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18 / 05 / 2020 | 2029 vues
Secafi (Groupe Alpha) / Abonné
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Un amendement invite les CSE à réduire leur budget de fonctionnement

Le projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire et à d’autres mesures urgentes a été adopté le 15 mai 2020 en première lecture à l’Assemblée nationale. Ce texte intègre un nouvel article 1er octies G (issu d’un amendement, n°322) qui vise à permettre le transfert jusqu’à la moitié du budget des attributions économiques et professionnelles (AEP ou fonctionnement) des comités sociaux et économiques (CSE) vers le budget des activités sociales et culturelles (ASC), pour une période allant jusqu’à six mois après expiration de l’état d’urgence sanitaire.
 

Derrière une mesure présentée comme ayant une vocation sociale, il s’agit en réalité d’une disposition visant à restreindre les moyens alloués pour l’exercice des prérogatives des CSE sur le plan économique et sur celui de la santé, de la sécurité et des conditions de travail.
 

Il est d’ailleurs assez paradoxal et significatif que les auteurs de l’amendement aient pris la « complémentarité » pour argument, avec une autre mesure prévue par la loi, consistant à retirer le bénéfice du versement de la contre-valeur des titres restaurant émis pour 2020 et périmés du budget ASC des CSE, décision elle-même sujette à contestation dans un contexte où les budgets des CSE sont en ce moment très fortement amputés, suite à la mise en place de l’activité partielle.


À notre connaissance, ni la mesure sur les tickets restaurant ni celle sur l’éventuel transfert de budgets des activités économiques et professionnelles vers celui des activités sociales n’a fait l’objet de concertation avec les organisations syndicales.
 

1/ Le budget de fonctionnement des CSE subit déjà une forte contrainte à la suite des ordonnances de septembre 2017.
 

Jusqu’aux ordonnances sur le travail du 22 septembre 2017, une séparation absolue existait entre les budgets AEP et ASC, sans aucun transfert possible.
 

L’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 a instauré la possibilité d’un transfert de budget de manière très encadrée : au maximum 10 % de l’excédent annuel d’un budget vers l’autre (articles L.2315-61 et L.2312-84 du Code du travail).
 

Malgré plusieurs tentatives de la remettre en cause, cette séparation des budgets existe de longue date et a été préservée pour une raison précise : il s’agit de garantir qu’un budget minimal sera bien réservé pour les prérogatives des élus de CE et de CSE en matière économique, sociale, professionnelle et, depuis 2017, de santé, de sécurité et des conditions de travail. Ce budget sert à former les membres du CSE, à payer l’accès à des documentations juridiques et techniques, à recourir à des conseils ou experts, à solliciter des conseils juridiques, à se déplacer dans les éventuels différents sites de l’entreprise etc.
 

Ces dispositions ont toujours été d’ordre public, afin d’éviter l’émergence de comportements démagogiques ou de pressions d’employeurs peu soucieux du dialogue social, qui aboutiraient à réduire les moyens de fonctionnement des CSE à portion congrue.
 

Il est d’autant plus nécessaire de préserver ce budget de fonctionnement des CSE que celui-ci a vu les dépenses à prendre en charge fortement s'accroître, sans avoir bénéficié de réelle revalorisation, notamment :

 

  • Les anciennes dépenses des CHSCT maintenant à la charge du CSE
     

Les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ont été supprimés, leurs prérogatives étant reprises par les CSE. Les CHSCT n’étaient pas dotés d’un budget propre et leurs dépenses étaient directement prises en charge par l’entreprise. Les CSE (au même titre que les anciens comités d’entreprise) sont dotés d’un budget AEP, qui doit maintenant supporter les coûts de fonctionnement liés aux prérogatives issues des CHSCT, sans moyens supplémentaires.
 

  • Les expertises en co-financement
     

De nombreuses expertises légales, décidées par les CSE, jusqu’alors financées obligatoirement à 100 % par l’entreprise, sont désormais co-financées à hauteur de 80 % par l’entreprise et de 20 % par le budget de fonctionnement du CSE. C’est notamment le cas des expertises en cas de projet important touchant la santé, la sécurité ou les conditions de travail des salariés, en cas de déclenchement d’un droit d’alerte économique ou pour l’analyse des orientations stratégiques de l’entreprise.
 

