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ESS: Une petite lumière dans un paysage assombri
Encore une fois, les informations et les actions se percutent.
La situation politique, économique et sociale est telle que le monde de l’économie sociale et solidaire ne connait pas de repos, à la fois dans ses domaines d’intervention, compte tenu de l’accroissement de la pauvreté, des besoins de plus en plus grand de réponses ancrées dans les territoires, d’expression d’innovations sociales, ... mais aussi dans ses fonctionnements qui connaissent de plus en plus de difficultés du fait des financements qui s’amoindrissent , des choix budgétaires que prennent les pouvoirs publics.
La survie de nombre de structures de l’ESS est bien à l’ordre du jour, de même que le changement radical dont nous avons besoin pour mieux et plus répondre aux besoins des populations et à un nouveau développement économique harmonieux.
Alors, le regard porté sur l’actualité s’éclaire des constats et positions des uns et des autres, mais surtout, en ce mois de septembre d’un rapport qui met en lumière l’importance de structures de l’ESS : celui de la Cour des Comptes.
Pour une stratégie nationale de développement de l’ESS
En premier lieu, parlons de la position d'ESS France et de sa stratégie nationale de développement de l'ESS (22/09/25). Soulignant que l'Europe a appelé les États membres à adopter une stratégie nationale de développement de l'ESS, ESS France s'est emparée de cette question autour d'un travail collectif qui a impliqué l'ensemble des composantes de l'ESS, traduisant ainsi une opportunité pour transformer notre modèle économique et social.
ESS France rappelle que la France affronte une période dangereuse tant sur le plan politique que sur le plan social, économique, de l'accroissement des inégalités, du dérèglement climatique ou de l’effondrement de la biodiversité.
Partant de ce constat, il faudrait fixer des objectifs pour pouvoir développer une véritable programmation budgétaire pluriannuelle.
Ces objectifs s’articulent autour de 2 points essentiels : doubler la part de l'ESS dans l'économie d'ici 2050 et fixer un objectif intermédiaire d'augmentation des emplois de l'ESS de 20% d'ici 3 ans.
Pour cela, ESS France s’engage à mener 4 ambitions incontournables : Grandir, Inspirer, Organiser, Investir.
ESS France dégage alors cinq priorités pour doubler la part de l'ESS dans l'économie d'ici 20 ans :
- Mieux protéger les populations vulnérables,
- Favoriser la transformation, la reprise et la transmission des entreprises vers l’ESS,
- Améliorer l’accompagnement des porteurs de projet de l’ESS,
- Favoriser l’emploi dans l’ESS,
- Renforcer les coopérations territoriales
Benoit Hamon, président d’ESS France, rappelle à ce propos : « La stratégie nationale de développement de l’ESS est une opportunité pour la France. Les modèles entrepreneuriaux de l’ESS préfigurent l’économie de demain, respectueuse des écosystèmes naturels et sociaux, tempérante et innovante. Nous avons maintenant besoin d’un cap, d’un agenda de passage à l’échelle de l’ESS, d’objectifs communs et de ressources financières allouées à leur réalisation. Cette stratégie à venir est l’étape la plus attendue depuis la loi ESS de 2014. »
« Ça ne tient plus ! »
Mais la question centrale, actuellement est celle de la survie des principales forces et du plus gros contingent des structures de l’ESS : les associations.
Face à la situation catastrophique que rencontrent les associations, une mobilisation est appelée par le Mouvement Associatif pour que chacun soutienne celles-ci au moment où la situation économique, le manque de considération des pouvoirs publics, l’arrêt de programmes et la mise en coupe réglée de certains domaines conduit à la mort de beaucoup d’entre elles.
Tout cela dans un contexte où l’équilibre social et démocratique de notre pays est menacé du fait des restrictions budgétaires, de la limitation de la liberté d’expression (nous en avons déjà parlé à propos du contrat d’engagement républicain, mais cela s’accroit), de la fragilisation des bénévoles comme des salariés.
Plus que jamais il est important de se mobiliser pour défendre les associations qui sont au cœur du développement local, de la cohésion sociale, du soutien à toute la population. Claire THOURY, présidente du Mouvement Associatif, lance un appel à mobilisation, le 11 octobre prochain rappelant que « dans tous les territoires, dans toutes les sphères de la vie quotidienne. Solidarités, éducation populaire, culture, sport, santé, environnement, accompagnement des plus fragiles, les associations sont au cœur de nos vies, au cœur de notre société, en France et à l’international. Elles donnent une voix à celles et ceux qui n’en ont pas, elles créent du lien, elles permettent l’engagement citoyen, elles rendent possible l’impossible. »
La conséquence des baisses de financement à hauteur de 41% en 15 ans entraine une baisse ou une cessation de certaines activités faute de bénévoles et de salariés touchant ainsi toute la population quand des missions de service public assurées par les associations ne peuvent plus se mettre en place.
