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13 / 05 / 2020 | 288 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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« Notre pays aura bien besoin d’une offre de soins à tarifs opposables, sans dépassement d’honoraires » - Thierry Beaudet

Entretien avec Thierry Beaudet (président la Mutualité Française) sur l'importance de l'implication du mouvement mutualiste en cette période, les efforts consentis par les mutuelles et les enseignements à en tirer...

 

Comment les établissements mutualistes ont-ils mobilisé leurs forces face au coronavirus ?
 

Nos 2 800 établissements et services mutualistes se sont entièrement engagés dans cette crise sanitaire aux conséquences sans précédent. En lien avec le service public hospitalier, ils sont mobilisés pour soigner les malades du coronavirus et pour maintenir l’accès aux soins des plus fragiles et les accompagner à domicile. C’est notre rôle historique d’acteur de soins que de répondre « présent » pendant cette crise. Avec dans toutes nos structures, un engagement admirable des soignants et de l’ensemble de notre personnel, dont nous sommes fiers.


À Paris, l’Institut mutualiste Montsouris a ouvert une unité de prise en charge de 128 lits (dont 50 de réanimation). À Saint-Étienne, la clinique Bellevue s’est profondément réorganisée pour l’accueil des patients. En Côte d’Or, la Mutualité Bourgogne-Franche-Comté a constitué une équipe mobile qui intervient aux côtés du CHU de Dijon. Les établissements du groupe MGEN, les Trois Épis en Alsace et l’Institut de La Verrière en Île-de-France ont créé des unités d’accueil des patients atteints du covid-19 dans des régions fortement touchées par l’épidémie. De nouveaux services sont proposés. Tech'Air, entité du groupe VYV3, établissement et service d'aide par le travail (ESAT), fournit tous les composants essentiels à l'assemblage d'un respirateur à l'entreprise Air Liquide.

 

En matière de maintien de la couverture assurantielle ?
 

Les mutuelles dites « de livre 2 » se sont pleinement organisées pour maintenir le service des prestations de santé et de prévoyance à leurs adhérents. À l’annonce du confinement, elles ont pris la décision de fermer tous les sites accueillant du public. Elles ont massivement basculé leurs collaborateurs en télétravail, en mobilisant de nombreuses solutions techniques de communication afin que les assurés puissent rester en contact avec leur mutuelle. Face à la réduction d’activité de certains secteurs, des organismes tels que Macif Mutualité ou la MGEN ont redéployé les collaborateurs concernés sur des campagnes d’appels afin de rompre la solitude des assurés ou de leur proposer des services existants.
 

Pour répondre à l’urgence, nous avons aussi mis un socle commun de dispositifs en place, comportant par exemple le maintien des garanties de santé et de prévoyance en cas de chômage partiel. La Mutualité Française a obtenu que les droits à l’ACS soient prolongés de trois mois si les contrats venaient à terme durant la période. Par ailleurs, beaucoup d’organismes mutualistes ont décidé d’aller encore plus loin dans l’accompagnement de leurs assurés et dans le soutien des structures économiques les plus fragiles.

 

En matière de vie démocratique, la Mutualité Française a obtenu des mesures de flexibilité pour l’organisation des assemblées générales et des conseils d’administration (report et réunion à distance) du régulateur.

 

À combien estimez-vous l’effort financier consenti par les mutuelles ?
 

À ce jour, les mutuelles ont mobilisé plus de 200 millions d’euros par l’intermédiaire de toute une série d’initiatives. Je pourrais citer Ampli mutuelle (qui a supprimé la franchise pour le personnel soignant), MNH (qui a créé une plate-forme d’écoute pour ce même personnel), Pasteur Mutualité (qui lance un fonds d’action mutualiste) ou encore Harmonie mutuelle et Aésio (qui reportent le paiement des cotisations pour les TPE-PME). La liste est loin d’être exhaustive. Les mutuelles protègent aussi ceux qui rencontrent le plus de difficultés avec la mobilisation de fonds d’aide sociale mutualiste notamment, permettent de répondre aux situations individuelles les plus graves.

 

Quels sont les effets économiques pour les mutuelles ? Les remboursements en santé vont-ils baisser ?
 

