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04 / 09 / 2014 | 21 vues
Philippe Deslande / Membre
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RH de proximité sur-féminisée chez Thales : une singulière inversion

Le groupe Thales peine à établir une certaine parité hommes-femmes. Cependant, un décompte grossier (par exemple sur la base de l’annuaire du groupe) montre qu’en France, la fonction RH y est très majoritairement exercée par des femmes, principalement dans le cas des RH de proximité. Le taux de féminisation de cette fonction (qui est de l’ordre de 85 %) questionne, voire réclame des explications au regard du taux général de féminisation du groupe.

  • Faut-il y voir une dévalorisation de la fonction ?

Très peu crédible puisqu’à Thales, il semble pour des raisons « obscures », que ces postes soient rémunérés très au-dessus de la moyenne et que l’on y obtienne habituellement un « galon » de plus que dans les services techniques.

  • Une conséquence

Alors que les filières scientifiques ne fournissent finalement que peu de femmes, le groupe peut avancer au global, un taux de féminisation qui reste « acceptable » bien qu’insuffisant.

Ces femmes, mieux payées et promues que les autres, serviraient-elles d’alibi contre l’accusation de plafond de verre ? Possible mais cette explication paraît trop cynique pour être complète.

L’explication pourrait contenir un aspect bien plus subtil et plus inquiétant pour les salariés.

Une gestion en douceur

Supposons que des situations lourdes, pénibles et potentiellement violentes de réduction d’effectifs deviennent envisageables (ce que certaines difficultés du groupe depuis plusieurs années causent ou peuvent causer). Supposons aussi que vous ayez remarqué :

  • qu’en 2009 et à propos d’Anne Lauvergeon, slate.fr se demandait si « les femmes rendent le nucléaire plus acceptables dans l'opinion » ;
  • que l’éthique du « care », très en vogue, considère que les femmes sont plus aptes que les hommes à maîtriser une situation dangereuse car vecteurs privilégiés d’une attitude vis-à-vis d’autrui fondée sur le soin, la compréhension et la discussion ;
  • que Christophe Dejours (spécialiste de la souffrance au travail) affirme que les hommes tentent de se prémunir de la peur par des rituels virils sur la base de « est un homme véritablement viril celui qui est insensible à la souffrance, ne refuse jamais une tâche par peur et inflige lui-même la souffrance ou la douleur à autrui », ce qui est de toute évidence peu compatible avec une gestion « en douceur »,


Dans cette optique et avec un personnel très majoritairement masculin, ne vaudrait-il pas mieux alors confier les fonctions RH de proximité, à des femmes, sensées être plus naturellement pacifiques, plus rassurantes et moins accusables d’insensibilité à la souffrance des salariés ?

Précisons que, de notre point de vue et par notre expérience syndicale CFTC (l'une des organisations syndicales les plus féminisées à Thales et la seule dirigée par une femme), le « sexe de la fonction RH » n’a a priori pas d’influence sur la manière de traiter les salariés ou simplement de manière comportementale.

Stratégie plus ou moins consciente ?


Faut-il en conclure qu’un patron qui veut décider d’une compression de personnel ou d’une autre opération impopulaire, en limitant les conséquences désagréables (image de l’entreprise, actes désespérés, revendications violentes, frictions internes ..) pourrait préférer, plus ou moins délibérément, une RH de proximité sur-féminisée ? S’il pense, sur la base des points exposés ici, que cela endormirait mieux la méfiance des salariés, atténuerait les attaques, serait plus performant dans la prévention d’éventuelles frictions ?

Des aspects multiples qui interrogent

L’avenir de Thales et son « ambition 10 » nous diront si c’est le raisonnement sous-jacent de ce groupe, si c’est le résultat de préjugés sociétaux ou autres envers les femmes, préjugés encore très présents.


Reste qu’en trente ans, si le taux global de féminisation du groupe en France a augmenté et dans des fonctions qui sont passées de la production au management, depuis plusieurs années il ne progresse que peu, voire inquiète alors que celui de la fonction RH a explosé, comme la fonction RH elle-même, passée du « chef du personnel » à sa dimension protéiforme actuelle (et là aussi on peut s’interroger !).

Paradoxe, les dirigeants RH, eux, restent des hommes à plus de 90 %.

Le groupe confie encore préférentiellement en France les postes de « grands » DRH à des hommes. Domination masculine rémanente chez ceux qui ont pourtant mission de la combattre, les cordonniers étant cette fois encore mal chaussés ?

Ou parce qu’à ce niveau, on peut se permettre de se montrer moins « sensible », ce qui, encore une fois, est un préjugé/ prérequis sur lequel il faudrait s’interroger ?
 
La question du « plafond de verre » est loin d’être résolue.

La curieuse répartition des niveaux hiérarchiques dans la fonction RH à Thales en France, relance la question brûlante du plafond de verre que la CFTC comme les autres organisations d’ailleurs, dénonce depuis longtemps.

Il y a fort à parier que les causes de toutes ces situations sont multiples, anciennes et en grande partie sociétales.

Cependant, le groupe Thales s’est enfin décidé début 2014 à diligenter une enquête en France, menée par l’ANACT, sur « la place des femmes au sein de Thales et les phénomènes de plafond de verre » qui devraient prochainement donner lieu aux premières analyses.

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