« Ce traitement illustre un véritable mépris institutionnel envers le monde associatif. Or, la liberté d’association n’est pas un privilège accordé par l’État : c’est un droit fondamental consacré par la loi de 1901 et la Constitution. Un droit historique, dont nous sommes fiers, et qu’il nous faut défendre. » souligne Claire THOURY.
La journée du 11 octobre est essentielle pour sauvegarder « ce trésor national » (Claire THOURY).
Le Service Civique en danger !
Mais comme si cela ne suffisait pas, voici que sont annoncées des baisses drastiques du financement d’un dispositif qui a fait ses preuves pour l’engagement des jeunes dans notre société : le service civique, dispositif qui répond clairement à un besoin d’engagement de la jeunesse mais aussi à leur entrée dans le monde adulte pour une première expérience à la fois d’investissement personnel et d’apprentissage. Les associations jouent un rôle essentiel dans le Service Civique : elles en sont à l’origine, et représentent aujourd’hui encore 80 % des organismes agréés.
Depuis 2010, elles ont permis à plus de 500 000 jeunes de s’engager.
Les perspectives 2026 concernant le dispositif sont très préoccupantes, avec les risques :
- D’un nouveau gel des missions dès janvier faute de budget voté (au vu de la jurisprudence de février 2025) - D’une nouvelle baisse du budget alloué impliquant soit une diminution du nombre de missions proposées, soit une baisse de la durée moyenne des missions proposées. Il faut absolument que toutes les associations mais aussi la société civile se mobilisent pour que cet outil essentiel aux jeunes et important pour le monde associatif puisse perdurer et se développer
Quand la Cour des Comptes nous parle des soutiens publics à l’économie sociale et solidaire (1)
Alors, nous pourrions désespérer puis une lumière arrive dans ce maëlstrom de nouvelles déprimantes : le rapport de la Cour des Comptes sur les soutiens publics à l’ESS. Ce n’est pas le Graal, mais, comme le souligne ESS France : « Rapport de la Cour de comptes sur les soutiens publics à l'ESS : un travail indispensable, des recommandations urgentes, une nouvelle ère à ouvrir ».
Car il s’agit bien de cela : saisie par une sollicitation citoyenne, la Cour des Comptes vient de faire paraître le premier rapport d’étude qu’elle consacre à l’Économie Sociale et Solidaire (ESS), donnant ainsi de la visibilité à l’économie sociale et solidaire.
Elle souligne l’importance de son intervention dans les territoires et fait un ensemble de préconisations importantes.
Ce rapport est important, dans un contexte où se tiendra à Bordeaux le Forum mondial de l’économie sociale et solidaire et où la France doit remettre à la Commission européenne une stratégie de développement de l’ESS à horizon 2035 d’ici la fin de l’année.
La Cour des Comptes note la méconnaissance de ce qu’est l’ESS dans notre pays et la nécessité de promouvoir cette forme d’économie : « Malgré une présence dans de nombreux secteurs d’activité, sa notoriété dans l’opinion publique et sa visibilité restent insuffisantes, dans un contexte de généralisation des démarches de responsabilité sociale au sein des entreprises et d’apparition des entreprises à mission en 2019. Dans ce contexte, la Cour recommande de promouvoir, dès l’adoption de la stratégie nationale de soutien à l’économie sociale et solidaire en 2025, les spécificités du mode d’entreprendre de l’ESS, notamment au moyen du guide des bonnes pratiques prévu par la loi du 31 juillet 2014. » (2)
Après une présentation de ce qu’est l’ESS à partir de l’article 1er de la loi du 31 juillet 2014, de qui sont les entreprises de l’ESS, de leur poids économique, du nombre d’entités et de ce qu’elles représentent dans le paysage économique de la France, la Cour des Comptes fait le point sur ce que fait l’État pour des entreprises qui sont souvent des porteurs des politiques publiques, alors même que la part que l’État consacre à ces entreprises est proportionnellement largement inférieure à ce qu’il consacre aux entreprises traditionnelles.
Selon ESS France, les éléments clés à retenir sont :
- - (Le fait que) « malgré son rôle dans la mise en œuvre des politiques publiques, l’ESS reçoit moins de soutien de la part de l’Etat que l’économie conventionnelle (7 % des aides aux entreprises alors qu’elle représente 13,7% de l’emploi privé).
- - Le rapport souligne l’absence de pilotage stratégique de l’État des politiques publiques relatives à l’ESS et la nécessité d’élaborer une stratégie nationale de développement de l’ESS
- - Il recommande la mise en œuvre par l’INSEE d’un compte satellite ESS qui permettra de mieux connaître les réalisations de l’ESS et les tendances qui concernent les modèles économiques de ses entreprises et organisations. »
- A propos de ce compte satellite demandé depuis de nombreuses années par tous les acteurs de l’ESS, la Cour des Comptes souligne : « L’aboutissement d’ici 2027 du projet de compte satellite avec l’Insee permettrait d’aller au-delà des indicateurs de la comptabilité nationale pour mieux appréhender les activités, la valeur ajoutée et le poids dans l’économie nationale de l’ESS.
