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21 / 06 / 2024 | 569 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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Jean-Paul Benoit : « il faut sortir du pugilat jupitérien pour construire démocratiquement les solutions dont le pays a besoin pour vivre mieux »

Pour le président de la Fédération des mutuelles de France, avec la dissolution précipitée de l’Assemblée nationale, « le choc imposé à la société française en ce moment est violent ». Attentifs aux enjeux de protection sociale de la population, il souligne les graves incohérences de l’extrême droite et note avec  que le Nouveau front populaire « semble vouloir être un peu plus qu’un accord d’appareils politiques ».....

 

Pourquoi la FMF se mêle-t-elle de la campagne des élections législatives convoquées à la hâte ?

 

Jean-Paul Benoit : Mais parce que, pour paraphraser mon lointain prédécesseur Louis Calisti, la mutualité n’existe pas comme une entité isolée. Elle est un élément de la réalité sociale par laquelle elle est profondément marquée. Et le choc imposé à la société française en ce moment est violent.

 

C’est-à-dire ?

 

Jean-Paul Benoit :Le chercheur Raphaël Llorca parlait récemment dans l’émission C Politique de « coup d’État psychique », c’est-à-dire de la volonté, avec cette dissolution brutale et rapide, de déstabiliser fortement la société au point d’empêcher toute réaction rationnelle des citoyennes et des citoyens. Les confidences du président rapportées par le journal Le Monde – « je prépare ça depuis des semaines, et je suis ravi. Je leur ai balancé ma grenade dégoupillée dans les jambes. Maintenant on va voir comment ils s’en sortent…  »[1] - appuient cette analyse hautement inquiétante.

 

Il est évident qu’en trois semaines, moins de deux à l’heure où je vous parle, personne n’est en capacité de sortir de solution miracle de son chapeau. Pourtant, pour le domaine que nous connaissons, les défis sont immenses et essentiels. Notre système de santé est en crise profonde et multiforme. La médecine de premier recours n’est plus accessible à tous du fait du développement des « déserts médicaux » ruraux, périurbains et urbains. L’hôpital public, pierre angulaire de l’accès aux soins dans notre pays, est depuis longtemps en grande souffrance par manque de moyens matériels et humains au regard de sa mission primordiale.
 

La médecine libérale, y compris les spécialistes, s’installe dans un système à deux vitesses avec les dépassements d’honoraires qui sélectionne les patients pris en charge. La protection sociale est aussi en crise puisque depuis des décennies maintenant, les gouvernements refusent d’aborder la question primordiale, celle de la nécessaire augmentation des recettes de la Sécurité sociale. Mais si personne n’est en capacité de sortir de solution miracle, la direction, la logique, la philosophie des programmes en présence est primordiale.

 

Et quels sont les programmes en présence ?

 

Jean-Paul Benoit : Ces élections législatives anticipées verront s’affronter trois blocs. L’extrême droite, qui n’apporte aucune solution aux problèmes qu’elle prétend prendre en charge. Tout en diminuant les recettes des services publics et de la Sécurité sociale, elle annonce qu’elle va augmenter les dépenses et que de toute façon tout est de la faute aux migrants et aux libertés publiques. Si ce n’était pas grave, un tel niveau d’irresponsabilité serait drôle. Je ne m’étends pas sur les libertés publiques, chacun connait l’aversion de l’extrême droite pour les droits humains fondamentaux.
 

Prenons, en revanche, l’exemple de leur obsession de l’aide médicale d’État.
 

C’est une marotte agitée en tous senspar les partis extrémistes depuis des années qui ne représente que moins de 0,5% du budget de la branche maladie de la Sécurité sociale. 1 personne sur 2 qui y est éligible ne fait pas valoir son droit. C’est pourtant un outil pertinent de santé publique qui protège chacun et permet de prendre en charge à temps des personnes malades plutôt que d’attendre que leur état de santé se dégrade. L’AME pose-t-elle un problème éthique ? Évidemment non, elle contribue à en résoudre un :la situation administrative d’une personne ne détermine pas son état de santé. L’AME pose-t-elle un problème financier ? Non plus, je l’ai dit, moins de 0,5% des dépenses d’assurance maladie. Pourquoi, dès lors, en faire un axe de campagne sinon pour désorienter les gens et détourner leur attention de problèmes plus graves ? 

