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04 / 03 / 2024 | 139 vues
VALERIE PEROT / Membre
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Projet de loi de simplification : la représentation du personnel encore une fois ciblée

Le 15 février 2024, un rapport parlementaire s’inscrivant dans la poursuite de la loi PACTE relative à la simplification administrative a été remis au ministre de l’Économie. L’objectif étant de proposer un projet de loi dit PACTE II avant l’été.

 

Ce rapport prend appui notamment sur les résultats de la consultation publique lancée sur le site simplification.make.org le 15 novembre 2023 par le ministre de l’Economie, consultation permettant aux citoyens et notamment aux chefs d’entreprise de proposer des mesures visant à faciliter la vie des TPE et des PME. Le communiqué de presse du ministère de l’économie, daté du 27 décembre 2023 indique que « cette consultation a remporté un franc succès, notamment auprès des entrepreneurs, l’essentiel des mesures proposées traduisant un fort besoin de simplification des démarches et procédures (37% des propositions), des normes et réglementations (8%), mais aussi des services en ligne (6%) et des droits sociaux (7%) et du droit du travail (4%). Plus marginalement, les participants ont aussi fait des propositions sur les contrôles et sanctions (4%), l’apprentissage (3%) et de nécessaires évolutions de l’administration (2%) notamment dans une démarche d’accompagnement et de conseil (2%). »

 

Ce rapport se concentre sur 14 propositions pour « libérer des heures aux français ». Parmi ces propositions, on constate, une fois de plus, la volonté de porter atteinte à la représentation du personnel avec le rehaussement des seuils (proposition 4) pour la mise en place des Comités Sociaux et Économiques (CSE) à attributions élargies, seuil de mise en place qui passerait de 50 à 250 salariés, conduisant à un vide de représentation en deçà, puisque de 50 à 249 salariés, il serait proposé un CSE s’apparentant à une simple  fonction de délégation du personnel, sans personnalité juridique. On ne peut que s’étonner de cette proposition forte éloignée de son objet et qui reprend le travail de lobbying des organisations syndicales d’employeurs pour continuer le détricotage du code du travail en matière de dialogue social et de protection des salariés des salariés.

 

Ce nouveau seuil porterait atteinte au dialogue social dans la plupart des entreprises qui en France, sont majoritairement des TPE et des PME (159 000 recensées sur le site du ministère de l’économie-données Insee) et qui emploient près de 50% des salariés. Plus de CSE conduirait à supprimer une subvention de fonctionnement, permettant de défendre les intérêts collectifs des salariés, notamment par le recours à un avocat ou à un conseil juridique, de prendre appui sur des experts pour accompagner les CSE face à des projets d’entreprises, notamment ceux conduisant à des PSE,  de se former ; plus de CSE signifierait ne plus pouvoir être informé ni consulté  (fin de la BDESE) dans le cadre des obligations de l’employeur visant, selon le législateur, à « réduire l’asymétrie des connaissances  entre l’employeur et les salariés ».

 

Les attributions du CSE au niveau environnemental déjà difficiles à exercer passeraient à la trappe, de même que le dispositif de lanceur d’alerte, tandis que la capacité d’intervention dans le champ de la santé, de la sécurité et des conditions de travail deviendrait inexistante. La santé au travail, enjeu crucial pour le maintien des salariés dans l’emploi, la qualité du travail et la performance des entreprises : face au constat catastrophique en la matière, le gouvernement a conduit récemment une priorité d’action pour lutter contre les AT, tandis que le dernier Plan santé (PST 4) centré sur la prévention des risques a conduit à la loi Santé, laquelle a renforcé les attributions du CSE sur ces questions.

 

Alors que le droit à la santé et à la sécurité au travail est devenu un droit fondamental pour la Conférence internationale du travail de 2022 (parlement qui réunit syndicats,  représentants des employeurs et des gouvernements des 187 États membres de l’Organisation internationale du travail), lors de sa 110e session qui s’est tenue du 27 mai au 11 juin, à Genève, la volonté de supprimer une instance de représentation du personnel dans la moitié des entreprises de France, après celle des CHSCT, entérinerait l’absence de toute possibilité d’intervention et de contributions de tiers élus par le personnel, en matière de conditions et d’organisation du travail, et conduirait à la méconnaissance des enjeux santé et sécurité, et à l’absence d’enquête partitaire en matière d’AT mais aussi de présomption de toute forme de harcèlement.

 

Le retour d’un patron « seul maitre à bord » serait en total contradiction avec le monde du travail et le rapport au travail auxquels les salariés aspirent, avec la démocratisation participative du monde du travail et de ses modes de gouvernance.

 

Enfin, notons parmi les autres propositions, celle permettant une dérogation aux accords de branche pour les petites et jeunes entreprises de moins de 50 salariés en matière de salaires minimum conventionnels et de temps de travail, lesquels seraient un frein à l’emploi.

 

Après la rationalisation du dialogue social, la volonté sous-jacente de le faire disparaitre : un projet à visée idéologique.

 

Ce rapport ne tient pas compte des études et retours d’expériences suite à la fusion des IRP.  En tant qu’experts, notre quotidien d’intervention nous amène à former et à accompagner des CSE, dont la plupart vient d’être renouvelée. Nous constatons que les représentants du personnel, surchargés et souvent épuisés, ont des difficultés toujours plus importantes à exercer leur mandat sur tous les fronts, à tenir des réunions de CSE qui soient de vrais lieux de débat sur le fond autour de problématiques complexes et diversifiées qui impactent au quotidien la qualité de vie et des conditions e travail des salariés et le devenir de l’emploi dans leurs entreprises et établissements.

 

Rappelons la conclusion du rapport France Stratégie de décembre 2021 « Effet de la mise en place des CSE sur le dialogue social» : « La rationalisation formelle du dialogue social, bien qu’incomplètement réalisée, parait l’horizon principal, voire unique, des transformations en cours des relations sociales dans les grandes entreprises françaises. La rationalisation matérielle du dialogue social, qui viserait à donner à ses protagonistes davantage de prises sur les transformations économiques et sociales, demeure aujourd’hui largement en germes, tant l’essentiel des transformations paraissent relever de l’information-consultation, soit de la décision unilatérale de l’employeur. Dans cette perspective, à travers les cas étudiés, la mise en place du CSE semble à l’heure actuelle accentuer/alimenter cette rationalisation strictement formelle du dialogue social. »

 

Assimiler le dialogue social à des formalités inutiles, et justifier ces propositions comme issues d’une consultation publique (effectuée en catimini en fin d’année dernière et dont les répondants sont essentiellement des chefs d’entreprise) questionne l’idée même de démocratie participative plébiscitée par le ministre de l’Economie.

 

Tous les acteurs sociaux devront se mobiliser pour le maintien du dialogue social dans toutes les entreprises, les salariés des petites et « jeunes entreprises » étant particulièrement exposées à des manquements en matière d’application du code du travail.

 

Valérie Pérot, Aépact et Thomas Fesneau, Ekitéo, experts auprès des Comités sociaux

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