Certaines activités dans nos centres (comme le dentaire ou l’optique) sont fortement touchées. Beaucoup de services souffrent. Certains ont recours au dispositif d’activité partielle. C’est un sujet très important pour le monde mutualiste que le soutien qu’il va devoir apporter à son offre de soins mutualiste. Des structures qui sont ouvertes, je le rappelle, à tous les Français et pas seulement aux adhérents des mutuelles. La crise sanitaire est aussi une crise économique, avec de fortes répercussions sociales, et, dans ce contexte, notre pays aura bien besoin d’une offre de soins à tarifs opposables, sans dépassement d’honoraires.

 

Concernant les remboursements d’assurance, l’incertitude est forte sur le coût des arrêts de travail et les évolutions en santé. Les dépenses de soins de ville baissent pour mars et avril 2020 mais nous nous attendons à des effets de report pour les postes en recul. Les mutualistes s’avèrent très préoccupés du non-recours aux soins actuel car qui dit plus tard, dit plus grave et plus coûteux.

 

Les dépenses d’hospitalisation (premier poste de remboursement des mutuelles) sont déjà en hausse. Cette augmentation va perdurer car les établissements vont devoir reprogrammer toutes les interventions reportées pour cause de coronavirus.

 

Ces incertitudes sur les dépenses se doublent d’une inconnue sur le montant de cotisations non recouvrées pour les mutuelles proposant des contrats collectifs aux entreprises.

 

Nous ferons les comptes au terme de l’épidémie, lequel risque d’être assez lointain. Mais il n’est sûrement pas dans l’esprit mutualiste de tirer profit de cette crise pour améliorer sa situation financière. Si les mutuelles devaient constater une hausse de leurs résultats techniques du fait de la pandémie, elles le redistribueraient à leurs adhérents, selon leur situation.

 

Dans cette période, quel regard portez-vous sur notre système de santé ?
 

Cette crise a apporté la preuve de l’utilité de notre système de santé et de protection sociale, lequel joue un formidable rôle d’amortisseur. Elle montre cependant la nécessité de le renforcer structurellement avec toutes les ressources nécessaires. Sur les deux derniers budgets de la Sécurité sociale, la Mutualité Française a contesté une vision trop comptable de l’objectif des dépenses d’assurance-maladie et elle a dénoncé une évolution bien trop contrainte des dépenses hospitalières. Le système hospitalier manque de ressources, c’est incontestable. Il était essoré avant même d’affronter l’épidémie. Il faut davantage de moyens pour l’hôpital et pas uniquement pour lui. La crise montre bien les problèmes d’organisation que notre système de soins rencontre. Il faut repenser les articulations entre la ville et l’hôpital et entre le sanitaire et le médico-social, en finir avec ces cloisonnements et favoriser l’exercice regroupé et les approches pluri-professionnelles.

 

Mais je veux également souligner les lignes de force de notre système de santé. La situation a été très tendue dans l’est et en Île-de-France mais l’organisation et les soignants ont fait que notre dispositif a tenu, sans rupture d’égalité dans la prise en charge des malades. Personne n’est mort parce qu’il avait moins de ressources financières que le patient voisin. D’autres patients, dans d’autres pays du monde, n’ont pas cette chance.

 

Cette crise ne va-t-elle pas affecter nos sociétés durablement ?
 

Notre société et notre économie vont être profondément bouleversées par cette crise qui est la plus importante depuis 1945. C’est une crise totale, sanitaire, économique et sociale. Au-delà de ses effets terribles, je veux retenir un point positif : jamais l’ensemble des pays de la planète n’avait arrêté l’économie pour sauver des vies humaines ; jamais on n’avait accordé autant de valeur à la vie humaine.
 

Je veux espérer que cette pandémie va nous pousser à réinterroger notre fonctionnement et à corriger nos dérèglements afin que la vie « d’après » soit réellement différente de celle « d’avant ». Je forme le vœu que la recherche, la prévention, la santé et le développement durable deviennent de véritables priorités des politiques publiques et que notre pays apporte enfin de vraies réponses aux gens vulnérables. Avec d’autres, une loi pour le grand âge et l’autonomie est plus que jamais essentielle.

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