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Sur la réforme du dialogue social dans la fonction publique...
L’école de la GRH constituée au sein de la direction générale de la fonction publique a organisé le 31 mars 2011 une journée d’étude sur le thème de la rénovation du dialogue social dans la fonction publique.
À cette occasion, j’ai été invité à une table ronde à laquelle ont également participé, Jean-François Verdier, directeur général de l’administration et de la fonction publique, Annelore Coury, sous-directrice des relations du travail à la direction générale du travail, Jean-Marc Canon, secrétaire général de l’union générale des fédérations de fonctionnaires CGT et Anne Baltazar, secrétaire générale de la fédération générale des fonctionnaires FO.
- C’est en tant qu’auteur du livre blanc de 2002 sur le dialogue social dans la fonction publique qu’il m’a été demandé de participer à cette table ronde sur la réforme en cours.
Mon intervention s'est ordonnée autour de trois observations, qui expriment les deux premières une satisfaction certaine, la troisième quelques préoccupations.
Première observation : ce dossier nous offre un bel exemple de continuité républicaine
C’est Michel Sapin, Ministre de la Fonction publique d’un gouvernement de gauche qui m’a demandé, à l’automne 2001, d’étudier ce sujet. Le climat, dans la fonction publique n’était pas au beau fixe. Des négociations salariales venaient d’échouer. On cherchait à mettre un peu d’huile dans les rouages. D’où l’idée d’engager une réflexion sur le cadre de la relation entre le gouvernement et les syndicats de fonctionnaires. On allait dialoguer sur le dialogue et on me demandait de débroussailler le terrain.
J’ai réalisé ce travail avec la collaboration de Marie-Ange du Mesnil du Buisson, inspectrice générale des affaires sociales. Il s’est inscrit très clairement dans le cadre du modèle français de fonction publique (régime statutaire et règlementaire, fonction publique de carrière) mais avec la volonté de moderniser le dispositif du dialogue qui avait vielli sur certains points et restait insuffisant sur d’autres.
Nous n’avons pas alors cherché à trouver un consensus immédiat. Il s’agissait de constituer une base de réflexion, d’ouvrir des pistes, à partir desquelles une négociation pourrait utilement s’engager.
C’est ainsi que, à l’issue d’une large concertation, nous avons débouché sur le livre blanc présenté en janvier 2002. Il comportait trois axes de propositions :
- revivifier la concertation, en particulier au niveau des CTP ;
- développer la négociation, en en élargissant le champ et en en renforçant la portée ;
- réarticuler le dialogue à ses différents niveaux, dans chacune des trois fonctions pubiques et dans l’ensemble qu’elles constituent.
- Quel allait être le sort de ces propositions ?
Il n’était pas exclu que, comme pour beaucoup d’autres rapports administratifs, elles restent au placard et j’ai eu dans un premier temps quelques raisons de le penser.
Elles avaient été formulées trop tard pour que le gouvernement Jospin puisse s’en saisir avant des élections présidentielles de 2002 qui allaient lui être contraires.
Elles n’ont eu que très peu de suites sous la majorité de droite des deux gouvernements qui se sont succédés au cours du quinquennat Chirac.
Les choses recommencent à bouger à partir de 2007. J’en éprouve d’abord, il faut bien le dire, une certaine inquiétude, car les pistes ouvertes par le Président Sarkozy, dans le discours qu’il prononce à Nantes le 19 septembre, peuvent être interprétées comme ouvrant la voie à une remise en cause possible du modèle français de fonction publique. Mais ces craintes, fort heureusement, ne se concrétiseront pas et j’observe avec plaisir une continuité certaine entre les propositions que j’avais formulées au début de la décennie et les réalisations qui sont mises en oeuvre aujourd’hui.
À cette issue heureuse il y a eu, me semble-t-il, deux raisons principales.
D’une part on a abordé de front le problème de la représentativité des organisations syndicales que le livre blanc de 2002 n’avait traité qu’à la marge. C’est sans doute grâce à cela que l’on aura pu trouver un accord avec la grande majorité des organisations concernées.