Des flux financiers publics vers l’économie sociale et solidaire en progression, sans stratégie d’ensemble » (3)
- Le financement de l’ESS par l’État est faible comparé aux financements des autres entreprises (7 % du total des aides aux entreprises).
L’État consacre 16 milliards d’euros en soutien à l’ESS, soit 3,61 % des dépenses nettes de l’État en 2024 sous forme de subventions, aides aux postes, produits de tarification, etc. tandis que, ainsi que le souligne le Sénat, le montant des aides publiques aux entreprises est évalué à 211 milliards. Le travail de la Cour démontre que seules 4 % des entreprises de l’ESS bénéficient de subventions.
Cette information bat en brèche tout ce qui se dit sur une économie assistée et soutenue par les finances publiques.
Le privé lucratif est sous perfusion permanente quand l’ESS soutient l’économie nationale. Il faudrait que l’État tienne compte des apports économiques de l’ESS à l’économie nationale et les bienfaits de nombre d’entreprises de l’ESS qui couvrent des champs entiers de ce qui fait le ciment de notre société (« La Cour démontre notamment que 80 % des subventions touchées par l’ESS sont des dépenses pour garantir des droits ou assurer des services dans le prolongement de l’action de l’Etat, prouvant que l’ESS est une économie indissociable de l’intérêt général. ») (4) -
Au-delà de ces aspects financiers, c’est la relation entre l’État et les acteurs de l’ESS, mais aussi l’organisation du pilotage des politiques publiques qui sont pointées et qui montrent qu’un véritable changement doit s’opérer pour prendre en compte à part entière cette économie de territoire :
o - Donner au délégué chargé de l’économie sociale et solidaire un positionnement interministériel d’ici 2026.
o - Mieux articuler son action avec celle des collectivités territoriales pour élaborer une stratégie nationale de qualité : « L’augmentation des soutiens publics constatée sur la période ne traduit pas une préférence affichée des acteurs publics pour ce mode d’entreprendre et ne s’inscrit pas dans une stratégie", estiment les rapporteurs. Ces derniers préconisent donc de "stabiliser le pilotage" de la politique de soutien à l’ESS, notamment en donnant au délégué ministériel - en poste depuis 2023 - un positionnement interministériel, et de "renforcer la coordination entre l’État et les collectivités territoriales". La future stratégie nationale de l’ESS doit être coconstruite avec les régions et les intercommunalités, est-il recommandé plus précisément. »( 5)
o - Agir sur le soutien de l’État au développement du modèle d’ESS axé sur la mobilisation des investisseurs publics et privés
o - Soutenir Les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), dans leur rôle de catalyseur d’innovation sociale.
o - Modifier, d’ici 2026, la doctrine de BPI France sur les titres participatifs : « le refus de Bpifrance de comptabiliser les titres participatifs comme des fonds propres est préjudiciable pour de nombreuses coopératives pour lesquelles ces titres, qui sont des valeurs mobilières, représentent le levier le plus efficace pour attirer des financeurs privés et publics. »
o - Poursuivre le fléchage des fonds privés vers l’ESS
o - Soutenir les chambres régionales de l’économie sociale et solidaire : « La situation des Chambres Régionales de l’ESS (CRESS) illustre bien les conséquences de la faiblesse de ces moyens. Elles ne jouissent pas des moyens leur permettant de réaliser leurs missions légales de développement de l’ESS, des missions pourtant analogues à celles des réseaux consulaires qui agissent au profit de l’économie lucrative et dont on connaît l’ampleur des moyens. » (6)
o - Promouvoir, dès l’adoption de la stratégie nationale de soutien à l’économie sociale et solidaire en 2025, les spécificités du mode d’entreprendre de l’ESS, notamment au moyen du guide des bonnes pratiques prévu par la loi du 31 juillet 2014.
On le voit, la situation générale de l’ESS est tendue et un tel rapport ne peut qu’apporter des éléments pour permettre son développement, mais cela ne pourra se faire que par une réelle volonté politique qui accepte et encourage le changement de paradigme économique. Nous aurons encore à convaincre !
(1) https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2025-09/20250918-Soutiens-publics-a-economie-sociale-et-solidaire.pdf
(2) Communiqué de presse - Palais Cambon, le 18 septembre 2025 - Rapport public thématique d’initiative citoyenne : LES SOUTIENS PUBLICS À L’ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE
(3) Communiqué de presse - Palais Cambon, le 18 septembre 2025 - Rapport public thématique d’initiative citoyenne : LES SOUTIENS PUBLICS À L’ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE
(4) Communiqué d’ESS France
(5) Localtis : « Soutien public à l’économie sociale et solidaire : la Cour des comptes invite l’État et les collectivités à mieux se coordonner » - Publié le 17 septembre 2025
(6) Communiqué d’ESS France