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20 / 07 / 2023 | 97 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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« Le maintien indéfectible du principe de bénévolat intégral pour tous nos élus se traduit par le rôle clé de notre Assemblée générale qui n’est pas seulement une chambre d’enregistrement » - Jean-Louis Bancel, Mutuelle Centrale des Finances

Jean-Louis Bancel, vous êtes le président de la Mutuelle Centrale des Finances qui vient de fêter son quatre-vingtième anniversaire. Dans ce cadre, l'historienne Charlotte Siney-Lange a « plongé » dans vos archives et publié un ouvrage [1] dont le titre est Une mutuelle singulière. Pourquoi ce qualificatif ?

Une mutuelle singulière

 

Le choix du titre d’un livre est une alchimie entre esprit de synthèse et l’art de capter l’attention du potentiel lecteur. Ce titre, que je considère comme bien vu, est le résultat des travaux et en particulier des échanges entre l’autrice, historienne spécialiste de la mutualité, avec des administrateurs qui ont participé à l’évolution de notre mutuelle.  A la fin du processus ce qualificatif est apparu le plus pertinent à cette spécialiste. Votre question montre que ce qualificatif joue bien son rôle de teaser. Ce qualificatif s’explique par quelques caractéristiques où notre mutuelle « détonne » parmi les mutuelles de la Fonction publique d’Etat. Dès l’après-guerre qui a vu les mutuelles de fonctionnaires gérer la Sécurité sociale notre mutuelle ne s’est pas contentée de proposer des garanties maladie mais a présenté des garanties de prévoyance, en particulier pour la compensation des pertes de rémunération, en y incluant l’intégralité des primes qui représentent une part importante des revenus de nos adhérents.

 

De surcroit dans l’univers des mutuelles présentes au Ministère des Finances, fractionné du fait de leur sujétion à une direction, de par notre compétence transversale avec une diversité de corps statutaires, notre mutuelle a toujours été soucieuse de son autonomie par rapport aux « injonctions » des Administrations ou des organisations syndicales, attentives aux intérêts de certaines catégories statutaires. Servir exclusivement l’intérêt de nos adhérents quelles que soient les variations de l’Administration ou du monde mutualiste est un des traits saillants relevé par Charlotte Siney-Lange.  Ceci se manifeste par le maintien indéfectible du principe de bénévolat intégral pour tous nos élus et se traduit par le rôle clé de notre Assemblée générale qui n’est pas seulement une chambre d’enregistrement. Elle continue à voter tous les ans le contenu des garanties et des tarifs.

 

Pour compenser ce positionnement, parfois à contrecourant des modes d’un moment, nous assumons de, parfois à rester à l’écart lorsque cela, nous semble préjudiciable aux adhérents mutualistes. Par exemple nous avons refusé de participer au référencement, sans intérêt réel pour nos adhérents. D’ailleurs, je ne suis pas sûr que les adhérents des mutuelles référencées aient perçu une différence. Cette volonté de décider dans le seul intérêt de nos adhérents s’est toujours appuyée sur une « bonne gestion technique », combinée avec un esprit de « solidarité choisie » entre les adhérents. Dans le même temps, nous avons toujours investi ces excédents techniques dans des outils de gestion modernes sauvegardant un haut niveau de service personnalisé.

 

Pour autant « singulier » ne veut pas dire « égoïste ». Notre mutuelle a pleinement joué le jeu du partage d’expérience et de savoirs à l’intérieur du monde mutualiste. Nous avons participé à des mécanismes de gestion commune permettant de mutualiser des services et des coûts aux bénéfices des adhérents mutualistes. En revanche nous avons rejetédes dispositifs collectifs lorsque leur finalité était dévoyée par des jeux de pouvoirs entre institutions. C’est pour cela que nous nous méfions du postulat « big isbeautiful » justifié par l’industrialisation des services au détriment de la prise en compte des attentes réelles des adhérents.

 

Merci de ces éléments de clarification, pour autant ce passé singulier ne risque-t-il pas d’être remis en cause avec l’arrivée prochaine de la PSC de la fonction publique qui avec la conclusion de contrats collectifs obligatoires va évincer des mutuelles comme la vôtre de leur positionnement traditionnel ?