- D’autre part, on a fort opportunément disjoint la négociation sur le dialogue social de la réflexion d’ensemble sur la fonction publique engagée à partir du discours de Nantes. La première a pu progresser concrètement tandis que la seconde s’enlisait.
C’est sur ces bases que l’on va déboucher d’abord sur l’accord de Bercy, signé le 2 juin 2008 par la grande majorité des organisations syndicales ( y compris la CGT et Sud, mais sans Force Ouvrière), puis sur la loi du 6 juillet 2010 qui le met en oeuvre.
Dans le même temps, et c’est un autre aspect de la continuité républicaine, dont je ne puis que me féliciter, il semble bien que le gouvernement ait finalement renoncé à remettre en cause les principes sur lesquels repose le modèle français de fonction publique.
En tant qu’auteur du livre blanc de 2002 je suis donc aujourd’hui doublement satisfait : je « retrouve mes petits » dans la réforme que nous commentons aujourd’hui et ils sont toujours dans la même couvée, celle de la fonction publique à la française.
Seconde observation : le nouveau dispositif est solide et devrait tenir la route
Cette appréciation me paraît valable pour chacun des trois grands volets de la réforme, représentativité, concertation, négociations.
- La représentativité
Comme l’avait proposé le livre blanc, tous les agents publics, qu’ils soient ou non titulaires, participeront désormais à l’élection de leurs représentants dans les organes de concertation, alors que jusqu’à présent c’était seulement en fonction du résultat des élections aux CAP, où ne votent que les titulaires, que la représentativité était appréciée.
À ces élections pourront présenter des candidats toutes les organisations syndicales, dès lors qu’elles sont constituées depuis au moins deux ans et qu’elles respectent les valeurs républicaines. La « présomption irréfragable » de représentativité, dont certaines d'entre elles bénéficiaient historiquement, disparaît.
Enfin, toute organisation ayant au moins un élu dans un organe de concertation sera habilitée à participer aux négociations sur les sujets concernant ce niveau.
C’est en quelque sorte la « nuit du 4 aoùt » de la fonction publique. Les privilèges dont bénéficiaient certains agents ou certaines organisations disparaissent. Je ne vois pas comment on pourrait s’en plaindre.
- La concertation
C’est notre livre blanc qui, le premier, a proposé la suppression de la parité dans les comités techniques paritaires.
Cette proposition n’allait pas de soi à l’époque, même si la solution était déjà appliquée dans la fonction publique hospitalière. Je constate qu’elle a fini par s’imposer dans la fonction publique d'État, une exception, à mon sens justifiée, restant possible dans la fonction publique territoriale.
Je pense que l’on est ainsi allé dans le bon sens. La parité n’était qu’une fiction. Permettre à l’administration de composer sa délégation en fonction des sujets traités, ne comptabiliser que les votes des représentants du personnel, obliger à une nouvelle délibération en cas de vote unanimement négatif : ces nouvelles dispositions clarifient le fonctionnement du système.
- Encore faut-il que, comme le proposait le livre blanc, la consultation soit réelle et qu’elle intervienne le plus en amont possible dans le déroulement du processus de décision.
Le livre blanc proposait également de mettre des moyens d’étude et de recherche à la disposition de ces comités techniques nouvelle manière : il semble que ce sujet sera abordé dans le cadre de la négociation en cours sur les moyens syndicaux. Il est souhaitable que l’on avance également sur ce point.
- La négociation
Ce sujet était juridiquement le plus difficile à traiter car le caractère réglementaire du statut des fonctionnaires interdit de donner directement une force juridique aux conventions issues de la négociation.
La réforme élargit heureusement le champ de la négociation, alignant ainsi le droit sur la pratique.
Elle fixe des conditions de validité qui garantissent la portée des conventions. Je constate à cet égard que l’on est allé plus loin dans le secteur public que dans le secteur privé : l’exigence d’une signature par des organisations représentant la majorité des personnels concernés est d’ores et déjà posée pour l’après 2014.
