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Le grand chambardement des nouvelles obligations comptables des CE : entre interrogations et inquiétudes, côté « petits et moyens CE »
Avec la loi du 5 mars 2014, les comités d’entreprise sont désormais soumis à des règles inédites, obligatoires depuis le 1er janvier 2015. Pour beaucoup, cela peut s’avérer compliqué à mettre en œuvre. Comment se préparer ? Quelles décisions prendre au plus vite ? Quels enjeux anticiper ? Les recommandations de Guillaume Sauvage, expert-comptable et commissaire aux comptes, Sémaphores.
La loi du 5 mars 2014 bouleverse surtout les us et coutumes des plus grands CE, mais également des plus petits et ceux dits de taille intermédiaire. Qu’est-ce que cela change pour eux ?
Guillaume Sauvage : La loi s’applique à tous les CE, quelle que soit leur taille, selon un principe phare : la conformité, à savoir la conformité à des nouvelles règles comptables et juridiques, dont certaines s’appliquent à tous et d’autres en fonction de la taille du CE, mais également la conformité aux règles et obligations déjà existantes.
Ainsi, concernant la conformité aux nouvelles règles comptables, l’on peut estimer, dans l’attente de la publication du règlement de l’Autorité des normes comptables à paraître, que le plan des comités d’entreprise sera proche du plan comptable général des entreprises, comme semble d’ailleurs le souligner l’Ordre des experts-comptables. Ce qu’il importe de préciser, c’est que cette mise en conformité est différente selon que le CE est qualifié de « petit CE » ou de CE de taille intermédiaire, selon que ses ressources sont inférieures ou pas à 153 000 euros. Le décret est en cours de publication, donc on le saura très vite. Toujours est-il que si vous êtes qualifié en tant que « petit CE », vous aurez le droit d’en rester à une comptabilité de trésorerie (recettes/dépenses), tenue sur un livre chronologiquement. Pour les CE, dits intermédiaire, il s’agit davantage d’une comptabilité d’engagement, pour laquelle il convient de présenter un bilan, un compte de résultat et une annexe. Là, nous sommes vraiment proches d’une comptabilité d’entreprise.
Quelles autres obligations vont peser sur les comités d’entreprise, de petite taille ou de taille intermédiaire ?
Guillaume Sauvage : Dès lors qu’ils doivent « rendre des comptes » sur leur gestion dans des documents comptables précis, il leur faut mettre en place l’environnement administratif et comptable ad hoc, leur permettant de pouvoir, naturellement, retracer leurs dépenses et recettes, mais aussi conserver les pièces afférentes, connaître leurs engagements en cours en fin d’exercice etc. Mais, d’autres obligations pèsent sur les comités d’entreprise au nom du principe de conformité, non retracées directement dans la loi du 5 mars 2014, mais allant de soi. Je pense, bien évidemment, à la nécessité, pour les élus, de s’assurer que leur comptabilité respecte bien la séparation des budgets, ASC et de fonctionnement. Ce rappel est loin d’être innocent car nous constatons encore aujourd’hui beaucoup de dérives, comme c’est le cas lorsque les coûts annexes aux achats de billetterie sont pris sur le budget de fonctionnement. Nous sommes extrêmement vigilants à ce qu’ils évitent ce type d’erreurs. C’est, contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’une des plus fréquentes. Être conforme, c’est aussi respecter les règles de l’URSSAF. Là encore, pour les élus, il y a un vrai enjeu à se conformer aux règles existantes. À nos yeux, c’est autant essentiel, en tant que préalable, que le respect des nouvelles obligations de la loi du 5 mars. Nous alertons souvent les élus pour qu’ils respectent, stricto sensu, les définitions posées par l’URSSAF afin de finalement éviter que les participations du CE aux activités proposées soient requalifiées en salaires et soient donc soumises à cotisations. C’est la raison pour laquelle, au vu des nouvelles règles et de celles existantes, très précises les unes comme les autres, il nous semble important que les comptes des comités d’entreprise, même « petits », soient attestés par des experts-comptables.
Quelles sont les étapes à suivre ?
Guillaume Sauvage : En début d'exercice, les élus devront approuver un budget prévisionnel, intégrant évidemment les nouvelles obligations. Ce budget doit être voté en séance plénière, lui conférant ainsi une légitimité spécifique. En fin d’année, il permettra de comparer ce que l’on avait prévu avec ce qui a été réalisé. Le deuxième grand chantier consiste en la mise en place du règlement intérieur. Cela a été l’un des points que nous avons abordés lors des journées Sémaphores consacrées aux « grands CE » mais il est tout autant crucial pour les « petits » et « moyens CE ». Je précise déjà que le règlement intérieur n’a rien à voir avec le guide du CE à destination des salariés. Le règlement intérieur était déjà obligatoire avant la nouvelle loi, au sens du Code du travail, mais il n’y avait aucun contrôle. La loi du 5 mars 2014 le met au centre du nouveau dispositif et le rend par ce biais indispensable. Il englobe les règles de fonctionnement interne du CE, la répartition des missions entre les élus, les règles de gouvernance, l’organisation des réunions, les moyens du CE, l’élaboration des documents comptables et financiers etc. C’est donc loin d’être anecdotique. On peut le comparer aux statuts d’une entreprise et, quand l’on précise que la mise en place d’un tel document doit se faire à moyens constants, sans temps supplémentaire, l’on comprend mieux le désarroi des élus.
