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Reclassement des salariés à l’étranger : il eût été urgent d’attendre
Quelques mois après l’Assemblée nationale, le Sénat a définitivement adopté la proposition de loi « visant à garantir de justes conditions de rémunérations aux salariés concernés par une procédure de reclassement », le 4 mai 2010.
Loi du 18 mai 2010
Aux termes de l’article unique de ce texte, le Code du Travail est ainsi modifié :
- La première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 1233-4 est complété par les mots : « assorti d’une rémunération équivalente » ;
- Après l’article L. 1233-4, il est inséré un article L. 1233-4-1 ainsi rédigé : « Lorsque l’entreprise ou le groupe auquel elle appartient est implanté hors du territoire national, l’employeur demande au salarié, préalablement au licenciement, s’il accepte de recevoir des offres de reclassement hors de ce territoire, dans chacune des implantations en cause, et sous quelles restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation. Le salarié manifeste son accord, assorti le cas échéant des restrictions susmentionnées, pour recevoir de telles offres dans un délai de six jours ouvrables à compter de la réception de la proposition de l’employeur. L’absence de réponse vaut refus. Les offres de reclassement hors du territoire national, qui sont écrites et précises, ne sont adressées qu’au salarié ayant accepté d’en recevoir et compte tenu des restrictions qu’il a pu exprimer. Le salarié reste libre de refuser ces offres. Le salarié auquel aucune offre n’est adressée est informé de l’absence d’offres correspondant à celles qu’il a accepté de recevoir ».
Visant à sécuriser les procédures de reclassement (tant pour l’employeur que pour les salariés) mais voté dans la précipitation, il suscite des interrogations qui, à n’en pas douter, viendront bientôt encombrer les tribunaux.
Le montant de la condamnation prononcée par la Cour d’Appel de Reims à l’encontre d’Olympia le 13 mai 2009 s'lève à 2,5 millions d'euros. Motif : le licenciement économique jugé abusif de 47 salariés auxquels n’avaient pas été proposés les postes de reclassement disponibles dans la filiale roumaine du groupe, pour un salaire brut mensuel de… 110 euros ! Dans le même temps (contexte de crise oblige), les médias ne cessent d’évoquer l’indécence des offres de reclassement proposées par les entreprises qui procèdent à des licenciements économiques. Dernier exemple en date, la Tunisie à 137 euros pour les salariés de Continental. Entre le marteau et l’enclume. Que l’entreprise privilégie le strict respect du droit en faisant aux salariés des propositions de reclassement écrites et précises portant sur les emplois disponibles au niveau du groupe ou qu’elle se refuse à faire subir à ses salariés une « double peine » (selon l’expression utilisée au cours des débats parlementaires) en leur proposant un emploi sous-payé dans un pays en voie de développement comme alternative à un licenciement économique, la sanction est tout aussi dévastatrice.
Article L. 1233-4 du Code du Travail : « Le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré dans l’entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient. Le reclassement du salarié s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent. À défaut, et sous réserve de l’accord express du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure. Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ».
Partant de ce constat, le législateur a entrepris de revenir sur les effets pervers de la loi en encadrant les propositions de reclassement envisagées par l’entreprise.
Flou juridique
Hélas, l’urgence avec laquelle le Ministre du Travail a souhaité voir les nouvelles dispositions entrer en vigueur a conduit à l’adoption d’un texte aux contours pour le moins imprécis :
Sous la pression du gouvernement, les Sénateurs ont voté le texte sans modification par rapport à celui adopté par l’Assemblée nationale, après avoir retiré leurs amendements.
Une rémunération équivalente. Quelques mots dont on peine d’emblée à saisir le sens : il s’agit sans doute d’une équivalence par rapport à la rémunération dont bénéficiait le salarié en France. Mais doit-elle s’entendre en valeur absolue (identique) ou par comparaison avec le niveau de vie du pays d’accueil ? À la lecture des travaux législatifs, la première hypothèse doit être écartée. Il faut s’en féliciter car cela aurait mis à la charge de l’entreprise une série d’opérations complexes (conversion de la rémunération en monnaie locale après application du taux de change, en tenant compte des éventuelles différences de traitement aux plans social et fiscal), incertaines (vu l’instabilité des taux de change dans certains pays) et aux conséquences inéquitables (disproportion manifeste entre la rémunération du salarié français et celle des ses collègues locaux dans les pays émergents).