 

Il y a ensuite le programme de la minorité présidentielle sortante. Nous le connaissons, il est imbibé, et même carrément noyé à ce stade, de dogmes néolibéraux. Nous en avons mainte fois dénoncé les dangers depuis 7 ans. Les crises du système de santé, les difficultés de la protection sociale qui entravent le droit à la santé de chacune et chacun sont aussi le résultat de cette politique. Politique qui a largement nourri le gonflement de l’extrême droite.

 

Et le troisième ?

 

Jean-Paul Benoit :Il y a enfin le programme du « Nouveau front populaire » qui semble vouloir être un peu plus qu’un accord d’appareils politiques. De larges pans de la société civile se mobilisent dans la même logique. La Fédération des mutuelles de France a signé l’appel initié par la Ligue des droits de l’Homme, la Cimade, des syndicats et d’autres ONG. Cet appel est une mobilisation contre la possibilité d’une victoire électorale de l’extrême droite, mais pas seulement. On ressent assez largement la volonté d’attaquer le problème à sa racine et de changer la vie des gens qui ne sont pas aujourd’hui entendus.

 

La grosse centaine d’organisations signataires déclarent notamment que « battre l’extrême droite dans les urnes, combattre son projet raciste doit se conjuguer à l’émergence d’un changement profond, de ruptures sociales et écologiques et d’effectivité des droits ». Et puis elles ajoutent ceci, qui est important : « nous serons exigeants pour que les réponses que nous portons pèsent aujourd’hui et demain dans un dialogue social et civil effectif ».Il faut sortir d’urgence du « pugilat jupitérien » qu’on nous impose et qui fait le lit de l’extrême droite. Sortir du pugilat et retrouver les voies du dialogue. C’est en discutant, en échangeant que nous élaborerons les solutions dont le pays a besoin pour vivre mieux.

 

Et vous voulez contribuer à ce dialogue ?

 

Jean-Paul Benoit :La première mutuelle ouvrière a été créée en 1936 à Marseille. Ça fait donc pas loin de 90 ans que nous travaillons pour mettre la population en sécurité sociale et pour permettre à chacune et chacun l’accès aux soins que son état de santé requiert. Nous avons collectivement traversé des époques très différentes et nous en tirons une expertise. Nos pratiques quotidiennes, aujourd’hui, en complémentaire santé mutualiste et avec nos centres de santé nourrissent également notre réflexion.

 

Notre revendication d’une Sécurité sociale de haut niveau et universelle ne vient pas de nulle part. Elle vient de notre histoire, puisque nous avons soutenu la Sécu dès sa création, et de notre expertise : elle est le meilleur moyen pour faire face efficacement aux aléas qui marquent inévitablement nos vies à tous. L’idée que chacun peut s’autosuffire et se protéger seul est une fakenews !


Notre revendication de suppression des taxes sur les cotisations mutualistes n’est pas une lubie. C’est que cette taxe neutralise deux mois de cotisation sur douze de notre dispositif à but non lucratif. C’est un problème pour les adhérents mutualistes, d’autant que de plus en plus de remboursements sont transférés de la Sécurité sociale vers les complémentaires. Notre engagement pour le partage des tâches entre personnels soignants vient aussi de notre expérience en centre de santé notamment. Je pourrais continuer longtemps…


Vous pouvez retrouver tout cela dans notre cahier de propositions sur www.lasanteestundroit.fr.

 

Alors, oui, nous pouvons, nous voulons, avec les autres acteurs du mouvement social, contribuer à un dialogue démocratique restauré pour construire les solutions et les solidarités nouvelles dont la population a besoin. C’est ainsi que l’on peut défendre l’intérêt général, c’est-à-dire l’intérêt de chacun et non pas l’intérêt des plus puissants. Finalement, c’est cela qui est en jeu le 30 juin et 7 juillet. Malgré les conditions difficiles qui nous sont imposées, j’appelle chacune et chacun à voter. Et à voter après avoir mûrement réfléchi !

 

 

[1] Déclaration démentie par le service de presse de l’Élysée mais confirmée par Le Monde.

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