Une fois cela fait, il restera encore un autre chantier, important également : celui de la préparation des prochains rapports, désormais obligatoires, à savoir le rapport de gestion et celui sur les conventions passées. On est en attente du décret, donc, nous y reviendrons prochainement.
En tant qu’expert, que constatez-vous au quotidien ? Comment la loi du 5 mars se met-elle en place dans les « petits » et « moyens » CE ?
Guillaume Sauvage : Nous avons mis en place un diagnostic flash, à l’image de l’audit à blanc que nous proposons aux « grands CE », pour permettre aux élus d’être en situation. À cette occasion, nous analysons les points de conformité que nous venons de décrire. Nous nous assurons, par exemple dans ce cadre, que les CE ont bien mis en place un archivage des données et des justificatifs comptables qu’ils auront sécurisés, car il faut désormais les conserver dix ans. Il est donc important de le faire pour les justificatifs relevant de son mandat, mais également des mandatures précédentes, afin de permettre aux successeurs d’avoir une mémoire de ce qui a été réalisé, dans la plus grande transparence et dans la conformité des textes.
Dans la même logique, en fin d’année, il faudra penser à réaliser un inventaire physique. Celui-ci portera notamment sur le matériel, la billetterie, les bons d’achat et la caisse. Avec le diagnostic flash, nous analysons toutes ces démarches. Nous veillons à ce que les subventions reçues soient bien imputées au bon budget, comme nous l’avons vu plus haut, mais également au bon exercice. Nous pointons donc les forces et faiblesses du comité d’entreprise au regard de toutes ces obligations, nous élaborons, le cas échéant, des recommandations, nous anticipons les contrôles possibles, tant au niveau de nos contrôles lors de la révision des comptes que de l’URSSAF ou des salariés, la loi du 5 mars précisant que les états financiers et rapports annexes doivent être portés à la connaissance des salariés, par tout moyen d’information. Notre rôle est donc aussi d’identifier les chantiers à venir pour les élus du comité d’entreprise et de les préparer au mieux à ces différentes étapes.
Les nouvelles obligations des comités d’entreprise selon la loi du 5 mars 2014 : revue de détail juridique
Des règles communes à tous les CE, quelle que soit leur taille, et ce, depuis le 1er janvier 2015 :
- soumission aux obligations comptables, telles que définies à l’article L.123-12 du Code du commerce (article L.2325-45), dont l’obligation de tenir une comptabilité, même simplifiée, ainsi qu’un rapport de gestion, même simplifié, présentant des informations qualitatives sur leurs activités et sur leur gestion financière ;
- nomination d’un trésorier obligatoire ;
- obligation de conserver, pendant dix ans, l’ensemble des pièces justificatives, à compter de la date de clôture de l’exercice auquel elles se rapportent.
Les comptes et rapports de gestion simplifiés seront arrêtés selon des modalités prévues par le règlement intérieur, par certains élus du comité d’entreprise désignés par lui. Ces documents simplifiés seront approuvés par les membres élus du CE réunis en séance plénière, réunion portant sur un seul sujet et faisant l’objet d’un procès-verbal spécifique.
Des dispositions spécifiques selon la taille de votre CE
- Pour les moyens CE, c’est-à-dire ceux disposant de ressources annuelles excédant le seuil des petits CE (153 000 €) mais n’atteignant pas celles des grands CE (cf ci-dessous), nécessité, entre autres et outre les obligations énumérées ci-dessus, de confier la mission de présentation de leurs comptes annuels à un expert-comptable.
- Pour les grands CE, c’est-à-dire ceux remplissant deux des trois critères suivants : effectifs du CE > 50, ressources > 3,1 millions d'euros, bilan > 1,55 millions d'euros, nécessité, entre autres et outre les obligations énumérées ci-dessus, de :
- présenter une comptabilité de droit commun ;
- nommer un commissaire aux comptes et un suppléant, distincts de ceux de l’entreprise (mission financée sur le budget de fonctionnement du CE) ;
- présenter un rapport rédigé par le commissaire aux comptes sur les conventions passées entre le CE et l’un de ses membres ;
- créer une commission des marchés parmi les membres titulaires, chargée de choisir les fournisseurs et les prestataires du CE ;
- établir des comptes consolidés.