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14 / 04 / 2020 | 332 vues
Philippe Bance / Membre
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Revoir les fondements de la doctrine du « new public management » qui inspirent largement l’action publique actuelle

Depuis les années, 1980, l’action publique connaît des changements profonds. Les modes de gouvernance ont été bouleversés avec la nouvelle gestion publique et la réorientation des politiques publiques. L’objet de cette contribution (*) est de s’interroger sur la refondation de cette action publique, dans ses modes d’administration mais aussi de mobilisation des organisations publiques et de l’ESS. La réflexion porte sur la recherche d’une meilleure efficacité, d’une réponse plus adéquate aux attentes sociétales et d’un ancrage plus étroit de l’intérêt général à la logique du développement durable.
 

Pour mener cette analyse, il est utile de commencer par préciser les principaux fondements actuels de l’action publique dans le cadre de ce que l’on appelle la nouvelle gestion publique ou doctrine du « new public management ». Xavier Greffe en a précisé les traits principaux en 1997.

Largement propagée à travers le monde, cette doctrine mène les pouvoirs publics à rechercher l’efficacité en arbitrant entre diverses actions possibles. La réglementation, la subvention, les partenariats public-privé et la production directe figurent ainsi dans le spectre des possibilités. Pour autant, l’intervention indirecte (en d’autres termes « faire faire ») est privilégiée vis-à-vis de l’intervention directe (« faire »). Cela s’exerce par délégation de service, par des partenariats public-privé et la cession au secteur privé d’actifs publics (par le biais de politiques de privatisation) ainsi que par la mobilisation de plus en plus active des organisations de l’économie sociale et solidaire (ESS) dans l’accompagnement de l’action publique.


On vise aussi à insuffler de la concurrence dans les services publics et susciter l’émulation entre acteurs, en ouvrant les anciens monopoles à la concurrence potentielle et, surtout, effective.


On préconise encore le déploiement d’une culture administrative de la recherche de sources propres de financement et la rupture avec l’incitation à la dépense, afin d’endiguer la croissance des dépenses publiques. Dans cette optique, il s’agit de développer une culture des résultats plutôt que des moyens, en promouvant une gestion centrée sur l’objectif d’efficacité, sur l’innovation et sur la flexibilité.
 

Anticiper plutôt que subir fait également partie de la panoplie des préconisations de la nouvelle gestion publique, s’agissant de prévoir les besoins à venir pour mener les adaptations nécessaires de l’action publique en temps volu.
 

La nouvelle gestion publique est pertinente dans la préconisation de conduite des politiques publiques fondées sur des stratégies de long terme en mobilisant pour cela les différents acteurs et parties prenantes de la société civile, dont ceux de l’ESS.
 

Cependant, l’action publique y a l'efficacité pour maître mot ; le terme masque la volonté première d’effectuer des coupes dans les dépenses publiques. De plus, le référentiel central du « new public management » est l’adoption de comportements proches de ceux du secteur privé par les organisations publiques. Cela nuit à une action publique proactive et conduit à prioriser l’élimination de toutes les distorsions de concurrence entre opérateurs, au détriment de missions de politique publique. Il ressort ainsi de l’étude approfondie réalisée sous l’égide du réseau CIRIEC et consacrée aux entreprises publiques à travers le monde dans le manuel qui va être publié chez Routledge en 2020 que les résultats sur les plans des performances, de l’efficacité et financier se sont fortement améliorés et répondent souvent largement aux attentes des autorités publiques.

Pour autant, les missions d’intérêt général ou de service public des entreprises publiques se sont édulcorées au fil du temps, bien que conservant une certaine consistence. De plus, la mobilisation par les autorités publiques de l’ESS s’y avère souvent instrumentale par la mise en œuvre de la nouvelle gestion publique. Elle vise prioritairement à réduire le coût de l’intervention publique plutôt que de l’inscrire dans une démarche de co-construction de l’action publique, en lien avec les acteurs de terrain.

