Participatif
ACCÈS PUBLIC
13 / 09 / 2023 | 150 vues
PASCAL DELMAS / Membre
Articles : 35
Inscrit(e) le 13 / 01 / 2018

La négociation sur l'égalité professionnelle en entreprise et l'amélioration des conditions de travail : Illustration d’un accord « global »

Au sein du Groupe Orano (ex-Areva) , a été signé le 9 mai 2023 un  « accord pour l’accélération de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes  2023-2027 ».
 

Rappel du cadre légal
 

Suivant les dispositions de l’article L 2315-94, « Le comité social et économique peut faire appel à un expert habilité :


1° Lorsqu'un risque grave, identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l'établissement ;

2° En cas d'introduction de nouvelles technologies ou de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévus au 4° de l'article L. 2312-8 ;

3° Dans les entreprises d'au moins trois cents salariés, en vue de préparer la négociation sur l'égalité professionnelle ».


Le coût de l’expertise est à 80% à la charge de l’employeur et 20% reposant sur le budget de fonctionnement du CSE (intégralement par l’employeur en l’absence de tout indicateur relatif à l’égalité professionnelle).
 

Il résulte d’un arrêt de la cour de cassation (Cass. soc., 14 avril 2021, nº 19-23.589 FS-P ) que la désignation de l’expert doit être faite en un temps utile à la négociation. Cette expertise peut être ordonnée quand bien même la négociation a commencé à être engagée. Enfin, cette disposition, issue de la loi nº 2015-994 du 17 août 2015, est spécifiquement destinée à favoriser la négociation sur l’égalité professionnelle. Elle ne peut être étendue à d’autres champs de négociation.
 

Nous retrouvons dans ce principe d’expert technique (habilité) nommé par le CSE mis au service des organisations syndicales lors des négociations annuelles obligatoires, une disposition comparable à celle qui prévoit que le CSE peut nommer un expert-comptable (qui peut aussi se faire aider par un expert technique) pour aider les organisations syndicales à négocier les dispositions relatives à un PSE.
 

Il faut donc qu’organisations syndicales et CSE s’entendent afin de bénéficier de ce droit méconnu.
 

En effet, dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d’organisations représentatives et où sont désignés un ou plusieurs délégués syndicaux, l’employeur engage tous les ans (ou au moins une fois tous les quatre ans si un accord collectif portant sur la périodicité des négociations obligatoires a été conclu) :
 

  • Une négociation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, portant notamment sur les mesures visant à supprimer les écarts de rémunération, et la qualité de vie et des conditions de travail (la référence à la qualité des conditions de travail résulte de la loi du 2 août 2021 citée en référence, en vigueur depuis le 31 mars 2022).


D’après l’article R2242-2 « l'accord relatif à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes conclu à l'issue de la négociation mentionnée au 2° de l'article L. 2242-1 ou, à défaut, le plan d'action prévu à l'article L. 2242-3 fixe les objectifs de progression et les actions permettant de les atteindre portant sur au moins trois des domaines d'action mentionnés au 2° de l'article L. 2312-36 pour les entreprises de moins de 300 salariés et sur au moins quatre de ces domaines pour les entreprises de 300 salariés et plus. Ces domaines d'actions sont les suivants : embauche, formation, promotion professionnelle, qualification, classification, conditions de travail, sécurité et santé au travail, rémunération effective et articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale.


Les objectifs et les actions sont accompagnés d'indicateurs chiffrés.


La rémunération effective est obligatoirement comprise dans les domaines d'action retenus par l'accord collectif ou, à défaut, le plan d'action.

 

L’égalité de rémunération femmes/ hommes

 

Si le principe d’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes est affirmé depuis longtemps au niveau européen notamment avec la directive no 2006/54 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail, le constat a été fait que l’application du principe de l’égalité des rémunérations n’était pas effective et que faute de transparence, les femmes victimes de discrimination salariale ne disposaient pas des informations suffisantes pour faire reconnaître en justice la discrimination.
 

L’autre constat est que l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes était de 13 % au niveau de l’Union selon une évaluation faite en 2020, des disparités existant selon les États. En France, les femmes perçoivent en moyenne un salaire inférieur de 15,8 % à celui des hommes. En outre, l’écart salarial entre femmes et hommes, à poste équivalent et compétences égales, est toujours de 9 % .
 

