Nouvelle charge de l'Etat contre le Compte Personnel de Formation (CPF)
Dans le cadre d’un plan d’économies de 10 milliards d’euros, le gouvernement a annoncé la mise en œuvre d’une contribution des travailleurs (d’un reste à charge) lors de la mobilisation de leur compte personnel de formation (CPF). Une mesure symbolique pour ce droit individuel garanti collectivement ...
A sa création, le CPF était financé par une contribution financière, différente selon la taille de l’entreprise (1). Ces fonds étaient mutualisés et consacrés au financement des demandes de formation CPF, permettant à l’origine un investissement d’environ 850 millions d’euros.
En 2018, le législateur a supprimé le CIF (Congé individuel de formation) et a englobé les financements dans une contribution payée par les entreprises. Chaque année, le régulateur France compétences détermine le budget qu’il entend consacrer à chaque dispositif. C’est ainsi qu’en 2021 la dépense était de 2 635 millions d’euros, 2 086 millions d’euros en 2022 et autour de 2 200 millions en 2023, avec un budget de cette même grandeur pour 2024. Comme les précédentes années, le budget de ce régulateur est en déficit, autour de 1 000 millions pour 2024, malgré une subvention de 2 362 millions de l’Etat décidée par la loi de finances.
De la cotisation à l’impôt
Le financement du CPF repose ainsi sur un impôt insuffisant au regard des dépenses, dans le cadre d’une instance de régulation dans lequel il est mis en concurrence avec d’autres objets de la politique publique. La mise en place d’une participation des utilisateurs du CPF apparaît ainsi comme un mécanisme de régulation financière.
Cette régulation financière tranche avec l’objectif de la loi de 2018 déclarant : « La première étape de construction du compte personnel de formation demande à être approfondie, afin de renforcer l’autonomie et la liberté des actifs, sa place dans le système de formation professionnelle et de simplifier substantiellement les mécanismes d’accès à la formation et de gestion des comptes (2 ). »
Elle écorne le principe de la politique paritaire que l’Etat se proposait d’incarner et selon lequel les droits à la formation doivent être garantis collectivement.
Interrogation sur la pertinence des formations suivies
Dès sa création, le CPF a été l’objet de fantasmes et a été perçu comme une banque de financement. C’est ainsi par exemple que, en 2017, l’Etat décidait de l’éligibilité au CPF du permis B (préparation à l’épreuve théorique et à l’épreuve pratique). L’utilité de ce financement pour le parcours professionnel de l’intéressé(e) était établie par simple déclaration. En réalité, ce financement était ouvert par la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, dans un chapitre relatif à l’accompagnement de jeunes dans leur parcours vers l’autonomie. Dès lors et sans que le lien avec le parcours professionnel de la personne soit établi, le permis B figurait parmi les formations les plus financées par le CPF.
Une simple solution de financement ?
Lors de la réforme de 2018, les services de l’Etat fustigeaient le système d’éligibilité des formations, jugé incompatible avec la liberté des titulaires du CPF. En contrepartie, le législateur modifiait l’unité de compte du CPF, passant de l’heure à l’euro. En outre, sitôt la loi votée, l’Etat décidait d’orienter le « marché » vers le financement de formations coûtant en moyenne 1 500 euros. De fait, le coût moyen du financement d’une action CPF s’élevait à 1 500 euros pour les salariés et 1 300 euros pour les demandeurs d’emploi (3) . Loin des 5 000 euros que chaque titulaire peut loger dans son compte.
Le système est donc moins regardant sur la pertinence de la formation que sur son coût. Loin de stigmatiser les titulaires de CPF sur leurs choix de formation, ces éléments doivent nous interpeller sur les conséquences.
En 2022, 39 % des formations suivies par la mobilisation du CPF relevaient d’exceptions législatives (4). Cette part est appelée à croître. Les trois premières formations suivies dans le cadre du CPF sont la préparation au permis B, l’aide à la création ou à la reprise d’entreprise (Acre) et le test TOEIC (évaluation du niveau d’anglais) (5) .
