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Quel projet humain avec l’IA ?
Jean-Marie Fessler, docteur en éthique médicale et en économie de la santé, professeur associé de Stanford, ancien directeur d’hôpital et des établissements de soin de la MGEN, nous a livré ses réflexions ...
Nous pouvons saluer la semaine du sommet pour l’action sur l’Intelligence artificielle (IA), à Paris. Dans un pays qui dispose de nombreux atouts, tenter d’enrayer un certain modèle du retard n’est-il pas souhaitable ?
Pour mémoire, en France, en 1939, le taux de pénétration de la radio hertzienne – taxée – est de 12%. Le double, aux Etats-Unis. La loi de 1889 nationalise le téléphone. En 1954, son taux de pénétration atteint celui des Etats-Unis en … 1900. Pour la télévision, en 1960, le taux d’équipement par habitant est dans un rapport de 1 à 5 avec les Anglais et de 1 à 2 avec les Allemands.
Quels ont été les coûts sociaux du rattrapage ?
De Louis Pouzin, ingénieur français pionnier d’Internet, à la doctoresse française Bettina Experton, conceptrice du dossier médical personnalisé mobile pour les Américains, IBlueBotton, nos innovateurs semblent souvent bannis. Dans le domaine de la santé, par exemple, qui assume la responsabilité des conséquences du numerus clausus, des fraudes à la carte Vitale, des biais tarifaires, des échecs répétés du dossier médical personnel, etc. ? Lutte des places, bal des ego de ceux qui ont toujours raison même quand ils ont tort ?
Chaque fois, vingt ans au moins de surdité volontaire à l’encontre de propositions constructives, d’expérimentations de terrain et des témoignages de praticiens, d’ouvertures internationales, permettent d’oublier, croit-on. Beaucoup d’argent public à perte et une dose d’antiaméricanisme au passage.
Au total, une véritable guerre contre les métiers de service des autres, ceux des enseignants, des professionnels de santé, de la petite enfance et du handicap, ceux des agriculteurs, artisans et commerçants de proximité, des chercheurs, des entrepreneurs employeurs, de celles et ceux qui construisent et font fonctionner les réseaux vitaux, semble avoir été entreprise, de longue date.
Si l’IA doit en être l’ultime étape, elle sera rejetée. Comme il en est de l’écologie politique punitive injuste.
Le mérite aux discours ou le mérite aux actions quotidiennes ?
Sous la masse des discours stratégiques, à coups d’annonces sur les écosystèmes, les gains de compétitivité ou de productivité, les jeunes pousses, le pilotage surtout, et la régulation qui honore toujours l’industrie nationale du Droit – 400 000 emplois et 2% du PIB -. Et toujours les mêmes blocages : contre les 4 millions d’entrepreneurs et la dimension des recettes avant celle des dépenses, sous le déni des faits et des réalités, les postulats matérialistes et les intérêts masqués, les représentations minoritaires violentes, l’histoire reconstituée, etc.
La propension de quelques-uns à la servitude de tous les autres… A distance des laboratoires incubateurs d’idées de Galilée.sp.
L’intelligence artificielle ou augmentée est un rendez-vous de premier ordre. Encore faut-il en expliciter les buts et les résultats les plus utiles à tous, hors du jeu à l’adaptation top-down.
A qui le temps gagné sera-t-il réellement bénéfique ?
Est-il encore permis de nous demander si les technologies embarquées par l’IA ne sont pas trop puissantes au regard de notre humanité réelle ? Ne serait-ce que par saturation de notre temps de cerveau disponible, sous anxiété informationnelle. Ne serait-ce que par la dualité mortifère qui renvoie aux contraires.
Aux 29 dictateurs du 20ème siècle, responsables de la mort de 250 millions de personnes et à leurs successeurs, on doit ajouter le comportement de prédateurs des autres, sur tous les registres.
Si les récits diffusés autour de l’IA ne propulsent que les intérêts et l’exhibitionnisme d’oligarchies imposant aux peuples de s’adapter, ce n’est pas faire acte audacieux de prospective que de prévoir une prolifération de la violence, sous surveillance orwellienne généralisée.
Au détriment des apprentissages sociaux, de l’éducation populaire et de la mutualisation, principaux atouts réels de l’Humanité.
Au détriment d’une souhaitable Déclaration universelle des droits de l’esprit humain, selon la proposition du Pr. Mark Hunyadi.
A défaut d’avoir évité de perdre bientôt trente ans sur les propositions de l’UNESCO et de quelques penseurs et praticiens dans l’élaboration d’une infoéthique, de véritables débats éthiques centrés sur l’information, notre nouvelle Ere, les liens à l’altérité sont questionnés, à chaque instant.
Qui va mettre en œuvre les recommandations d’institutions aussi légitimes que le Conseil économique, social et environnemental, par exemple ?
Quelle représentation du monde et de l’humain souhaitons-nous privilégier ?
Peut-on encore s’interroger sur l’énorme geste métaphysique consistant à prendre les machines, les semi-conducteurs et les capteurs pour modèles de l’humanité ?
Peut-on encore s’interroger sur la réduction de l’être humain à un statut informationnel à traiter ?
Peut-on encore s’interroger sur les conflits possibles entre le poids des données et les éclairs de la création et de l’espoir humains ?
Peut-on encore tenter d’incarner une vision de notre esprit non pas comme un agrégat de contenus mais comme un ensemble d’activités : surprise et étonnement, critique et créativité, imagination et méditation ?
Si l’art des mises en œuvre procède de l’art des mises en relation, l’une des définitions de l’intelligence humaine, non seulement il n’est pas trop tard mais ce pourrait être la voie de la réussite collective.