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07 / 06 / 2023 | 419 vues
Joseph Tayefeh / Membre
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Retrait de la « Foire aux questions » sur la présomption de démission : le Ministère empêche le débat judiciaire

Pour rappel, la Loi N° 2022-1598 du 21 décembre 2022, portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi, a créé un nouvel article L. 1237-1-1 du code du travail et qui prévoit :

 

« Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans le délai fixé par l’employeur, est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai.

 

Le salarié qui conteste la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette présomption peut saisir le conseil de prud’hommes. L’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui se prononce sur la nature de la rupture et les conséquences associées. Il statue au fond dans un délai d’un mois à compter de sa saisine.

 

Le délai prévu au premier alinéa ne peut être inférieur à un minimum fixé par décret en Conseil d’Etat. Ce décret détermine les modalités d’application du présent article. »

 

S’en est suivi le Décret d’application N° 2023-275 du 17 avril 2023 qui ajoute un nouvel article R. 1237-13 au code du travail et rédigé en ces termes :

 

« L’employeur qui constate que le salarié a abandonné son poste et entend faire valoir la présomption de démission prévue à l’article L. 1237-1-1 le met en demeure, par lettre recommandée ou par lettre remise en main-propre contre décharge, de justifier son absence et de reprendre son poste.

 

Dans le cas où le salarié entend se prévaloir auprès de l’employeur d’un motif légitime de nature à faire obstacle à une présomption de démission, tel que, notamment, des raisons médicales, l’exercice du droit de retrait prévu à l’article L. 4131-1, l’exercice du droit de grève prévu à l’article L. 2511-1, le refus du salarié d’exécuter une instruction contraire à une réglementation ou la modification du contrat de travail à l’initiative de l’employeur, le salarié indique le motif qu’il invoque dans la réponse à la mise en demeure précitée.

 

Le délai mentionné au premier alinéa de l’article L. 1237-1-1 ne peut être inférieur à quinze jours. Ce délai commence à courir à compter de la date de présentation de la mise en demeure prévue au premier alinéa. »

 

Le 18 avril 2023, le Ministère du Travail a publié sur son site une « foire aux questions » (FAQ) intitulée « Questions-Réponses | Présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire du salarié »

 

Alors qu’une Foire Aux Questions est censée venir expliquer, éclairer les textes légaux et réglementaires, cette FAQ est venue imposer des nouvelles obligations/restrictions aux entreprises.

 

La première question-réponse est en effet rédigée en ces termes :

 

« 1. L’employeur est-il obligé d’envoyer une mise en demeure si son salarié est en abandon de poste ?

 

Non, l’employeur peut décider de ne pas mettre en demeure son salarié qui a abandonné volontairement son poste. Dans ce cas, l’employeur conserve le salarié dans ses effectifs. Le contrat de travail du salarié n’est pas rompu mais seulement suspendu ; la rémunération du salarié n’est donc pas due.

 

A contrario, si l’employeur désire mettre fin à la relation de travail avec le salarié qui a abandonné son poste, il doit mettre en œuvre la procédure de mise en demeure et de présomption de démission. Il n’a plus vocation à engager une procédure de licenciement pour faute. »

 

Le seul choix qui s’ouvre à l’employeur en cas d’abandon de poste est donc selon la FAQ soit de mettre en œuvre la procédure aboutissant à la présomption de démission, soit de conserver le salarié en se contentant de suspendre son salaire.

 

La voie du licenciement pour faute (ouvrant droit aux allocations chômage), éventuellement pour faute grave, est donc fermée.

 

Quant à la sixième question-réponse, elle est rédigée en ces termes :

 

« 6. Si une convention collective prévoit que la démission du salarié doit se faire par écrit, cette exigence s’applique-t-elle dans le cadre de la présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire du salarié ?

