Organisations
La réforme de la formation n'a (et n'aura) pas lieu
Même si le scénario était couru d'avance (car se répétant invariablement tous les 5 ans depuis 2004), la nouvelle réforme sur la formation prétendant innover en démantelant l'existant ne parviendra pas à reconstruire nos modèles éducatifs pour le travail.
La réforme a d'abord convoqué les partenaires sociaux (novembre 2017) pour les congédier quelques mois plus tard (février 2018). Puis elle a méthodiquement sorti du jeu les OPCA et les régions tout en nationalisant des pans entiers du système de l'éducation professionnelle.
Cette loi qui prétend donner « la liberté de choisir son avenir professionnel » est remise en cause aussi bien par les partenaires sociaux, que par les entreprises et même le Parlement (Sénat et opposition à l'Assemblée nationale). Elle égrene une dizaine de poncifs éducatifs sans offrir de réelle perspective éducative aux travailleurs pour la société de la connaissance.Les dix poncifs éducatifs qui président à la réforme de 2018
1) La formation pallierait le manque de confiance (réciproque) entre l'État et les Français. Un État omniprésent (à défaut d’être omniscient) et des travailleurs souvent passifs et peu concernés, chacun attendant de l'autre des textes de lois qui résolvent nos importantes et anciennes fractures et lacunes éducatives
2) La formation considérée comme un impôt. Elle n'est toujours pas cette activité sociale, naturelle, universelle et renouvelée mais un impôt ou une cotisation (le 1 %) payé par l’employeur, strictement contrôlé et encadré par un État proposant de répartir ce pseudo « gâteau » des compétences.
3) La formation comme la redistribution d'un magot financier (ces introuvables « 32 milliards ») . Les grandes entreprises disposeraient toutes de moyens humains et financiers considérables qu’il faudrait partager avec les petites structures (les « pauvres » PME/TPE).
4) La formation comme un exercice social gratuit et naturellement subventionné. Elle ne dépendrait financièrement que des employeurs et serait exclusivement réalisée sur le seul temps de travail (malgré l'invention des 35 heures qui ne servent en rien à développer les compétences).
5) La formation comme un livret de Caisse d'Épargne (depuis 2014). La sécurisation professionnelle des salariés passerait par le stockage et la comptabilisation frénétique d’heures (et bientôt d’euros) de formation, comme sur un livret d’épargne (ou une carte de fidélité), ce qui rendrait plus éduqué ou compétent.
6) La formation comme une force supplétive de l’école. La formation serait une quasi-école. Une formation rustine ou « école de la seconde chance » chargée de combler les trous de compétences tout en pilotant une grosse voiture balai pour les « victimes de la crise ».
7) La formation pour les seuls salariés et chômeurs. Elle ne concernerait pas ou peu les travailleurs indépendants, les travailleurs précaires et les travailleurs en CDD ou multi-employeurs (pourtant en forte progression dans le monde du travail).
8) Chômer pour apprendre. Le chômage serait devenu le moment privilégié pour apprendre et se reconvertir et mieux vaudrait désormais conserver précieusement sa « cagnotte » de formation (CPF) jusqu’à une prochaine période de chômage (dans la nouvelle règlementation de 2018, l’utilisation du CPF sera obligatoire pour les chômeurs).
9) La formation comme un immense service/marché public. Elle ne serait pas un marché de services classique aux entreprises (concurrentiel, libre et ouvert) mais un service protégé du marché où quelques opérateurs (souvent publics et sélectionnés) domineraient, forcément légitimes et qualifiés pour le XXIe siècle.
10) La formation comme une rengaine sociale vaine, répétitive et produisant sa lourde machinerie sociale faite de complexités, d’attentisme et d’usines à gaz mais largement incapable de mobiliser et d'intéresser les travailleurs.
La fameuse disruption (appelée « big bang » par la Ministre du Travail) n’aura pas lieu en 2018 et notre pays pourrait perdre encore des années à tergiverser, réglementer tout en courant après ses lièvres sociaux et éducatifs comme les compteurs de formation ou ses anciens systèmes de qualification et de diplomation.