EuroKera : symptôme des errements européens ?
Les métallos de l’équipementier électroménager EuroKera (Aisne) sont mobilisés contre un PSE menaçant près d’un tiers des effectifs. Ils manifestaient ce 12 avril à Château-Thierry. Derrière le combat pour l’emploi, le spectre des conditions de concurrence plane et appelle des changements à l’échelle européenne.
Certains combats qui semblent de prime abord locaux ont parfois une résonnance avec ceux que mène notre organisation au plan national. C’est le cas du conflit qui agite l’entreprise EuroKera, à Chierry (tout près de Château-Thierry), où les métallos FO, majoritaires, sont mobilisés depuis l’annonce, le 24 février, d’un PSE qui menace 83 des 295 emplois de leur site. Plusieurs journées de grève et de nombreuses suspensions de réunion ont ponctué les dernières semaines, suite au refus de la direction d’accepter la présence de l’expert nommé par le CSE, mais aussi de signer l’accord de méthode. Il aura fallu plus d’un mois de mouvement pour que l’accord soit finalement signé et que commencent enfin les négociations sur le PSE, qui risque malgré tout d’aboutir à « un désastre industriel », selon le mot du secrétaire du syndicat FO David Decreaux. Les salariés n’en ont pas moins manifesté leur mécontentement ce week-end face un plan d’autant plus incompréhensible que Saint-Gobain, qui est derrière Eurokera, a annoncé pour 2024 un résultat d'exploitation record de plus de 5 milliards d'euros et une marge de plus de 11 % !
Absence de stratégie
Comment la situation chez ce spécialiste de la fabrication de plaques en vitrocéramique a-t-elle pu dégénérer de la sorte ? Une partie de la réponse se trouve quelques kilomètres plus loin, dans le département voisin de la Seine-et-Marne, près de Nemours. S’y trouve Keraglass, entreprise qui appartient au même groupe qu’EuroKera –une joint-venture (co-entreprise) entre le groupe américain Corning et Saint-Gobain– et qui lui intervient en amont dans le processus de fabrication des plaques. Chez elle aussi, au même moment, un PSE frappe et menace de laisser 77 salariés sur le carreau. Le site avait déjà connu une première saignée, il y a cinq ans. Depuis, rien n’a été fait par la co-entreprise pour anticiper les ruptures technologiques, la R&D a connu un coup d’arrêt et avec elle les rêves de diversification, par exemple sur des produits innovants comme le verre flexible, utilisé notamment sur les smartphones pliables. Ce ne sont pourtant pas les ressources qui manquaient, Saint-Gobain ayant réalisé en 2024 un résultat d'exploitation de 5,4 milliards d'euros…
Toute l’industrie est concernée
Pendant ce temps, le marché des plaques à induction s’est recomposé, avec une importante perte de terrain pour le fabricant tricolore. La raison de ce changement ? Un désavantage compétitif majeur au plan européen, venu aggraver des erreurs commerciales et l’impact du Covid. Alors que l'Union européenne interdit l'utilisation d'arsenic dans le processus de fabrication des plaques, la Chine s’est dispensée de cette obligation et en a profité pour écraser les prix –jusqu’à 40 % de moins– et laminer la concurrence. Tant pis pour l’industrie du vieux continent. Tant pis pour l’écologie. Et tant pis pour les salariés français. « C’est une problématique à laquelle nous faisons face dans la sidérurgie et dans d’autres secteurs, pointe le secrétaire fédéral Paul Ribeiro. L’Europe adopte des normes qu’elle ne s’impose qu’à elle-même et laisse ensuite faire les industriels du reste du monde s’en affranchir sans pour autant les taxer et tolérer donc, de fait, des pratiques de concurrence déloyale complètement inadmissibles ! » Voilà comment, sous prétexte d’écologie et de liberté du commerce, s’organise la disparition de pans entiers de notre industrie, dont EuroKera offre une nouvelle illustration.
Une mondialisation agressive
L’entreprise, malgré la situation, dit vouloir « maintenir sa pérennité face à un marché en pleine mutation ». Chiche ! répond FO, qui entend bien réduire l’ampleur du PSE. « Les emplois qui seront préservés ne verront leur avenir garanti que si le groupe se lance enfin dans la diversification de ses produits, investit sur son outil industriel pour gagner en efficacité et en compétitivité et adopte une politique ambitieuse de R&D, prévient Paul Ribeiro. Mais les normes et les conditions de concurrence doivent, dans le même temps, impérativement être assainies pour protéger enfin nos marchés face à une mondialisation toujours plus agressive et peu scrupuleuse. »