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17 / 12 / 2019 | 683 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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« L’ESS est une économie de l’engagement qui colle parfaitement à son époque » - Jérôme Saddier, ESS France

Jérôme Saddier (président d'ESS France) a bien voulu répondre à nos questions, dans le prolongement du mois de l'économie sociale et solidaire (ESS).
 

Le mois de l’ESS vient de se terminer ; quel bilan pouvez-vous en tirer ?
 

À l'origine, l’initiative de mettre l'ESS en lumière pendant un mois de l’année est un projet issu des acteurs territoriaux, notamment de la CRESS de Provence-Alpes-Côte d'Azur. C’est d’ailleurs le conseil national des CRESS qui anime et coordonne ce temps de visibilité de l’ESS et qui, cette année encore, a su en faire un temps d’appropriation collective par l’ensemble des acteurs de l’ESS dans leur grande diversité. Loin de chercher à résumer l’activité de l’ESS sur un mois, il s’agit surtout d’une mobilisation collective des acteurs pour montrer l’utilité de cette forme d’économie citoyenne à plus d’un titre, mais également son ambition dans la réponse aux différents défis de notre société. Les 2 500 événements enregistrés sur la plate-forme numérique du mois de l’ESS traduisent ainsi une vivacité certaine et son implantation dans l’ensemble des secteurs et territoires. De nombreux sujets ont été traités, notamment à travers les semaines thématiques, sur l’éducation et la sensibilisation à l’ESS dans les programmes scolaires et de l’enseignement supérieur à travers la semaine étudiante de l’ESS, sur le financement des entreprises de l’ESS et la semaine de la finance solidaire, sur l’économie circulaire avec la semaine européenne de la réduction des déchets ou encore pour la journée du 25 novembre de lutte contre les violences faites aux femmes, à l’occasion de laquelle, l’observatoire national de l’égalité hommes-femmes dans l’ESS a publié une nouvelle étude traduisant le chemin à parcourir pour nos entreprises et organisations sur ce sujet.
 

Mais pourquoi avoir besoin de mettre l’ESS en lumière ?
 

Aujourd’hui encore, l'ESS souffre d’une méconnaissance par les citoyens alors que ceux-ci sont pourtant conscients de ses apports, de ses réalités et même parfois de son omniprésence dans leur vie quotidienne. Ils s’engagent pour un bon nombre par le bénévolat (en France, nous avons plus de 22 millions de bénévoles), ils travaillent ou consomment dans des structures coopératives ou adhèrent encore à une mutuelle de santé ou sont sociétaires dans une mutuelle d’assurance. L’objectif par ce mois est de montrer la cohérence entre l’ensemble de ces structures participant de la vie quotidienne de chacun, une cohérence principalement appuyée sur le sens et l’objectif des entreprises composant l’économie sociale et solidaire : un objet libéré de sa lucrativité pour permettre sa concentration sur son utilité dans la société. Pour toutes ces raisons, l’ESS est une économie de l’engagement qui colle parfaitement à son époque.
 

Les pouvoirs publics n’en sont-ils pas eux-mêmes convaincus ?
 

La reconnaissance de l’ESS par les pouvoirs publics est un combat permanent et plus encore son inscription dans des politiques publiques ou la prise en compte de sa dimension interministérielle. Comme le mois de l’ESS coïncide avec l’examen du projet de loi de finances (PLF) au Parlement, c’est aussi l’occasion de faire entendre nos arguments et nos propositions. Ainsi, le PLF affichait un budget de l’ESS à 19,894 millions d’euros pour 2020, en légère hausse par rapport à 2019 (environ un million d’euros), ainsi qu’un plan de soutien à l’insertion par l’activité économique suite à l’annonce du pacte d’ambition pour l’IAE de près de 120 millions d’euros. Si cette hausse, sans précédent notamment pour l’inclusion des plus fragiles, est bienvenue pour marquer une ambition, nous avons rappelé que les politiques publiques qui concernent toutes les composantes de l’ESS émargent sur plusieurs budgets ministériels et, qu’à ce titre, nous nous inquiétions à la fois des reculs constatés par ailleurs et de l’absence de vision interministérielle pour l’ESS. L’étude publiée au début du mois de l’ESS par l’observatoire national de l’ESS sur la conjoncture de l’emploi participe à établir ce constat, avec un recul de l’emploi depuis l’arrêt des contrats aidés. Même si l’ESS est minoritairement une économie fonctionnant sur fonds publics, une portion de celle-ci (notamment avec les associations gestionnaires d’activités) est dépendante des décisions des pouvoirs publics, que ce soit en matière de subventions, d’emplois aidés ou de tarification.
 

