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Réforme de l’enseignement professionnel : de la qualification aux compétences
Le gouvernement prétend viser l’excellence en matière d’enseignement professionnel scolaire. Soit. Va-t-il rouvrir les dizaines de lycées professionnels fermés ces trente dernières années (une quarantaine à Paris depuis 1980, par exemple, soit à peu près un par an) ? Absolument pas. Va-t-il, puisqu’il faut améliorer l’orientation vers la voie professionnelle pour en valoriser l’attractivité et mieux informer les élèves et les parents, donner davantage de moyens aux centres d’information et d’orientation (CIO) de l’Éducation nationale ? Surtout pas. Il a au contraire prévu de tous les fermer.
En réalité, l’enseignement professionnel est dans le viseur du gouvernement et les tirs sont multiples. Parmi ces scuds, le projet de loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel ».
Quel est l’enjeu ? Evelyne Salamero fait le point cette semaine pour la revue FO Hebdo.
Si à ce jour, le Ministre de l’Éducation n’a fait que présenter les grandes lignes d’un projet de transformation du lycée professionnel, l’adoption de la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » portée par la Ministre du Travail Muriel Pénicaud est en revanche prévue pour la fin juillet ou le début août, dans le cadre d’une procédure accélérée. D’ici là, le projet voté par les députés le 19 juin est entre les mains des sénateurs.
Les projets gouvernementaux s’appuient sur le rapport « La voie professionnelle scolaire, viser l’excellence », remis au gouvernement le 22 février 2018 par Céline Calvez (députée des Hauts-de-Seine) et Régis Marcon (cuisinier restaurateur 3 étoiles, donc employeur), dans le cadre de la mission que leur avait confiée le Ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Une logique inverse à celle qui a mené à la négociation des conventions collectives
Le leitmotiv de ce rapport et des projets gouvernementaux qui s’en inspirent est la compétence, essentiellement basée sur le savoir-être (fiabilité, capacité de travailler en équipe, disponibilité, capacité d’adaptation…), ce qui, dénonce la fédération FO de l’enseignement, de la culture et de la formation professionnelle (FNEC-FP FO), s’oppose à la qualification, basée sur le savoir-faire technique.
C’est la logique inverse à celle qui a mené à la négociation de conventions collectives et de statuts structurés sur la base de classifications fondées sur des diplômes nationaux et titres professionnels, garants d’égalité de traitement des salariés en termes de rémunération, de progression de carrière et de non-discrimination (notamment à l’embauche) par leur caractère objectif d’obtention, souligne la fédération FO. Une logique qui ouvre la voie à la polyvalence et à la rémunération au mérite.
Il n’y a pas de hasard. Le patronat a donné la définition suivante de la compétence lors des journées de Deauville du CNPF (devenu depuis le MEDEF) en 1998 : une combinaison de savoir-faire, expériences et comportements s’exerçant dans un contexte précis, qui se constate lors de la mise en œuvre en situation professionnelle à partir de laquelle elle est validable. Pour les employeurs, c’est donc à l’entreprise qu’il appartient de repérer la compétence, de l’évaluer, de la valider et de la faire évoluer.
Pour ce faire, il faut logiquement permettre aux entreprises d’entrer dans le système scolaire dès la formation initiale. C’est précisément ce à quoi s’emploie la Ministre du Travail.
Le métier des entreprises n’est pas d’enseigner
Ainsi, en vertu du projet de loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », l’Éducation nationale ne détiendrait plus le monopole des diplômes (CAP, bac pro, BTS…). Le répertoire national des certifications professionnelles serait placé sous l’autorité exclusive d’un nouvel établissement public, France Compétences, composé des représentants des branches professionnelles et qui devrait œuvrer en fonction des besoins sectoriels et territoriaux des professionnels.
De plus, en vertu de l’article 10 du projet de loi, l’orientation des élèves serait transférée aux régions. On comprend pourquoi les centres d’information et d’orientation (CIO) de l’Éducation nationale tomberaient en désuétude, ce qui justifie le plan déjà annoncé de fermetures de ces structures.
Il est également prévu d’amender le code de l’éducation pour autoriser la formation par apprentissage au sein des lycées professionnels. Faut-il rappeler que dans le cadre de l’alternance en apprentissage, le jeune n’est plus un élève mais un salarié apprenti, lié à son employeur par un contrat de travail ?
Les moyens doivent être donnés à l’Éducation nationale plutôt qu’aux entreprises
Pour le syndicat FO de l’enseignement professionnel (SNETAA-FO, FNEC-FP) qui s’oppose à cette mixité des parcours et des publics [élèves et apprentis salariés, NDLR], l’apprentissage n’est pas la solution à l’échec scolaire, au chômage, à la montée en puissance de la délinquance ou à la fragmentation de la société. Les moyens doivent être donnés à l’Éducation nationale plutôt qu’aux entreprises dont le métier n’est pas d’enseigner. C’est pourquoi le SNETAA-FO combattra toute tentative de passage en force de tout ou partie de cycle (scolaire, ndlr) en apprentissage.
Déjà, lors de son congrès fin avril à Lille, la confédération FO dénonçait l’organisation de la mise en concurrence de la formation professionnelle scolaire et par apprentissage, contenue dans le projet de loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » considérant que cela induit un glissement progressif des lycées vers la généralisation de l’apprentissage.
Inadéquation de la formation ? Un postulat erroné
De toute évidence, la forte spécialisation de la voie professionnelle ne constitue pas une réponse pertinente à la demande sociale des jeunes et des familles, laquelle s’exprime avant tout à l’endroit de quelques formations. Elle ne répond pas davantage aux attentes des milieux professionnels qui en appellent toujours à davantage de polyvalence et de compétences dites transversales., expliquent les auteurs du rapport « La voie professionnelle scolaire, viser l’excellence ». Pour justifier cette argumentation, ils s’appuient sur un postulat… Erroné. Alors que près de 20 % des 15-24 ans sont chômeurs, il y aurait 300 000 postes non pourvus sur le marché du travail. On ne peut se satisfaire de ce constat, commencent-ils par souligner, justifiant en substance le chômage par une inadéquation de la formation.
Le vrai problème : l’inadéquation des salaires
Fin 2017, 200 000 à 330 000 recrutements n’ont en effet pas pu être concrétisés, faute de candidats, selon Pôle Emploi. Une proportion qui, même dans sa fourchette la plus haute n’influe donc qu’extrêmement peu sur le taux de chômage, au vu des 5,6 millions de chômeurs (6,6 millions avec les DOM-TOM).
Surtout, les secteurs les plus tendus sont majoritairement ceux qui payent le moins bien et/ou avec un fort degré de pénibilité, comme le bâtiment, la restauration, le commerce…
Au total, selon les propres chiffres du Ministère du Travail, on compte une quinzaine de branches professionnelles dans lesquelles la grille salariale commence en dessous du SMIC : l’hospitalisation privée, les grands magasins et magasins populaires, l’hôtellerie, la restauration et le tourisme, les bureaux d’études et prestations de services aux entreprises ainsi que le commerces de gros.