 

En centrant l’action publique sur l’analyse des coûts, certes conformément à l’analyse économique standard, on s’écarte cependant de ce qui devrait être fondamental en matière d’action publique : servir l’intérêt général dans une perspective de développement durable et en réponse aux attentes sociétales. L’ancrage de l’action publique sur le développement durable mène ainsi à repenser les politiques publiques déployées dans le cadre de la nouvelle gestion publique et à refonder l’action collective sur les défis à venir. À cet égard, quatre orientions semblent cruciales et feront l’objet des propos à suivre. Nous conclurons sur le paradigme d’action collective qui pourrait résulter de nouvelles coopérations entre l’économie publique et l’ESS.

 

Lutter contre le réchauffement climatique

 

Pour être à la hauteur des défis du réchauffement climatique que les travaux du GIEC (2018, 2019) ont notamment précisés, une mobilisation rapide, générale et de très grande ampleur s’impose. Elle implique d’y associer tous les acteurs, qu’ils soient publics et privés. La conduite de politiques publiques et d’actions fortes des organisations publiques et de l’ESS y est, à cet égard, cruciale.

 

Les organisations publiques ont un rôle majeur à jouer en matière d’économies d’énergie, en particulier dans les secteurs du logement et des transports publics. C’est aussi le cas dans le développement de nouveaux savoirs et de nouvelles technologies. Les entreprises publiques pourraient ainsi être mobilisées, du fait de leur moindre exigence de rentabilité, en adoptant à cet égard des comportements proactifs (Bance, 2015). Cela compléterait d’autres formes d’action publique ou la mobilisation d’autres organisations et acteurs de la société civile, dont celle de l’ESS, permettant d’innover et de stimuler l’action de la société civile.

 

Une spécification et un redéploiement adéquats des missions publiques des organisations publiques et un soutien public à l’ESS permettrait de développer les synergies pour répondre à cet enjeu d’avenir majeur pour l’humanité.

 

Développer l’investissement public dans le cadre de politiques de long terme

 

Cela rejoint le point précédent sur l’utilité de comportements proactifs des organisations publiques et de la mobilisation de l’ESS pour atteindre les objectifs de développement durable, tels qu’ils ont notamment été développés par les Nations-Unies. Cela renvoie à l’objectif 13 (action climatique), pour lequel les investissements des organisations publiques sont cruciaux. C’est aussi le cas pour la réalisation des objectifs onusiens : 3 (santé et bien-être) et 4 (qualité de l’éducation) du programme onusien. L’action des organisations publiques est aussi cruciale pour répondre aux objectifs 6 (eau propre et assainissement), 7 (accessibilité à l’énergie), 9 (industrie, innovation and infrastructures), 11 (cités durables et communautés) et 12 (consommation responsable et production). Les organisations publiques, particulièrement celles qui opèrent dans les services publics, jouent un rôle majeur pour les investissements dans les infrastructures et la production de biens publics.

 

Ici encore, veiller au développement durable devrait mener à renforcer les missions stratégiques d’intérêt général des organisations publiques, même si cela peut nuire à la rentabilité et à contrarier la réalisation d’objectifs budgétaires et financiers de court terme des autorités publiques. La production de communs par les organisations de l’ESS a également un rôle important à jouer en la matière.

 

Promouvoir la cohésion sociale et territoriale

 

Les organisations publiques, comme celles de l’ESS, ont également un rôle de premier plan à jouer en matière de cohésion sociale et territoriale. Leur capacité à atténuer les effets de la crise économique a clairement été mise en évidence par la crise de l'année 2007 et des suivantes.

 

Dans de nombreux pays, des nationalisations ont notamment permis de pérenniser le tissu productif et d’atténuer les effets sociaux catastrophiques de la récession. La capacité des organisations publiques de s’adapter aux transformations des politiques publiques est patente, comme leur capacité contributive aux politiques territoriales, qu’elles soient régionales ou locales.