Pour équivalente qu’elle doive être, la rémunération doit néanmoins être détachée de toute référence au niveau des salaires français : les Députés ont en effet modifié la rédaction initiale de la proposition qui prévoyait que les postes de reclassement à l’étranger devraient respecter les règles d’ordre public social français en matière de rémunération, visant ainsi à garantir aux salariés reclassés le Smic français.
- Reste la technique consistant à comparer les niveaux de vie entre la France et le pays d’accueil pour déterminer la rémunération permettant au salarié français de conserver le même pouvoir d’achat à l’étranger que dans son pays d’origine. Vous avez dit facile ? Le questionnaire préalable. La proposition de loi introduit la procédure du questionnaire préalable pourtant censurée par la Cour de Cassation récemment.
Cass. soc., 4 mars 2009, n°07-42.381 : l’employeur « ne peut limiter ses recherches de reclassement et ses offres en fonction de la volonté de ses salariés, exprimés à sa demande et par avance, en dehors de toute proposition concrète ».
Ce faisant, elle opère un renversement des rôles des parties dans le processus de reclassement, en minimisant celui de l’employeur (qui se contente désormais de proposer les postes disponibles au sein du groupe en fonction des souhaits exprimés par le salarié).
Première difficulté : quel degré de précision va-t-on exiger de l’employeur dans la formulation de la demande qu’il adressera au salarié menacé de licenciement ?
À s’en tenir au texte, un simple courrier demandant au salarié s’il souhaite recevoir des propositions de reclassement à l’étranger devrait suffire. De là à ce que cela satisfasse les juges… Dans le doute, l’on ne saurait que trop recommander de mentionner la liste précise des différentes implantations du groupe dans le monde et les principales caractéristiques des postes disponibles, soit à peu de choses près, les précisions exigées jusqu’alors par la loi et la jurisprudence.
Deuxième difficulté : le délai de 6 jours dont dispose le salarié pour indiquer s’il souhaite recevoir des offres de reclassement n’est-il pas un peu court ?
Certes, il ne s’agit pas, à ce stade, d’accepter un poste à l’étranger, mais la seule éventualité même d’un départ hors de nos frontières, avec conjoint et enfants le cas échéant, mérite à n’en pas douter plus de 6 jours de réflexion !
Troisième difficulté : une fois que le salarié aura fait connaître ses souhaits et éventuelles restrictions, il appartiendra à l’employeur de lui adresser les propositions de reclassement correspondantes. Quid si le salarié ne s’est pas clairement exprimé, si les restrictions mentionnées sont difficiles à interpréter (par ex. « tout poste me permettant de maintenir mon niveau de vie ») ?
La moindre erreur de l’employeur risque d’être traquée et lourdement sanctionnée.
Quatrième difficulté : le texte ne supprime pas l’obligation faite à l’employeur de proposer aux salariés concernés par un licenciement économique des offres de reclassement écrites et précises. Est-ce à dire que de telles propositions devront être faites, y compris aux salariés ayant refusé de recevoir des offres ?
Gageons qu’il s’agit là d’un regrettable oubli. À défaut, la proposition de loi serait privée de tout effet. Le mauvais choix. En faisant primer l’urgence sur la sécurité juridique, le législateur a incontestablement emprunté la mauvaise route. La réforme du reclassement, qui avait pour ambition la protection des salariés et des employeurs, risque fort de donner lieu à un important contentieux dont l’issue est difficilement prévisible.
- À moins que la « circulaire » promise par Eric Woerth apporte les éclaircissements nécessaires.
En votant ce texte, les parlementaires ont une nouvelle fois cédé à la tentation de l’instantanéité : apporter une réponse quasi-immédiate à un problème social fortement médiatisé, quitte à ce que le remède soit pire que le mal.