 

La démission n’est soumise à aucun formalisme légal. Elle peut donc se faire par écrit ou oralement, pourvu qu’elle se manifeste de façon claire et non-équivoque. Si des conventions collectives imposent un écrit produit par le salarié pour manifester sa volonté de démissionner, la jurisprudence de la Cour de cassation a estimé que ce type de dispositions n’institue qu’une règle de forme dont la méconnaissance ne remet pas en cause la décision du salarié.

 

Dans le cas précis de la présomption de démission en cas d’abandon de poste du salarié, l’employeur n’est donc pas obligé de demander à son salarié qui ne s’est pas manifesté suite à la mise en demeure de produire un écrit pour formaliser sa démission.

 

Cependant, afin d’assurer une meilleure lisibilité de cette articulation, il est recommandé de mettre à jour les conventions collectives afin de prévoir explicitement que l’exigence d’une démission exprimée par écrit ne s’applique pas dans le cadre de présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire du salarié prévue à l’article L. 1237-1-1 du code du travail. »

 

Le ministère du travail vient donc s’ingérer dans la négociation collective de branche et requiert la mise à jour des conventions collectives pour les mettre en conformité avec sa propre interprétation. Certes, il est indiqué « recommandé » mais on connaît depuis les protocoles sanitaires (masques, télétravail) la valeur quasi-obligatoire de la recommandation ministérielle.

 

Référé-suspension de Plastalliance

 

Fin avril 2023 et séparément, le Cercle Rafay, Association, et la CGT-FO (Force Ouvrière) saisissaient le Conseil d’Etat au fond aux fins d’annulation de la FAQ.

 

Le 26 mai 2023, Plastalliance qui avait également saisi le Conseil d’Etat au fond mais aussi en référé-suspension obtint rapidement une date d’audience en référé pour le 07 juin 2023. La procédure de référé-suspension de l’exécution de la FAQ a comme énorme avantage d’être très rapide (alors qu’au fond il faut compter en général au moins 12 mois). Vous trouverez ICI  les motifs liés à l’urgence.

 

C’est alors que 3 jours plus tard et nécessairement informé de l’enrôlement de la procédure de Plastalliance au Greffe du Conseil d’Etat, le Ministère du Travail dépublie la FAQ en invoquant : « Compte tenu des interrogations soulevées par la FAQ et également portées dans le cadre du contentieux contre la FAQ auprès du Conseil d’État, il est apparu que celle-ci ne permettait pas en l’état, contrairement au but poursuivi, d’éclaircir les modalités d’application du nouveau cadre juridique. C’est pourquoi, le ministère du travail, du plein emploi et de l’insertion a décidé de retirer de son site la FAQ relative à la présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire du salarié. »

 

Si l’on peut certes se réjouir que la FAQ ne soit plus applicable, c’est toutefois une déception car l’audience du 07 juin 2023 aurait permis de débattre de l’interprétation du Ministère. Ministère qui a confirmé auprès de la presse qu’il maintenait son interprétation sur l’impossibilité de licencier pour faute en cas d'abandon de poste, la présomption de démission ou l’inaction de l’employeur étant les seules voies possibles.

 

Cependant, si le Ministère revenait à la charge avec une FAQ bis, sa position, déjà bien fragile selon de nombreux juristes et avocats, est désormais intenable après cet retrait.

 

Il est à noter que l’un des arguments développés par Plastalliance dans le cadre du référé concernait la violation de dispositions étendues de la Convention Collective de la Plasturgie qui sont incompatibles avec la FAQ. L'audience du 07 juin 2023 ne servira qu'à demander la condamnation de l'Etat pour les frais de procédure engagés. 

 

Enfin, il est à noter le silence surprenant des organisations représentatives patronales interprofessionnelles et des organisations syndicales de salariés à l’exception de la CGT-FO concernant une position du Ministère du Travail qui impacte l’ensemble des salariés et employeurs et qui, si elle était appliquée, serait source de nombreux contentieux.  

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