Ces formations représentent-elles l’avenir des compétences pour les travailleurs, et ce qu’on attend d’un dispositif destiné à (ré) armer les travailleurs en matière de qualifications permettant une promotion sociale et professionnelle ?
Où va le CPF ?
France compétences met en balance la contribution du titulaire du CPF et l’élargissement du périmètre des permis de conduire éligibles au CPF. C’est le symbole que le titulaire du CPF (6 ) paie les largesses du législateur et son incapacité à maîtriser l’objet de ce dispositif. Ce constat pourrait étonner si l’on s’en tenait à l’étude d’impact de la loi de 2018 qui appelait à « une nouvelle gouvernance pour une meilleure régulation plus efficace et plus efficiente » (7 ).
Mais il s’agissait d’indiquer que « le rôle de France compétences sera essentiel dans l’accompagnement du mouvement de monétisation et de l’encadrement du coût des formations » (8). Sans préjudice donc des caprices du législateur et l’utilisation des fonds du CPF.
L’évolution de ce dispositif depuis 2018 met en lumière un dispositif perçu comme une source de financement au gré des volontés du législateur, et placé dans le contexte de marché pour ses utilisateurs. Dans la recherche d’un équilibre financier, l’objectif de promotion sociale et professionnelle est laissé de côté. Par la mise en place d’une contribution financière à la charge des travailleurs, le CPF s’éloigne des principes ayant présidé à sa création. Censitaire, il n’est plus universel ; sous-doté, il n’est plus garanti collectivement.
Quel niveau de contribution ?
Reste à connaître la modalité de la contribution. Car, si cette contribution semble inéluctable, les représentants de l’Etat se contredisent quant à sa modalité. La piste d’une participation forfaitaire (50€ ont été évoqués) semble avoir été écartée. Un « ticket modérateur » représentant au moins 10 % du coût de la formation se renforce.
Ce ticket toucherait les salariés mais pas les demandeurs d’emploi, renforçant les signaux envoyés par l’Etat (depuis le début des années 2010) suivant lesquels il est moins coûteux de se former en dehors des situations d’emploi.
Le modèle de transformation des qualifications, et donc des entreprises, devrait donc passer par la case « France travail ».
Dans ce contexte d’austérité, il n’est pas inutile de rappeler que le paritarisme d’orientation et de gestion, en vigueur jusqu’en 2018, reposait sur un modèle sans déficit, de création de droits garantis collectivement, et résolument orienté vers l’acquisition d’un niveau supérieur de qualification ou l’acquisition d’une nouvelle qualification dans le cadre d’une reconversion
Historique
Créé par l’Accord national interprofessionnel du 14 décembre 2013 et consacré par la loi du 5 mars 2014, le compte personnel de formation fête ses dix ans. Lors de sa création, le CPF a pris la suite du Droit individuel à la formation (DIF). Le Congé individuel de formation (CIF) était maintenu, permettant à un travailleur de partir en formation sur une durée moyenne de 800 heures avec maintien de son salaire. Par la loi de septembre 2018, dite « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », le CIF était supprimé et le CPF était accaparé par l’Etat. Après cinq années de gestion paritaire (2013-2018), les services de l’Etat ont achevé cinq autres années de gestion de ce dispositif (2018-2024). Pour ce droit conçu pour les travailleurs, cette période s’achève par leur mise à contribution.
1. Une contribution obligatoire de 0,2 % de la masse salariale pour les entreprises de 11 salariés et plus ; une contribution obligatoire de 0,15 % de la masse salariale des entreprises de 11 à moins de 50 salariés et de 0,2 % de la masse salariale des entreprises de 50 salariés et plus.
2. Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, étude d’impact, p. 28.
3. Source : Caisse des dépôts et consignations, rapport MCF 2022.
4. Annexe au projet de loi de finances pour 2024, Formation professionnelle, Jaune budgétaire 2024, p. 136.
5. Ibid.
6. AEF, dépêche n° 703422, France compétences adopte un budget prévisionnel 2024 en hausse, mais toujours en déficit.
7. Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, étude d’impact, p. 28, p. 35.
8. Ibid.