 

La menace évoquée dans votre question est réelle. Avant de réagir sur le danger que représentent les contrats collectifs pour les mutuelles, je souhaiterais exprimer mon scepticisme sur l’intérêt de ce dispositif pour les agents publics. En dehors de la dimension électoraliste de cet accord conclu juste avant les présidentielles, je reste dubitatif sur les prétendues avancées de cette démarche pour majorité des fonctionnaires.

 

Certes le contenu du panier de soins retenu dans l’accord conclu avec les organisations syndicales est correct, mais il n’est pas exceptionnel. D’ailleurs sur certains points il est moins couvrant que l’offre standard de notre mutuelle. En revanche ce qui est certain c’est qu’en n’intégrant que la question santé ce dispositif n’apportera rien sur le point essentiel de la prévoyance, un de nos chevaux de bataille du progrès mutualiste depuis la seconde guerre mondiale.

 

Le sujet principal sera de savoir si, compte tenu de l’état des finances publiques, si l’Etat sera capable d’honorer les vagues promesses de prise en charge. L’accord conclu n’est pas sans ambiguïté. Il est prévu que l’employeur prendra en charge 50% de la cotisation d’équilibre, sans que ce concept ne soit défini. Tous les agents publics qui bénéficient de l’actuel forfait mensuel de 30€ en participation au coût de leur complémentaire santé, risquent d’être déçus lorsqu’ils découvriront que ce qu’ils toucheront ne correspondra pas à la moitié de leur cotisation réelle. Plus globalement, il y a un risque que, pour des contraintes financières, cette cotisation de référence ne s’éloigne progressivement de la réalité des coûts comme en son temps le tarif de référence de la Sécurité sociale qui n’est devenu qu’un moyen de régulation financière. Ceci confirme que dans le domaine de la santé, gérer des enveloppes financières ne peut remplacer une véritable politique d’offre de soins et de services.

 

J’entends votre scepticisme quant à l’intérêt du dispositif pour les fonctionnaires pris individuellement, pourtant si les organisations syndicales ont conclu cet accord c’est qu’elles lui ont trouvé un côté positif.

 

Je ne fais pas de reproches aux organisations syndicales qui souvent négocient sous contraintes. A partir du moment où les sujets essentiels, niveau de rémunération et déroulement des carrières, ne sont pas sur la table de négociation, il faut trouver d’autres voies de passage. Comme dit le dicton populaire « faute de grives on mange des merles ».  Mais au-delà de l’avantage immédiat il nous faut prendre conscience des conséquences à moyen terme des bouleversements induits. Il ne s’agit pas d’avoir une posture conservatrice mais d’analyser si le nouvel équilibre sera, à terme, un meilleur optimum.

 

De ce point de vue, on a sous les yeux les effets de l’ANI dans le secteur privé. Certes ce dispositif d’obligation pour les employeurs a amélioré la situation des salariés des PME, mais reprendre dans la fonction publique l’argument des insuffisances de couverture du fait des adhésions individuelles est peu convaincant. Les études ont montré que l’absence de couverture en complémentaire santé pour les agents publics est infinitésimale par rapport au privé avant l’ANI.

 

Ce que l’ANI a montré c’est que l’amélioration de situation des salariés en activité a pour corollaire le sentiment de dégradation lors du passage en retraite, du fait de l’absence de prise en charge par l’employeur. C’est exactement la même chose qui se produira dans le secteur public. C’est ici que l’argument de l’alignement du secteur public sur le secteur privé me parait juridiquement mal fondé. En effet l’Etat a décidé de ne pas intervenir financièrement en faveur des retraités en s’alignant sur le privé. Il faut rappeler que dans le privé il n’est pas interdit à un employeur de contribuer financièrement à un régime de complémentaire maladie des retraités, mais que c’est particulièrement onéreux. En effet la norme comptable IFRS 15 traite comptablement une telle intervention comme créatrice de droits viagers qui doivent être intégralement provisionnés (comme un système de retraite). Or le dispositif IFRS 15 ne s’applique pas aux collectivités publiques, donc cette surcharge comptable n’existerait pas. Cette vision des choses révèle que la doctrine traditionnelle, du caractère viager des situations statutaires, est encore un peu plus érodé.