Pour éviter tout risque de censure par le Conseil constitutionnel, le législateur a cependant prévu (dans la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018) qu’en cas de budget de fonctionnement insuffisant pour la prise en charge des expertises légales en co-financement, l’entreprise doit intégralement assumer ce financement, sauf lorsqu’il y a eu un transfert du budget de fonctionnement vers le budget ASC dans les trois années précédentes (article L.2315-80 du Code du travail).
 

2/ L’adoption de l’amendement n° 322, vendredi 15 mai à l’Assemblée nationale aura pour conséquences de limiter la capacité des CSE d’exercer pleinement leurs prérogatives légales, notamment sur le plan de la santé et de la sécurité des salariés, alors que la période nécessite un dialogue social actif et de qualité de façon accrue.
 

Dans le cadre de la crise sanitaire du covid-19, l’exercice du rôle des représentants du personnel est rendu encore plus complexe : délais de consultation et d’expertise fortement réduits sur les sujets liés au covid-19, difficultés à faire face à une situation inédite, budgets déjà réduits par les effets de l’activité partielle… Là où les CSE se laisseront aller à réduire leur budget de fonctionnement, cela limitera fortement et rendra l’exercice de leurs prérogatives plus difficile encore.
 

À juste titre, les pouvoirs publics ne cessent d'avancer le rôle essentiel des représentants du personnel en période de crise sanitaire et valorisent le besoin d’un dialogue social de qualité. Il serait donc totalement contradictoire de permettre que des moyens essentiels à l’exercice de leurs prérogatives légales leur soient retirés. En l'état le projet de loi délivre un message totalement contradictoire avec cette exigence de dialogue social.
 

Très concrètement, le budget de fonctionnement (AEP) des CSE leur est actuellement indispensable pour, entre autres :

  • jouer en urgence leur rôle pour que les entreprises puissent reprendre leurs activités dans un climat de confiance en proposant toutes les mesures de prévention sur la sécurité des salariés permettant d’atteindre ce but ;
  • analyser les conséquences potentielles de l’ensemble des réorganisations intervenant dans cette période, leurs conséquences sur l’emploi et les salariés, si besoin via le (co-)financement d’expertise sur le sujet ;
  • financer les expertises sur les orientations stratégiques qui sont plus indispensables que jamais, alors que toutes les entreprises sont en train de totalement bouleverser leurs stratégies à cause de la crise sanitaire du covid-19 ;
  • avoir recours à un conseil juridique pour les cas (minoritaires) où l’employeur refuse de prendre les mesures de prévention pour les salariés (voir notamment la jurisprudence d'Amazon).
     

3/ Si le législateur veut permettre aux CSE d’aider les salariés dans le cadre des conséquences du covid-19, il lui appartient plutôt d’intégrer les indemnités d’activité partielle versées aux salariés dans l’assiette de calcul des budgets des CSE.
 

Nous attirons l’attention sur les conséquences de l’activité partielle sur les budgets des CSE.
 

En effet, l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 a restreint la définition de la masse salariale prise en compte pour calculer les budgets des CSE (articles L.2312-83 et L.2315-61 du Code du travail). Ainsi, sauf accord plus favorable, les indemnités versées au titre de l’activité partielle, dispositif largement utilisé depuis deux mois, ne sont pas prises en compte.
 

Pour éviter aux CSE de voir leurs budgets (ASC et AEP) fortement réduits par l’effet de l’activité partielle, il serait utile, au moins à titre de disposition supplétive, d’intégrer les indemnités légales d’activité partielle dans le calcul de leurs budgets, malgré leur exonération de cotisations sociales.
 

Lien vers le projet de loi adopté en première lecture à l’Assemblée nationale, le 15 mai 2020.

Lien vers l’amendement n° 322 qui crée l’article 1er octies G du projet de loi.

Lien vers le site Secafi.
 

Auteur du document pour tout contact : Luc Bérard de Malavas : 06 75 85 73 24 / luc.berard-de-malavas@secafi.com

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