Organisations
Les IRP doivent s'emparer des enjeux de l'évaluation professionnelle
L’entretien d’évaluation gagne du terrain. Suffisamment pour que le Centre d’analyse stratégique (CAS, rattaché au Premier Ministre) s’empare du sujet dans l’une de ses notes d’analyse travail-emploi, jugeant que ce dispositif « faisait l’objet de critiques (…) et de plusieurs décisions de la Cour de Cassation » et qu’il était important de « dresser un état des lieux de la question en exposant les principaux arguments qui font débat ».
Où en est-on aujourd’hui ?
Même si les ressources statistiques sont encore pauvres sur le sujet, la montée de cette pratique dans les entreprises françaises semble incontestable. En 2006, selon l’enquête COI (changements organisationnels et informatisation), menée conjointement par l’INSEE, le Centre d’étude de l’emploi et le SESSI, 54 % des salariés français du privé marchand (hors hôpitaux privés) déclaraient avoir eu au moins un entretien d’évaluation dans l’année. Le taux le plus élevé concerne les cadres (76 %) et le plus faible, les ouvriers non qualifiés (25 %). Parmi les salariés ayant eu au moins un entretien en 2006, sept sur dix déclarent en avoir eu un depuis au moins trois ans. Thomas Le Gall, sociologue et consultant Secafi, spécialisé dans la santé au travail, estime : « Le mouvement s’est amorcé dans les années 80 avec l’individualisation de la relation au travail et la gestion des individus et plus des statuts. La pratique est plus ancienne aux États-Unis, où le monde du travail baigne dans une tradition plus contractuelle et de négociation de gré à gré ».
Des évolutions dans les pratiques RH voient le jour
Mais avec l’accélération de cette pratique RH, contentieux et jurisprudence se sont fortement développés. En cause, un glissement de l’évaluation du travail vers celle du comportement du salarié. « On observe que de plus en plus de systèmes d’évaluation tentent d’instaurer des critères basés sur l’adhésion du salarié aux valeurs revendiquées par l’entreprise », souligne Thierry Le Guellec, consultant RH Secafi, spécialisé en conduite du changement et en organisation.
C’est un vrai changement sociologique : certaines entreprises cherchent une inféodation totale du salarié. C’est aussi la raison pour laquelle l’évaluation professionnelle est souvent mal perçue : beaucoup de salariés ont d’ailleurs l’impression que cette pratique sert à monter des dossiers contre les personnes qui n’adhèrent pas parfaitement au système de l’entreprise ». Les critères, en effet, ont eu tendance à basculer vers des notions difficilement objectivables : autonomie, capacité d’initiative, capacité à se constituer un réseau ou à résoudre des dysfonctionnements… jusqu’à des notions plus absconses encore, comme « agir avec courage » ou « réagir avec souplesse », que l’on rencontre souvent dans de grands groupes internationaux.
Ainsi, cette filiale française d’un groupe néerlandais qui demande à ses salariés d’adhérer à un système de valeurs en trois points et en anglais « simple, open, integrated ». « Ces valeurs n’avaient pas été définies de manière concrète, ni en termes de travail ni en termes de comportement, de sorte que chaque manager ou presque en avait sa propre interprétation. Sans parler de la difficulté d’appliquer de tels critères à des fonctions supports, par exemple », poursuit Thierry Le Guellec. Pour autant, la jurisprudence n’interdit pas l’évaluation des comportements mais la conditionne à des liens précis et concrets avec le travail de l’individu. De même, la pratique de notation (« ranking ») n’est pas illégale mais doit rester indicative, sans obligation de quotas comme certains groupes ont tenté de le pratiquer.
Face à ces nouvelles évolutions, quel nouveau rôle pour les IRP ?
Face à ce sujet, les institutions représentatives du personnel ont un véritable rôle à jouer. Le comité d’entreprise doit être informé et consulté sur la mise en place d’un système d’évaluation. Quant au CHSCT, il doit également être informé et consulté lors de la mise en place ou de l’évolution d’un système (changement de critères par exemple), avec la possibilité d’avoir recours à une expertise au titre de projet important. Thomas Le Gall insiste : « Les CHSCT, notamment, doivent faire le lien avec les conséquences sur les conditions de travail. Les entreprises qui fixent des objectifs et évaluent les salariés en permanence induisent une évolution du rapport au travail, une tension récurrente qui peuvent notamment favoriser la souffrance au travail et les risques psychosociaux ». Le recours à l’expertise permet souvent d’amender les projets et de rendre le système plus adapté aux enjeux de l’entreprise, au droit et aux conditions de travail, ce qui devrait rester l’objectif premier des directions des ressources humaines.