La réforme renforce ainsi la portée politique des conventions. Mais elle ne va pas jusqu’à leur conférer une validité juridique. Le livre blanc avait suggéré à cet égard la mise en oeuvre d’une procédure d’homologation qui aurait permis de rendre immédiatement applicables les stipulations des conventions débouchant sur des textes règlementaires. Cette proposition n’a eu jusqu’à présent qu’un succès d’estime. Mais elle reste sur la table.
Au total, je considère que le dispositif ainsi mis en place est complet et cohérent. Encore faut-il qu’on lui donne matière à fonctionner. C’est ici que peuvent apparaître quelques préoccupations.
3ème observation : le contenu du dialogue reste, à mon sens, insuffisant
Il faut repartir de la réflexion bien connue d’André Bergeron : pour pouvoir négocier, il faut avoir du « grain à moudre ».
On constate certes des avancées réelles sur certains sujets.
Un accord important sur la santé et la sécurité au travail a été signé en novembre 2009. Il est en cours de mise en oeuvre.
Une autre négociation importante, sur l’emploi des non-titulaires, a d'ailleurs débouché le 31 mars.
Dans les deux cas, et c’est de bon augure pour la suite, les deux accords ont été signés, côté syndical, à une large majorité.
- les rémunérations,
- les missions et l’organisation du service.
Je ne m’attarderai pas sur le premier sujet, qui est très lié à la conjoncture et à la politique de restriction massive des dépenses publiques menée aujourd’hui par les pays européens sous la pression des agences de notation.
Force est bien de constater cependant que, sur cette question particulièrement sensible, il n’y a aujourd’hui pas de dialogue (ou, si l’on me permet cette expression, il n’y a qu’un dialogue de sourds) entre le gouvernement et les organisations syndicales. Celles-ci voudraient que l’on discute de la valeur du point. Celui-là ne veut entendre parler que des « autres mécanismes indemnitaires ». Le résultat est qu’il ne se passe rien.
Je m’étendrai davantage sur le second point : missions et organisation du service.
Il concerne le volet concertation du dialogue, car il n’y a évidemment pas de convention en ce domaine. Mais il est très important.
Je pense que les agents publics ne sont pas des salariés comme les autres. Leur niveau de formation est plus élevé. Ils ont une culture de l’intérêt général. Ils sont en charge de la continuité de l’État.
Ils ne peuvent se désintéresser de ce qu’ils font, des objectifs poursuivis, des moyens mis en oeuvre, des résultats obtenus.
On ne perd rien à discuter avec eux de ces questions. Et si on ne le fait pas, ou si on ne le fait qu’insuffisamment, on s’expose à des déboires.
- À cet égard deux grandes occasions ont été manquées au cours des dernières années, d’abord avec la LOLF, puis avec la RGPP.
La LOLF : ce nouveau système de gestion des finances publiques était en cours de mise en place au moment où le livre blanc a été établi. Je pensais qu’il offrait, pour la définition des programmes, la fixation des objectifs, le choix des indicateurs etc., un champ particulièrement intéressant pour la concertation avec les agents publics et leurs représentants. Nous avions proposé la constitution d’un groupe de travail de haut niveau entre l’administration et les organisations syndicales en vue de définir les modalités possibles de cette concertation. Cette suggestion n’a pas eu de suite et la LOLF est restée une opération hautement technocratique.
La RGPP : chacun ici a pu apprécier l’importance qu’a prise depuis quelques années cette vaste opération pilotée au plus haut niveau de l’État. Là plus encore, s’agissant de l’organisation des services et des conditions d’emploi des agents, la concertation aurait dû s’imposer. Elle n’a pas eu lieu et il semble même, si l’on en croit une enquête réalisée récemment par la CFDT, que les décisions aient été préparées sans y associer les personnels d’encadrement.
Je pense qu’il y a eu là une très lourde erreur de gestion, qui ne restera sans doute pas sans conséquence sur la suite et les résultats de l’opération.
Telles sont les limites que l’on observe et les réserves que l’on peut éprouver sur certaines conditions d’applications de la réforme dont nous débattons aujourd’hui.
Elles ne remettent pas en cause la grande qualité du travail réalisé par la direction générale de la fonction publique.