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Les nouveaux forfaits jours « Syntec »
Après avoir été mis à mal par plusieurs décisions, l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 24 avril 2013 invalidant les dispositions de la convention collective nationale des bureaux d’études techniques dite « Syntec » sur les forfaits jours, aurait pu sonner le glas de ce mode d’organisation du temps de travail pourtant très répandu (Soc. 24 avril 2013 n° 11-28398).
C’était sans compter sur le dynamisme des partenaires sociaux de la branche qui, par un avenant à la convention collective du 1er avril 2014, ont entendu tirer les enseignements de cette jurisprudence et sécuriser ce dispositif.
Cet avenant, qui ne sera applicable qu’un mois après la publication de son arrêté d’extension, non paru à ce jour, sera d’application directe au sein des entreprises dépourvues d’accord.
Les entreprises relevant de la convention collective Syntec disposeront toutefois d’un délai de 6 mois pour appliquer les dispositions de cet avenant dans son intégralité. Or, compte tenu des nombreuses obligations créées, dont les plus topiques sont reprises ici et qui présentent un caractère impératif, ce délai n’apparaît pas trop long.
Les mentions devant figurer dans le contrat de travail du salarié
Si l’avenant du 1er avril 2014 n’a pas apporté de modifications quant à la catégorie des salariés susceptibles de bénéficier du dispositif, le nouvel article 4-2 précise les conditions de mise en place du forfait pour chaque salarié.
Une clause spécifique du contrat de travail ou un avenant devra donner les raisons pour lesquelles le salarié concerné est autonome, préciser la nature de ses fonctions, faire référence à l'accord collectif de branche ou d'entreprise et enfin énumérer :
- la nature des missions justifiant le recours à cette modalité d’organisation du temps de travail,
- le nombre de jours travaillés dans l'année,
- la rémunération correspondante,
- le nombre d'entretiens annuels à organiser.
Les nouvelles garanties reconnues aux salariés
La principale innovation de l’avenant du 1er avril 2014 réside dans la mise en place de garanties, destinées à préserver la santé des collaborateurs concernés par un forfait jours mais dont le corollaire est l’introduction d’une grande rigueur dans la gestion du dispositif.
Le contrôle du décompte des jours travaillés et non travaillés
Désormais, l'employeur doit mettre en place un système de décompte des journées travaillées au moyen d'un « suivi objectif, fiable et contradictoire ».
Un document doit donc être établi faisant apparaître le nombre et la date des journées travaillées ainsi que le positionnement et la qualification des journées non travaillés (repos hebdomadaires, congés payés, congés conventionnels ou jours de repos propres au respect du plafond de 218 jours).
Ce document devra être renseigné par le salarié sous le contrôle de l'employeur.
L’amplitude de travail du salarié et l'obligation de déconnexion
Il est rappelé que si les salariés soumis à ce dispositif ne sont pas assujettis aux durées légales maximales quotidiennes et hebdomadaires, ils doivent toutefois bénéficier au minimum d'un repos quotidien de 11 heures consécutives et d'un repos hebdomadaire de 35 heures consécutives en sorte que l’amplitude d’une journée de travail ne peut atteindre un maximum de 13 heures que de façon exceptionnelle.
Afin de respecter cette disposition, il est prévu :
- que l'employeur affiche dans l'entreprise le début et la fin d'une période quotidienne et d'une période hebdomadaire intégrant les périodes de repos minimal obligatoires ;
- une obligation de déconnexion des outils de communication à distance ;
- la mise en place par l’employeur d’un outil de suivi permettant d'assurer le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;
- le suivi de la charge de travail du salarié, les entretiens individuels et son droit d'alerte.
L'article 4-8-2 de l'avenant du 1er avril 2014 prévoit que l'employeur doit assurer le suivi régulier de l'organisation du travail du salarié en forfait jours, de sa charge de travail et de l'amplitude de ses journées de travail.
Il est également prévu la tenue d’au moins deux entretiens annuels avec le salarié, outre la tenue d'entretiens spécifiques en cas de difficulté inhabituelle et donnant lieu à l’établissement de comptes-rendus.
Au cours de ces entretiens, devront être évoquées la charge individuelle de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie privée et la rémunération du salarié. Un bilan devra être dressé sur les modalités d'organisation du travail du salarié, sa charge individuelle de travail, l'amplitude de ses journées de travail, l'état des jours non travaillés pris et non pris à la date des entretiens et l'équilibre entre vie privée et vie professionnelle.
Par ailleurs, le salarié et le responsable hiérarchique devront arrêter ensemble les mesures de prévention et de règlement des difficultés identifiées qui devront être consignées dans le compte-rendu de ces entretiens.
Enfin, en cas de difficulté inhabituelle dans l'organisation du travail ou sa charge de travail, il est reconnu au salarié un droit d'alerte.
Le salarié peut ainsi adresser un écrit à l'employeur ou son représentant qui doit alors le recevoir dans un délai de 8 jours et formuler ensuite par écrit les mesures qui seront, le cas échéant, mises en place pour permettre le traitement effectif de la situation. Il est encore prévu que ces mesures feront l'objet d'un compte-rendu écrit et d'un suivi.
L'employeur devra transmettre une fois par an au CHSCT (ou à défaut, aux délégués du personnel) le nombre d'alertes émises par les salariés ainsi que les mesures prises pour y pallier.
La consultation des représentants du personnel
Il est encore prévu que le comité d'entreprise soit informé et consulté chaque année sur le recours aux forfaits jours dans l'entreprise ainsi que sur les modalités de suivi de la charge de travail des salariés (nombre de salariés en forfait jours, nombre d'alertes émises et synthèses des mesures prises).
Les mêmes informations devront être transmises au CHSCT.
Sous l’influence de la jurisprudence, le forfait jours change de visage et perd significativement de la souplesse qui pouvait jusqu’alors caractériser le dispositif.
Emmanuelle Sapène et Romain Aupoix, avocats au cabinet Péchenard & Associés.
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