 

L’expérience de l’ANI démontre que les institutions gagnantes sont les courtiers gestionnaires. Ce que les salariés gagnent en diminution du coût net de leur complémentaire santé, ils le « paient » en ayant des services industrialisés peu capables de répondre à la diversité des situations personnelles ou familiales. Pour que leurs besoins personnels puissent être mieux pris en compte, les salariés peuvent souscrire des options dont le prix intègre leur difficulté à faire jouer la concurrence. C’est ce qui risque de se produire dans le secteur public, où le contrat collectif obligatoire santé sera le « papier attrape mouches » pour proposer des garanties complémentaires en santé et surtout en prévoyance, mais à quel prix ?

 

Merci de cette analyse mais dites-nous ce que compte faire votre mutuelle face à cette perspective de la PSC ?

 

Il faut encore accomplir un travail collectif considérable pour que cet accord national de principe ne soit pas vécu comme un parcours du combattant pour le plus grand nombre des agents publics. A partir du moment où l’on décide de « faire le bonheur » des agents publics malgré eux par le truchement de contrats collectifs obligatoires, il ne faut pas considérer la phase de mise en œuvre comme un sujet mineur. Dans notre pays nombre de belles réformes sur le papier ont buté à l’épreuve du réel.



Dans ce domaine j’ai le sentiment qu’il y a encore beaucoup de travail de mise à niveau pour les services RH des administrations pour que la bascule puisse être fluide. C’est en grande partie pour cela qu’il a été décidé de différer l’entrée en vigueur du dispositif d’un an. En sus, je ne suis pas certain que recourir à l’effet big bang en basculant à un instant t tous les agents d’un même ministère ne constitue pas une mise en risque opérationnel. Ayant été patron dans une entreprise privée je peux vous assurer que changer d’assureur pour plusieurs milliers de salariés est une entreprise minutieuse. A fortiori faire entrer des dizaines de milliers d’agents publics dans un seul tuyau créera des goulots d’étranglement et des situations personnelles critiques. Nous sommes bien loin de la vision de Descartes qui préconisait de diviser un « grand problème » en autant de « petits problèmes solubles ».

 

Pour notre mutuelle nous avons fait le choix de nous maintenir comme une mutuelle dédiée aux agents publics de l’Etat. Nous avons à cœur de rester un opérateur répondant aux besoins des agents publics de l’Etat en nous intéressant prioritairement aux agents affectés en région Ile de France, qui est le territoire traditionnel des Administrations centrales. Le choc de la PSC nous conduit à retravailler nos processus et nos outils afin de maintenir un service qualitatif, durable et des prestations complètes ne se limitant pas à la santé. Nous continuerons à répondre présents, tant en santé qu’en prévoyance, au titre des souscriptions individuelles pour ceux qui ne seront pas embrigadés dans des contrats collectifs. Mais nous ne resterons pas à l’écart des candidatures aux marchés publics dans nos champs traditionnels. Nous refusons de prendre prétexte de la PSC « pour attaquer » de nouveaux ministères. Nous étudions la possibilité d’aller à ces appels d’offre en coordination avec d’autres mutuelles de fonctionnaires sans pour autant nous insérer dans des mécanismes institutionnels prudentiels, tels que les unions de groupes, qui nous feraient perdre notre autonomie.


Nous pouvons suivre cette voie parce que 80 ans de « bonne gestion » a permis de bâtir un niveau de solvabilité qui facilitera la conduite par nous-mêmes des changements induits par la PSC. L’adage dit « il n’y a pas de bon vent pour celui qui ne sait où il va ».

 

C’est loin d’être le cas pour la MCF. Notre fidélité à la fonction publique d’Etat, à nos adhérents, à la solidarité choisie par notre assemblée générale dans le cadre d’une gestion raisonnée et démocratique constitue une boussole. Comme je l’ai écrit dans la préface de l’ouvrage de Charlotte Siney-Lange ces quatre-vingts premières années n’auront été qu’un début !

 

[1] Une mutuelle singulière. Histoire de la Mutuelle Centrale des Finances (1943-22023). Charlotte Siney-Lange. Editions de l’arbre bleu

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