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05 / 11 / 2019 | 725 vues
Hermann Martial NDJOKO / Membre
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La discrimination syndicale « positive » : bonne ou mauvaise idée ?

Depuis 1956 [1], le droit français interdit toute discrimination fondée sur l’appartenance ou l’activité syndicale. Cette interdiction est consacrée aussi bien par le code du travail [2] que par le code pénal [3]. En effet, il est strictement interdit à l'employeur de prendre en compte l'appartenance ou l’activité syndicale en matière de recrutement, conduite et répartition du travail, formation professionnelle, avancement, rémunération et octroi d’avantages sociaux, mesures de discipline et de rupture du contrat de travail [4].

 

Au cours des vingt-cinq dernières années et sous l’impulsion de la CGT notamment, les contentieux en discrimination syndicale ont pris de l’ampleur. Ainsi, rien qu’entre 2012 et 2014, 253 décisions de la Cour de cassation, 1 243 décisions de Cour d’appel et 1 198 décisions de Conseil de prud’hommes ont été rendues sur ce thème [5].

 

Les enjeux financiers afférents au contentieux de la discrimination syndicale ne sont pas des moindres. Le 13 janvier 2009, la Cour de cassation a prononcé une condamnation record : 608 000 euros contre la société Nestlé [6] pour discrimination syndicale. À notre connaissance, c’est la plus lourde condamnation jamais prononcée en France en la matière [7]. À l’échelle de plusieurs salariés, le coût financier de la discrimination syndicale pour l’entreprise peut donc s’élever à des millions d’euros.

 

Conscientes de cela et soucieuses par ailleurs de limiter au maximum le risque de tension et de confrontation avec leurs élus, certaines entreprises, souvent de bonne foi, optent au contraire pour une sorte de « discrimination positive » au bénéfice des représentants du personnel, dans l’optique d’acheter la paix sociale. Cette discrimination syndicale positive consiste notamment en l’octroi de passe-droits et de mansuétudes aux représentants du personnel. Dit autrement, il ne s’agit plus pour l’employeur et ses préposés de faire du tort mais plutôt des faveurs aux représentants du personnel ; dans le but ultime de générer en retour de la part de ces derniers, des comportements attendus de celui qui se sait redevable d’être dans les petits papiers du chef. Ceci n’est ni plus ni moins que du clientélisme.

 

Ainsi, il n’est pas rare en entreprise de voir certaines fautes commises par un délégué syndical ou un membre du CSE, être tolérées ou alors moins sévèrement sanctionnées par la direction, que si les mêmes fautes avaient été commises par un salarié lambda. À vrai dire, ce « deux poids deux mesures » est généralement moins gouverné par l’envie de renoncer aux idéaux éthiques que par le souci de composer avec la réalité pratique. Soyons en effet très pragmatiques et imaginons par exemple une direction qui aurait eu la main lourde à l’égard d’un délégué syndical fautif, en lui infligeant une sanction disciplinaire. Le risque pour la direction de se mettre à dos les autres représentants du personnel (par l’effet de la solidarité de corps) n’est pas nul. Ce risque peut être d’autant plus important si concomitamment, l’entreprise est en cours de négociation d’accords avec cet élu sur des sujets à fort enjeu. Le sabotage de la négociation collective par l’élu récalcitrant peut ainsi être la conséquence directe et immédiate de la sanction disciplinaire qu’il s’est vu infliger, quand bien même ladite sanction était totalement justifiée.

 

Pour autant, faut-il légitimer la discrimination syndicale positive ? Nous sommes acquis à l’idée que tout favoritisme à l’égard des représentants du personnel n’est pas sans risques car il peut mettre l’entreprise sur le fil du rasoir. En effet, les différences de traitement ne sont juridiquement admises que lorsqu'elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée [8]. À cet égard, la Cour de cassation considère par exemple qu’un employeur ne peut pas unilatéralement prévoir un système d’avancement ou d’augmentation propre aux salariés exerçant des activités syndicales différent de celui des autres salariés [9].

 

En outre, la discrimination positive au profit des salariés protégés peut créer un effet pervers : la « discrimination » à l’encontre des salariés non protégés. La violation du principe d’égalité de traitement entre salariés serait ainsi caractérisée.

 

Dans la même veine, la discrimination syndicale positive peut produire des effets contraires à ceux recherchés. En effet, si l’octroi des passe-droits dans le but de réduire l’influence ou, plus franchement « la capacité de nuisance » des représentants du personnel, peut à court terme servir de monnaie d’échange pour avoir la paix sociale, il nous semble qu’à moyen ou long terme, cette pratique peut à l’inverse augmenter la présence syndicale dans l’entreprise en suscitant davantage d’engagement militant chez des salariés ordinaires souhaitant eux aussi profiter des mêmes rentes de situation. Or, « la multiplication des syndicats au sein d’une même entreprise contribue à rendre plus difficile la pratique des négociations dans la mesure où les vrais problèmes disparaissent derrière des querelles incessantes en vue de s’assurer les voix des salariés aux élections professionnelles » [10].

