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Vers une police de la sécurité sanitaire qui déléguerait certains contrôles à des acteurs privés ?
Lors d'une rencontre syndicale en mars dernier, le Ministère de l'Agriculture avait annoncé que le rapprochement de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF *) et la Direction générale de l'alimentation (DGAL **) était envisagé et qu'il pourrait se traduire par la création d'une agence dont le pilotage serait confié au Ministère de l'Agriculture.
Certes, dans la période actuelle des « grands chantiers » de réforme de la fonction publique et de réflexions engagées sur les missions et l'organisation des services, on peut s'attendre à tout. Mais cette annonce (pour le moins singulière au regard du prétendu dialogue social régulièrement mis en avant) ne pouvait que susciter incompréhension et stupéfaction dans les services de la DGCCRF ainsi que de légitimes et vives réactions des syndicats de Bercy jamais informés de ces intentions...
La DGCCRF : une longue histoire « tourmentée »
Rappelons en effet que la DGCCRF est née en 1985, de la fusion de deux directions : la direction générale de la concurrence et de la consommation et le service de la répression des fraudes, relevant de deux ministères différents (respectivement du ministère chargé de l’Économie et de celui chargé de l’Agriculture), avec pour objectif de rassembler les compétences de contrôle en leur donnant une plus grande indépendance.
La DGCCRF et ses antennes départementales ont pour mission de veiller au bon fonctionnement du marché économique. Elle intervient auprès des entreprises et assure la protection des consommateurs en veillant à :
- l'information sur les prix,
- la qualité et la sécurité des produits et des services,
- et aux conditions des échanges marchands entre les entreprises afin d’assurer la loyauté des pratiques commerciales et des transactions à l’égard des consommateurs.
Mais il est clair qu'au fil des ans, depuis 1981 (lorsque le service de la répression des fraudes est devenu une direction du Ministère de la Consommation), le débat sur les missions entre les deux ministères a très souvent été rouvert, à l'occasion de chaque changement de gouvernement...
C'est dire le climat qui n'a cessé de régner dans une direction (dont chacun se plaît à reconnaître l'importance en temps de crise mais pour autant jamais épargnée par les coupes budgétaires dans ses moyens) et de surcroît bien « chahutée » par les différentes réorganisations des services déconcentrés de l'État ces dernières années, avec un personnel ne s'y retrouvant parfois plus dans les injonctions contradictoires des responsables ministériels, directionnels et préfectoraux, avec des incidences y compris sur la situation du personnel en termes de déroulement de carrière ou en matière sociale...
Aussi, face à ses nouvelles annonces, (dévoilées une nouvelle fois de l'extérieur) les agents de la DGCCRF pouvaient sérieusement s'interroger sur les réelles intentions de leur direction et du Ministre de l'Économie et des Finances (longtemps bien « discrets ») et leur réelle volonté à défendre leurs prérogatives.
En effet, la manière dont nos ministres ont pu, ces derniers mois, traiter les dossiers sur les missions et l'organisation de secteurs ministériels comme la DGFIP ou les Douanes est loin d'être rassurante et ne peut nourrir que de très vives inquiétudes car elle témoigne :
- d'une curieuse conception du dialogue social (mais n'a-t-il pas toujours été démontré que ce ne sont pas ceux qui en parlent le plus qui le pratiquent le mieux ?) ;
- et surtout de la manière dont les ministres paraissent bien prompts à brader les services publics sur l'autel du libéralisme en faisant fi des principes et valeurs qui les sous-tendaient.
Face au tollé provoqué par les propos du Ministre de l’Agriculture plaidant pour une police unique (voire pour la création d'une agence) de la sécurité sanitaire des aliments regroupant les services de la DGAL et de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, Bruno Le Maire a finalement répondu en urgence à la demande des fédérations syndicales de Bercy et de leurs syndicats nationaux de la DGCCRF en les recevant début avril (Miroir Social s'en est fait l'écho le 8 avril...).