C’est donc pour mieux lutter contre la discrimination salariale au détriment des femmes et tenter de parvenir à l’égalité des rémunérations pour un même travail ou un travail de valeur égal qu’une directive européenne 2023/970 du 10 mai 2023 sur la transparence des rémunérations a été adoptée en vue d’imposer notamment une transparence des rémunérations. Les États membres ont jusqu’au 7 juin 2026 pour transposer la directive.
 

Son objectif est que les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que les employeurs disposent de structures de rémunération garantissant l’égalité des rémunérations pour un même travail ou un travail de même valeur. Des outils et méthodes analytiques doivent être mis en place grâce à des systèmes non sexistes d’évaluation et de classification des emplois. Les critères objectifs à utiliser doivent inclure 4 facteurs : compétences, efforts, responsabilités et conditions de travail. Ceux-ci sont considérés comme des « facteurs essentiels et suffisants pour évaluer les tâches effectuées au sein d’une organisation », quel que soit le secteur économique auquel elle appartient.

 

Cette directive a de multiples conséquences (voir le numéro 18817 de Liaisons Sociales Quotidien du 16 juin 2023)
 

  1. Les employeurs devront communiquer aux candidats à un emploi la rémunération initiale ou la fourchette de rémunération initiale correspondant au poste pour lequel ils postulent, et qui doivent reposer sur des critères objectifs non sexistes. L’objectif est donc de veiller dès ce stade à ce que la rémunération proposée n’est pas liée au sexe du candidat et de garantir une négociation éclairée et transparente en matière de rémunération. Ils devront également porter à la connaissance des candidats les dispositions de la convention collective en lien avec la rémunération qui seront appliquées en rapport avec le poste.  Ces informations devront être données avant l’entretien d’embauche. À défaut de mention dans l’offre d’emploi, il sera prudent de pouvoir justifier, en cas de difficulté, que l’information a bien été donnée. L’employeur pourrait être tenu dès le stade du recrutement de justifier les critères retenus pour fixer tel montant ou telle fourchette de rémunération, lesquels ne doivent pas être discriminatoires.

     
  2. L’obligation de transparence se traduit alors par l’obligation pour l’employeur de mettre à disposition des salariés les critères, qui doivent être objectifs et non sexistes, utilisés pour déterminer la rémunération, les niveaux de rémunération et la progression de la rémunération. Par ailleurs, les salariés doivent avoir accès aux informations sur leur niveau de rémunération individuel et les niveaux de rémunération moyens et médians, ventilés par sexe, pour les catégories de salariés effectuant le même travail ou un travail de valeur égale. La directive prévoit que les informations, lorsqu’elles sont demandées, doivent être transmises au salarié dans un délai raisonnable et tout au plus dans un délai de deux mois à compter de la demande. Une telle obligation d’information individuelle n’existe pas pour l’heure en droit français.

     
  3. A compter d’un effectif de 100 salariés, l’employeur doit fournir à l’autorité compétente nationale des informations sur l’écart de rémunération, y compris, médian, entre les femmes et les hommes, celles-ci devant également concerner les composantes variables ou complémentaires de rémunération.

    L’information donnée doit aussi concerner la proportion de femmes et d’hommes bénéficiant de composantes variables ou complémentaires. La visibilité quant aux écarts de rémunération doit ainsi concerner tous les éléments de rémunération. La fréquence de communication de ces informations dépendra de la taille des entreprises. Elles devront être fournies tous les ans dans les entreprises de 250 salariés et plus, tous les trois ans . dans les entreprises de 150 à 249 salariés.

    La première communication doit avoir lieu au plus tard le 7 juin 2027.S’agissant des entreprises de 100 à 149 salariés, les entreprises auront jusqu’au 7 juin 2031 pour communiquer les informations relatives aux écarts de rémunération, la communication devant ensuite avoir lieu tous les trois ans.

    S’agissant des entreprises de moins de 100 salariés, les États membres auront toute latitude pour exiger des employeurs la communication de telles informations.