 

En définitive, la discrimination syndicale soi-disant positive nous paraît être une fausse bonne idée dont il faut se méfier, dans la mesure où elle s’apparente à de la corruption morale. De surcroît, la discrimination syndicale positive ne peut aucunement être une solution pérenne à quelque problème social ou à quelque difficulté managériale que ce soit. Il vaut mieux privilégier la quête de solutions pérennes aux problèmes et conflits sociaux, en prohibant toute forme de discrimination syndicale, qu’elle soit négative ou prétendument « positive ». La discrimination syndicale positive relève d’une vision managériale court-termiste, dont les effets ne procurent jamais rien d’autre à l’employeur qu’une illusion de soulagement, au demeurant éphémère.

 

[1] Loi n° 56-416 du 27 avril 1956.

[2] Art. L.1132 et suivants du Code du travail.

[3] Art. L. 225-1 et suivants du Code pénal.

[4] Art. L. 2141-5 du Code du Travail.

[5] Travail et Emploi, n° 145, janvier-mars 2016, « La discrimination syndicale en question : la situation en France ».

[6] Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 07-42864.

[7] Condamnation de l’employeur au bénéfice d’un seul salarié.

[8] Article L. 1133-1 du Code du travail.

[9] Cass. soc., 23 février 2005, n° 02-47.433 et Cass. soc., 29 janvier 2008, n° 06-42066.

[10] Hubert Landier et Daniel Labbé, Le management du risque social.

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Un article qui a le mérite d'exposer ouvertement les pratiques et coutumes internes suscitées par de plus en plus d'employeurs dont les capacités financières sont importantes.

La tentation est en effet "trop belle" afin de susciter la corruption des élus et autres DS en fonction de leur représentativité et des résultats sociaux que l'on détermine en objectifs à venir... Malheureusement, cela marche pour certains d'entres eux !

Quoiqu'il en soit, ATMB (Autoroutes & Tunnel du Mont-Blanc) n'aura pas tenu compte de la loi au sujet de la discrimination envers l'appartenance syndicale, et cela tout simplement piloté par l'égo de son responsable social, soutenu par l'employeur.

Si la CGT impulse les contentieux sur ce sujet, elle n'agit alors pas en ce sens dans toutes les entreprises où elle est représentée. Pire, associée à d'autres OS, elle oeuvre contre un de ses collègues, alimenté par de vieilles rancoeurs et jalousies non assumées...

les enjeux financiers peuvent être importants mais au cas par cas et très généralement pour quelques exceptions. D'une façon générale et globale, le résultat est moindre et ne compense pas les nombreuses années discriminantes, à la fois morales et financières. Ne reste en finalité que la souffrance accumulée, lorsqu'elle ne vient pas alors se cumuler avec l'absence d'emploi du fait de l'âge et... de l'impact psychologique de tout ce parcours professionnel mais aussi judiciaire en faveur de la reconnaissance du préjudice !

La discrimination dite positive se veut courante et "normale" dans de nombreuses entreprises et notamment celles où les capacités financières sont importantes. Les traces qu'elles portent sont souvent nombreuses auprès du personnel car il n'est pas rare de mettre "le prix" pour obtenir l'aval des élus et/ou DS, souvent contre les avantages sociaux de tous...

Il faut aussi prendre en compte le fait que des employeurs peut scrupuleux favorise cette discrimination en axant leurs manipulations sur les rancoeurs et les égos de celles et ceux qui jalousent certains confrères. En s'associant alors avec ce type d'employeur, ils permettent à plus ou moins long terme, la chute psychologique favorisant "une descente aux enfers"...

La discrimination dite positive n'est jamais mise en oeuvre et utilisée pour le bien commun et encore moins pour celles et ceux qui en bénéficient. Les objectifs originaux sont tout autre et lorsque l'on a plus besoin des personnes, les manipulateurs s'en débarrassent alors sans la moindre culpabilité et de remords.

Cette discrimination trouve sa place en rapport au mode de vie individuel où les travailleurs n'avance que pour eux seuls sans le sens du collectif. C'est tout le sens de cette discrimination.

Une prise de conscience suscitant des réactions responsables pourraient alors l'amoindrir ou du moins la freiner mais pour cela, encore faut-il que les différents acteurs en prennent bien la lucidité, morale surtout.