 

Pour revenir sur la problématique du développement durable des Nations-Unies, les organisations publiques, comme celles de l’ESS, sont essentielles à la réalisation du 8e objectif, intitulé « inclusion and croissance économique soutenable ». La contribution de l’économie publique ne doit cependant pas donner lieu, comme cela a trop été souvent le cas avant les années 1980, à une excessive instrumentalisation des organisations par les pouvoirs publics, qui nuise à leur efficacité. Pour répondre aux attentes sociétales, leur action devrait plutôt procéder plus largement de coopérations multi-partenariales - La Lettre mensuelle du CIRIEC-France (mars 2020).

 

Déployer de nouvelles gouvernances multi-niveaux et multi-partenariales
 

L’efficacité de l’action publique mène aujourd’hui les autorités publiques de différents niveaux (local, régional, national voire supranational) à coopérer activement, dans ce que l’on appelle la gouvernance multi-niveaux (Bance et Chassy, 2017). Dans cette optique, l’efficacité dépend de la répartition des attributions respectives des différents niveaux de gouvernement. Le principe de subsidiarité prôné par l’Union européenne, est ainsi de faire mener les actions nécessaires aux entités compétentes les plus proches de ceux qui sont directement concernés par cette action. Du fait des enjeux majeurs du développement durable, ces principes devraient cependant s’appliquer plus largement et en plus étroite coordination des acteurs publics.

 

En toute logique, cela devait également mener à plus activement mobiliser les opérateurs, notamment les organisations publiques qui sont les plus à même de répondre à des missions publiques d’intérêt général du fait de leurs spécificités propres. En application du principe de proximité, il s'agirait aussi de plus largement et étroitement impliquer l’ensemble des parties prenantes afin d’associer l'ensemble des parties prenantes, notamment les organisations de l'ESS, dans une démarche d’apprentissage et de mobilisation des acteurs et d’élaboration commune de l’action collective. Comme le dit l’OCDE, dans ses « lignes directrices » relatives aux entreprises publiques, il convient cependant d’être en capacité de « structurer un réseau complexe de responsabilités afin de garantir l'efficacité des décisions et la bonne gouvernance » (p. 12). Si la tâche est ardue, elle n’en est pas moins indispensable, s’agissant de co-construire et d'efficacement mettre une action collective en application selon des orientations largement partagées.

 

Pour conclure

 

L’action publique devrait gagner en efficacité pour répondre aux enjeux majeurs du développement durable et aux attentes sociétales. Un changement de paradigme de l’action collective pourrait y contribuer, en revenant sur certains des fondements de la doctrine du « new public management » qui inspirent largement l’action publique actuelle.

 

Cette perspective du changement de paradigme d’action collective a été mise en avant dans le récent ouvrage publié par le CIRIEC (Bance, 2018). L’analyse part du diagnostic du développement dans les dernières décennies de coopérations économie publique-ESS et de partenariats directs des autorités publiques avec les organisations de l’ESS.

 

Ces partenariats permettent de mieux répondre aux besoins sociaux par la capacité d’innovation et la bonne connaissance qu’en ont les acteurs de l’ESS. Ils renforcent également l’ancrage territorial de l’action publique.

 

Un changement d’échelle dans les partenariats (un changement de logique fondamentale surtout caractériserait le nouveau paradigme d’action collective) est cependant nécessaire. Il s’agirait d'activement mener des politiques de développement durable en s’appuyant sur la co-construction de l’action collective et en associant l’ensemble des parties prenantes (notamment les organisations publiques, les entreprises publiques de service public et les organisations de l’ESS). Il s’agirait aussi de produire des biens publics et des communs à plus grande échelle. L’implication forte et conjointe des organisations de l’économie publique et de l’ESS, associant largement la société civile aux stratégies de long terme, en serait un point d’appui majeur.

 

Dans le prolongement de l’ouvrage de 2018, cette perspective de refondation de l’action collective fait l’objet d’études complémentaires dans le cadre de nouveaux programmes de recherche du CIRIEC sur la production jointe de biens publics et de communs.

 

(*) Prononcée à l’occasion du séminaire organisé par l’Union générale tunisienne du travail et le CIRIEC.

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