    On rappellera qu’en France, les entreprises ont déjà l’obligation de publier les indicateurs relatifs aux écarts de rémunération. Celui-ci devra évoluer dès lors qu’aujourd’hui c’est la rémunération totale brute qui est comparée alors que la directive prévoit que l’écart doit être calculé au niveau aussi des composants variables ou complémentaires et pas seulement au niveau de la rémunération dans son ensemble.

    L’index égalité applicable en France devra donc comporter pour son calcul les salaires médians et la distinction entre salaire ou traitement ordinaire et composantes variables ou complémentaires.

 

  1. Si l’écart de rémunération moyen est d’au moins 5 % et que l’employeur ne peut pas justifier la différence de niveau de rémunération moyen par des critères objectifs non sexistes et n’y remédie pas dans un délai de six mois, il devra alors procéder à une évaluation conjointe des rémunérations avec les représentants des salariés. La directive détaille les éléments devant être pris en compte dans le cadre de cette évaluation qui a pour objet de recenser, prévenir et corriger les écarts de rémunération non justifiés. Cette évaluation devra être mise à disposition notamment des représentants des salariés et des salariés eux-mêmes.
     
  2. La directive prévoit aussi des règles en matière de charge de la preuve. Dès que le salarié établit des faits qui présument de l’existence d’une discrimination, c’est à l’employeur de prouver l’absence de discrimination. Elle prévoit également que le juge peut ordonner la production de preuve y compris contenant des informations confidentielles et qu’il doit disposer de moyens efficaces pour protéger ces informations. Il est prévu aussi des règles en matière de délai de prescription, celui-ci ne pouvant être inférieur à trois ans.

 

Illustration d’un accord « global » sur le sujet
 

Au sein du Groupe Orano (ex-Areva) , a été signé le 9 mai 2023 un  « accord pour l’accélération de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes  2023-2027 » . Il présente l’intérêt de porter la négociation sur la politique d’égalité de traitement entre les femmes et les hommes, dans quelque domaine que ce soit, notamment l'accès des femmes aux postes à responsabilités, le développement des viviers de recrutement, la mixité des métiers, l’égalité salariale à profil et niveau de responsabilités équivalents, ou la prévention des agissements, comportements sexistes et harcèlement sexuel.
 

Pour ce faire, les parties conviennent en particulier du maintien des objectifs non atteints et de renforcer les objectifs atteints ou dépassés. Ces objectifs concernent les domaines du recrutement, de la formation et la promotion professionnelle, ainsi que la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle notamment au travers du droit à la déconnexion et de la parentalité. Il y est indiqué que « les parties souhaitent renforcer la communication, la sensibilisation et la formation du collectif de travail sur ces thèmes. Les objectifs ainsi fixés par le présent accord se déclinent en mesures concrètes, pragmatiques et communes à l’ensemble des salarié(e)s du Groupe, quelle que soit leur entreprise d’appartenance. Ces mesures doivent permettre d'éviter toute forme d’entrave ou résistance liée en particulier au sexe ou au genre, dans l’accès aux postes notamment les postes à responsabilités, la formation, la gestion des carrières et les rémunérations ».
 

« Ces objectifs et mesures s’articulent autour des principes suivants que les parties souhaitent accélérer pour en faire à terme un « non-sujet » :

 

− La mixité professionnelle est facteur d’enrichissement collectif et d’efficacité économique ;

− L’égalité salariale entre les femmes et les hommes fait partie intégrante de la politique diversité et plus généralement de la politique sociale et rémunération ;

− L’accès des femmes aux postes à responsabilités et la mixité des métiers peuvent être facilités par un accompagnement spécifique par la formation et la promotion interne ;

− La parentalité ne peut, en aucun cas, constituer un frein au recrutement, à l’accès à la formation, à la promotion professionnelle et à l’évolution salariale ;

− L’amélioration des conditions de travail, la recherche d’une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle, notamment le temps partiel au bénéfice de tous les salariés, favorise l’égalité entre les femmes et les hommes en entreprise ;

− Les actions de prévention et de lutte contre les agissements sexistes, conscients ou non, permettent de créer un environnement de travail inclusif au sein duquel chacun peut se réaliser, quel que soit son genre.

Pas encore de commentaires