Selon lui, trois options sont possibles :
- le statu quo mais il n’y est pas favorable ;
- une meilleure coordination DGCCRF/DGAL ;
- une police de l’alimentation.
Sans préempter des conclusions de la mission inter-inspections annoncée, il a, à cette occasion, clairement affirmé son opposition à une absorption d’une direction par une autre (DGAL-DGCCRF), tout en précisant sa préférence pour une « police économique et de sécurité sanitaire », telle que l’envisagent les parlementaires. Pour Bruno Le Maire, ce serait même le scénario idéal.
Depuis cette rencontre, les contours de la mission et ses objectifs ont été précisés la semaine dernière et rendus publics. Pour autant, les interrogations et les inquiétudes sur le devenir de la DGCCRF sont loin d'être levées.
En effet, la lettre de mission adressée aux corps d'inspection (IGF, IGAS, IGA et Conseil général de l'alimentation) invite à une réflexion, à partir de plusieurs options, sur :
- l'efficacité de l'exercice des missions,
- la clarté sur l'organisation et la répartition des compétences entre les structures,
- la lisibilité pour le consommateur et les entreprises,
- les modalités de déploiement de l'option qui sera préconisée et c'est bien à partir de là que le doute peut s'installer dans les réelles intentions gouvernementales.
En effet, la lettre de mission précise bien les options à étudier :
- la création d'une nouvelle entité ou le rattachement à des entités existantes chargée de coordonner l'action interministérielles aux niveaux national et européen, voire de mener les contrôles officiels ;
- une modification du périmètre de compétences opérationnelles respectives des différentes administrations concernées ;
- ou la délégation de certains contrôles ou autres actions publiques pour permettre aux agents publics de se focaliser sur les contrôles à plus haute valeur ajoutée. En clair et en décodé, « réaliser une étude des voies, moyens et coûts d'une telle délégation de contrôles, des acteurs privés susceptibles de l'assurer ».
Il est enfin précisé que la mission devra présenter ses conclusions sous trois mois, avec « les avantages et les inconvénients, notamment en matière de coût pour les finances publiques, les voies de financement, d'effet sur les synergies dans la conduite des contrôles et le maintien des compétences des agents, y compris dans les laboratoires ».
Bref, dans le droit fil des orientations définies par le Premier Ministre il y a plusieurs mois, ne rien s'interdire, surtout pas de voir comment faire faire les missions de service public par d'autres. Jusqu'à la prochaine grande crise sanitaire sans doute ?
Ce ne sont sûrement pas les propos rapportés ici et là en provenance de l'entourage ministériel, selon lequel « rien n'est décidé » mais l'idée d'un pilotage conjoint de l'agence est simultanément parfois « murmuré », ce qui laisse penser qu'à Bercy, on ne serait pas forcément opposé à cette idée d'agence...
Le personnel concerné par ces réformes et ses représentants sont en droit d'attendre (si c'est possible) un minimum de considération et que l'on cesse de le mener en bateau.
En même temps, il faudrait aussi intégrer les travaux de réflexion demandés à deux cabinets de conseil privés et largement rémunérés pour apporter leurs « contributions » sur le plan stratégique sur lequel la DGCCRF est en train de travailler. C'est dire ! En l'état, la plus grande vigilance s'impose...
(*) Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (rattachée au Ministère de l'Économie et des Finances).
(**) Direction Générale de l'Alimentation (rattachée au Ministère de l'Agriculture).
(***) Pour en savoir plus: https://www.economie.gouv.fr/files/directions_services/dgccrf/dgccrf/diaporamas/dgccrf_version_courte2011.pdf
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A ajouter au débat...
A lire aussi ...les réflexions et commentaires de l'Inspecteur général de santé publique vétérinaire et "expert" à l'INHESJ ( Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice)Benoit Assémat, sur le sujet dans l'interview donné récemment à Acteurs Publics.... et ses questionnements sur:
-Comment mettre en place une organisation plus efficaces des service publics en charge des contrôles officiels sur la chaine alimentaire?
-Sur quels principes pourrait reposer une police unifiée de l'alimentation?