Organisations
Le compte personnel de formation dans la fonction publique : entre farce sociale et cauchemar organisationnel
Succédant à un DIF mort né dans la fonction publique, le CPF/CPA brouille les cartes sans apporter la moindre solution de formation aux six millions de fonctionnaires que notre pays compte.
En mai 2017 les pouvoirs publics avaient imposé au forceps le compte personnel de formation (CPF) dans des administrations qui n'avaient rien anticipé ni organisé en dix années d'existence de son prédécesseur, le droit individuel à la formation (DIF).
Le DIF, un échec éducatif indubitable dans une fonction publique qui s'était payée de mots.
- Les services de RH et de formation des administrations ont joué la montre et l'indifférence : « le DIF ne sert à rien chez nous, les agents se forment suffisamment, les préparations aux concours pourvoient à tout ce dont ils ont besoin... ».
- Les administrations ne se sont pas dotées d'une organisation, ni même d'enveloppes budgétaires susceptibles de permettre aux agents de partir en formation à leur propre initiative.
- Les quelques très rares DIF (bien en deçà de 1% du personnel) réalisés l'ont été par des cadres de niveau A ou dans quelques ministères éclairés ou argentés (comme le Ministère des Finances).
- De 2007 à 2017, les trois fonctions publiques ont laissé les compteurs de DIF des agents atteindre leur maximum sans qu'aucune campagne de communication ou d'organisation des formations ne soient entreprise.
- Pendant dix ans, les agents ont donc cumulé des heures de DIF à hauteur d'environ 600 à 700 millions d'heures (120 heures par personne pour 6 millions de fonctionnaires).
Malgré son échec, le DIF a été relancé et étendu avec le CPF.
Au lieu de prendre acte des raisons de l'insuccès du DIF et de contraindre les administrations à financer et à mettre les droits individuels des agents en œuvre, les pouvoirs publics ont adopté la stratégie de la fuite en avant en créant le compte personnel de formation/activité (CPF et CPA), CPF étendu aux trois fonctions publiques par un décret publié le 10 mai.
Le compte personnel de formation succède au DIF avec effet rétroactif au 1er janvier 2017 :
- les agents sont dotés de 24 heures de droits à la formation par an (y compris pour les temps partiels mais pas pour les temps non complets) ;
- les heures de DIF sont reprises dans les compteurs CPF ;
- les heures de CPF sont variables en fonction de la consommation et du niveau des nouveaux compteurs ;
- 24 heures par an jusqu'à 120 heures (le plafond des anciens compteurs DIF) ;
- 12 heures par an de 121 à 144 heures ;
- 6 heures la dernière année pour atteindre le plafond de 150 heures ;
- 48 heures par an pour les agents de niveau V ou infra V (sans diplôme ou sans titre, sur leur déclaration en ligne) avec un plafond de 400 heures dans ce cas ;
- les nouveaux compteurs de CPF sont partiellement externalisés vers la Caisse des dépôts (qui gère déjà les compteurs de CPF de 18 millions de salariés du privé) ;
- l'administration devra malgré tout disposer de son propre compteur interne puisque c'est elle (à la différence des entreprises privées avec le CPF) qui accueille les demandes de formation, les traite, les finance et décrémentera les compteurs en fonction de la consommation d'heures (bientôt d'euros de formation).
10 à 12 milliards d'euros seront nécessaires pour déployer le CPF des fonctionnaires car celui-ci devrait, à terme, aussi être monétisé (comme dans le privé à partir de janvier 2019).
- Le stock d'heures de DIF (2007-2017) s'élevait à 600 millions d'heures environ.
- Le nouveau stock d'heures de CPF (2017 et 2018) : en moyenne 12 h par agent, soit 150 millions d'heures.
- Le total (750 millions d'heures) représente (selon la base de calcul du ministère du travail, soit 15 €/heure) environ 11 milliards d'euros.
- Le flux de nouveaux droits à la formation (bientôt exprimés en euros, comme dans le secteur privé) représentera 500 € par agent et par an, soit encore 3 milliards d'euros par an (la moitié des budgets dépensés chaque année pour la formation des fonctionnaires).
L'impasse financière est totale, doublée d'une impasse organisationnelle.
- De nombreux employeurs (notamment dans les collectivités territoriales) n'ont jamais déployés de compteurs de CPF fiables ; ils ont été sommés de transmettre leurs compteurs DIF à la Caisse des dépôts avant le 15 octobre 2018 mais des milliers d'employeurs publics n'ont pu le faire.
- Les compteurs de CPF gérés par la Caisse des dépôts seront symboliques et les différents employeurs publics devront parallèlement toujours gérer des compteurs (CPF) puisqu'en l'absence d'OPCA ou de tiers-payeur, ce seront eux qui accueilleront les demandes de formations, les géreront, les financeront et devront décrémenter les compteurs individuels.
En janvier 2019, les compteurs de CPF des salariés du privé seront monétisés. Pendant plusieurs années, deux systèmes totalement différents se côtoieront :
- le CPF des fonctionnaires en heures, sans financeur ni compteurs fiables ;
- le compte d'activité (CPA) mélange ses pinceaux avec ceux du compte de formation (CPF), rendant les dispositifs et leur accès encore moins lisibles ;
- le CPF monétisé des salariés du privé, financé par une (faible) cotisation de l'employeur, géré par la caisse des dépôts et par les URSSAF ;
- une application magique (développée par la start-up « caisse des dépôts ») est censée autoriser la sélection nationale, le départ et le financement de toutes les formations en CPF de 19 millions de salariés (et, à terme, de 40 millions de titulaires du CPA), dès l'été 2019.
Ce double système du CPF entraîne nos systèmes de formation des adultes vers une faillite probable.
- Le flux de nouveaux droits annuels (dans le public comme dans le privé) n'est ni financé ni provisionné.
- Le stock de près de 3 milliards d'heures de DIF/CPF n'a pas plus été provisionné (près de 40 milliards d'euros au prix minimal de 15 €/heure).
- Les organisations divergentes du CPF dans le privé et le public empêchent tout rapprochement entre les régimes et dispositifs de formation.
- Les employeurs privés comme publics ne pourront faire face à des demandes massives (et trop longtemps retenues) de reconversions professionnelles.
- La formation, dans le privé comme dans le public, n'est toujours pas adaptée à une économie de la connaissance qui réclame fluidité, adaptabilité, agilité, innovation et responsabilisation (des employeurs comme des travailleurs).