époque !
En matière sociale, comme beaucoup de multinationales, SAP est « border line ». SAP franchit la frontière régulièrement. Nous avons tort de le tolérer trop souvent.
On s’étonnera enfin que le directeur des relations sociales, chargé de l’organisation de ces élections depuis 2014 et qui avait dû représenter plusieurs fois SAP devant un tribunal dans ce domaine, ait rompu son contrat de travail fort opportunément.
Son dernier jour chez SAP s'est passé le jour de la clôture des élections professionnelles. Sans doute n’a-t-il pas voulu assumer un certain nombre d’irrégularités que sa hiérarchie directe ou indirecte lui avait imposées : comme l’élection d’un membre du conseil de surveillance du groupe SAP au comité d’entreprise de sa filiale française. Mais c’est une autre histoire et un prochain article.