Quelle responsabilité des partenaires sociaux en situation de crise pandémique ?
La situation de grave crise sanitaire que traverse actuellement la France, du fait de la pandémie liée au Coronavirus, est absolument inédite. Elle est inédite eu égard notamment aux importantes conséquences qu’elle entraîne ou qu’elle est susceptible d’entraîner au sein des entreprises sur les plans organisationnel, économique, humain et juridique.
Les effets induits de cette crise sanitaire d’ampleur inégalée depuis la fin de la seconde guerre mondiale, impactent non seulement les employeurs (baisse de la productivité, retard dans la réalisation des prestations, perte de chiffre d’affaires), mais aussi les salariés (baisse de revenus, arrêt maladie, chômage partiel). Nous sommes ainsi dans une situation où la responsabilité de tous les acteurs du dialogue social sans exclusive est interpellée. Comment cette responsabilité va-t-elle se traduire ?
Nous n’avons la prétention ni de lire dans une boule de Crystal ni d’être le directeur de conscience de qui que ce soit. Néanmoins, nous pensons pouvoir exprimer ce qui, de notre point de vue, devrait orienter les actes et comportements des partenaires sociaux en cette période délicate et plus que jamais incertaine, où notre système de protection sociale est mis à rude épreuve.
Attitudes irresponsables
Dans bon nombre d’entreprises, on observe déjà une augmentation vertigineuse du nombre d’arrêts de travail et du nombre de recours au droit de retrait. Si ces réactions des salariés sont justifiées dans certains cas, il reste que dans beaucoup d’autres cas, ces réactions ne sont pas du tout fondées. Pis, dans certaines entreprises, les salariés sont carrément incités par des organisations syndicales à activer systématiquement ces leviers, alors même que les circonstances ne le justifient point. Ces attitudes sont irresponsables.
Pourtant, le gouvernement a pris des mesures pour répondre à la gravité et à la singularité de la crise que traverse le pays. Ainsi, s’agissant des relations de travail, ce sont pas moins de 4 circulaires, sous forme de questions/réponses, qui à ce jour ont été prises par le ministère du travail (28 Février, 09 Mars, 15 Mars et 17 Mars 2020) pour répondre aux préoccupations des uns et des autres. Par exemple, dans la circulaire du 17 Mars 2020, il est clairement indiqué que « Dans le contexte actuel, dans la mesure où l'employeur a mis en œuvre les dispositions prévues par le code du travail et les recommandations nationales (https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus) visant à protéger la santé et à assurer la sécurité de son personnel, qu'il a informé et préparé son personnel, notamment dans le cadre des institutions représentatives du personnel, le droit individuel de retrait ne peut en principe pas trouver à s'exercer. » (Page 20)
Dit autrement, pour que l’exercice du droit de retrait par le salarié soit légitime dans le contexte actuel, il faudrait qu’il y ait un manquement de l’employeur au respect des recommandations nationales prescrites par le gouvernement, ou une défaillance dans la mise en œuvre des mesures générales de prévention et de protection en matière de santé et de sécurité prévues par le Code du travail.
Les salariés qui seraient tentés de profiter de cet épisode dramatique du Coronavirus, pour s’offrir des vacances à domicile et espérer être payés à ne rien faire, alors que toutes les conditions sont réunies pour qu’ils continuent d’exercer en toute sécurité leur activité professionnelle, doivent avoir conscience des risques auxquels ils exposent non pas seulement leur entreprise, mais aussi et surtout eux-mêmes. Le plus évident de ces risques, et sans doute le pire, est celui de mettre en péril l’activité économique de l’entreprise et rendre ainsi possible l’éventualité d’une compression des effectifs à travers un plan de sauvegarde de l’emploi.
Ce risque n’est bien évidemment pas souhaitable, mais l’irresponsabilité de certains salariés, appuyés en cela par quelques organisations syndicales de facture dogmatique, opportuniste et démagogique, pourrait le rendre inévitable. Certes, le président de la république Emmanuel Macron, dans son allocution télévisée du 16 Mars 2020, a promis qu’« aucune entreprise ne sera livrée au risque de faillite ». Sans remettre en doute la sincérité de son propos, il n’en demeure pas moins qu’il ne s’agit là, ni plus ni moins, que d’une profession de foi dont personne (pas même le président de la république !) ne peut en garantir l’effectivité dans le contexte actuel où aucun lendemain n’est certain; puisque ce qui était encore vrai hier (Possibilité d’organiser les élections municipales par exemple) ne l’est plus aujourd’hui.
C’est donc à un devoir de responsabilité qu’il convient d’appeler aussi bien les employeurs que les salariés. Non aux employeurs qui profiteront de cette situation de crise pour opérer une réduction inopportune et injustifiée des effectifs de l’entreprise ! Non également aux salariés qui mettent en péril leur entreprise en usant et abusant d’arrêts de travail et du droit de retrait pour ne plus remplir leurs obligations professionnelles ! Aujourd’hui plus qu’hier, les partenaires sociaux (direction et représentants du personnel) ont intérêt à travailler en bonne intelligence. Face à la mort (économique ou humaine), l’heure n’est-elle pas à une solidarité agissante ? Nous vivons là l’une des rares occasions où patron et salarié se trouvent de fait en situation d’alliés objectifs car le Coronavirus n’est ni en faveur de l’un ni en faveur de l’autre.
Pour reprendre le sociologue allemand Max Weber (1), « Il est indispensable que nous nous rendions clairement compte du fait suivant : toute activité orientée selon l’éthique peut être subordonnée à deux maximes totalement différentes et irréductiblement opposées. Elle peut s’orienter selon l’éthique de la responsabilité ou selon l’éthique de la conviction (…) Lorsque les conséquences d’un acte fait par pure conviction sont fâcheuses, le partisan de cette éthique n’attribuera pas la responsabilité à l’agent, mais au monde, à la sottise des hommes ou à la volonté de Dieu qui a créé les hommes ainsi. Au contraire, le partisan de l’éthique de responsabilité comptera justement avec les défaillances communes de l’homme et il estimera ne pas pouvoir se décharger sur les autres des conséquences de sa propre action pour autant qu’il aura pu les prévoir ».
En clair, l’éthique de la responsabilité renvoie à la mesure des éventuelles conséquences néfastes des actes qu’on peut être amené à poser. Tandis que l’éthique de conviction se soucie moins de ces conséquences, que de la fidélité aux croyances qui poussent à poser ces actes.
Dans ce climat actuel d’angoisse, d’incertitude et même de tensions généralisées, lié à l’apparition d’un redoutable virus dont la terreur mortifère a radicalement changé notre quotidien et n’en garantie absolument rien pour l’avenir, nous plaidons l’éthique de responsabilité de chacun, dans l'intérêt de tous !
(1) Max Weber, Le savant et le politique, Plon, 10/18, Paris 1995.