L’ESS a pourtant l’image d’une économie subventionnée et spécialisée dans la réparation sociale...
 

Il n’y a rien de plus faux et de plus injuste, même s’il n’a rien de déshonorant ou d’illégitime à travailler avec l’agent socialisé par nos concitoyens. Nos entreprises et organisations ont de tout temps eu à construire le modèle économique adapté à leur activité. Certaines d’entre elles ont recours à la subvention publique ou à d’autres dispositions résultant de l’engagement financier des pouvoirs publics mais c’est alors essentiellement dans le cadre de missions d’intérêt général que ces pouvoirs publics n’assument pas eux-mêmes et qu’ils confient à d’autres, parfois en étant inspirés par les innovations sociales portées par l’ESS. Par ailleurs, si l’on observe les secteurs d’activité dans lesquels l’ESS joue un rôle majeur, on constate qu’il s’agit de secteurs moins aidés par la puissance publique. Dans d’autres secteurs économiques (tels que l’énergie, le transport, l’industrie, l’automobile…), les aides publiques directes ou indirectes (fiscalité, commande publique, tarification, services publics de soutien…) sont bien plus importantes que dans ceux investis par l’ESS. Nous avons la conviction (et souhaitons largement faire partager cette dernière) que parier sur l’ESS peut contribuer à élaborer une société plus juste démocratiquement, socialement et écologiquement, sans rien abdiquer de la nécessaire performance économique.
 

Cette ambition est-elle entendue au niveau européen ?
 

La nouvelle Commission européenne vient de se doter d’une feuille de route inédite en faveur de l’ESS. Nous jugerons aux actes quant à l’existence d’une ambition collective mais nous avons la chance de pouvoir compter sur l’engagement personnel de Nicolas Schmit, Commissaire européen en charge de l’Emploi et des Droits sociaux, qui portera cette feuille de route aux côtés de ses collègues, notamment de Thierry Breton en charge du marché intérieur, puisque les principaux services d’appui aux entreprises de l’ESS lui sont rattachés. Les choses se remettent en place progressivement, avec également la reconduction de l’intergroupe de l'économie sociale du Parlement européen qui est un point d’appui important, comme l’est le Conseil économique et social européen. La reconnaissance de nos sociétés de personnes à but non-lucratif ou à lucrativité limitée est essentielle pour que les textes européens puissent en intégrer les spécificités dans l’activité législative.
 

Il faut beaucoup de force collective pour parvenir à cela. Est-ce si facile et naturel dans l’ESS ?
 

Notre histoire collective est faite de trajectoires souvent parallèles mais pas toujours convergentes et la situation est évidemment exacerbée en Europe compte tenu des modèles économiques et sociaux très différents les uns des autres. Le terme même d'« économie sociale » est la réappropriation de la théorie économique de Charles Gide pour en faire la définition politique commune du « tiers secteur » coincé entre l’économie capitaliste et les services publics. Dès l’origine, ce « tiers secteur » était divers et peinait à s’unifier. J’ai la conviction que l’ampleur des enjeux auxquels nous sommes confrontés, parce qu’ils constituent potentiellement autant des opportunités pour nos activités que des menaces pour nos modèles, nous mène à l’unité. C’est le mouvement que nous avons engagé en rapprochant ESS France, qui fédère les grands réseaux nationaux de l’ESS, du CNCRESS qui coordonne les chambres régionales et leurs acteurs sur le territoire. La fusion qui va en résulter pourra nous donner plus de cohérence et de force pour bâtir le développement de l’ESS et, quand il le faudra, pour nous défendre. Ceux qui s’engagent dans l’ESS, que ce soit comme salariés ou comme bénévoles, le font pour permettre à chacun d’être acteur et citoyen dans la production, l’usage et la consommation. Faire de l’ESS « l’économie de demain » est un beau mot d’ordre : convenons qu’il demande du temps, de l’énergie et de la force de conviction. Le sens du collectif qui caractérise l’ESS est un atout essentiel.

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