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Tarifs de santé : les trois réponses des professionnels de santé
Les hausses des tarifs de santé ont poussé autorités et parties prenantes à réviser le secteur. Si tout le monde partage le même diagnostic, plusieurs d’entre eux mettent en application des solutions pouvant s’adapter à beaucoup. Voici 2 constats et 3 pistes pour redynamiser ce secteur mal connu.
« Secteur recherche nouvelle organisation. Parties prenantes constructives bienvenues ». Voici à quoi aurait pu ressembler la petite annonce que diffuse le secteur de la santé en France. Face aux enjeux financiers de la Sécurité sociale et face aux nouvelles réalités du marché, les professionnels de la santé ont réussi à contrer la crise. Pour cela, il a fallu faire son autocritique.
Constat n° 1 : besoin de réorganisation
Le secteur de la santé englobe des activités périphériques, qui constituent de bons baromètres de l’activité ou du ralentissement d’un secteur économique. Dans le cas des tarifs de santé, les assurances font partie de la boucle. Depuis quinze ans, ce corps de métier a constitué un maillage territorial remarquable, disposant d’agences de représentation dans de nombreuses villes (1 agence pour 32 000 habitants).
Cette nouvelle stratégie opérationnelle, basée sur toujours plus de proximité, peut être transposée à d’autres pans de l’économie de la santé. Le cinquième groupe classé parmi les 10 plus grandes coopératives françaises, le Crédit Mutuel, a mis en place une politique de conquête et s’est forgé une image proche des clients : un double développement stratégique payant. En octobre 2017, le Crédit Mutuel a été récompensé pour la 6e fois par le prestigieux trophée du meilleur groupe bancaire français, décerné par le magazine britannique World Finance.
Le dernier bilan, pour l’année 2016, était encourageant pour plusieurs acteurs, dont le Crédit Mutuel et sa filiale CMA (CM + A comme assurances) : hausse du produit net bancaire du groupe de 3,1 %. « Il s’agit des meilleurs résultats du groupe Crédit Mutuel », a souligné Nicolas Théry, président de la confédération nationale du Crédit Mutuel. Le secteur des assurances représente 30 % du chiffre d’affaires du groupe. Restent deux défis : réduire le temps d’attente pour obtenir un rendez-vous et faire baisser les tarifs.
Constats n° 2 : le temps, c’est de l’argent
La question de la durée de l’attente avant un rendez-vous chez un spécialiste est devenue un enjeu majeur, pas loin d’atteindre un point critique. Principal responsable : la désertification rurale. C’est pourquoi le Syndicat national des ophtalmologistes de France (SNOF) a lancé une campagne baptisée « objectif zéro délai d’attente en 2022 » l'an dernier. « Les derniers chiffres font état d’un délai d’attente moyen de 87 jours pour obtenir un rendez-vous chez un ophtalmologue. Cette durée augmente chaque année. Les disparités régionales sont énormes, cela peut monter jusqu’à un an. Le dernier arrêté de novembre 2017 établissant la carte des désert médicaux montre que le phénomène continue de s’amplifier », déplore Yves Guénin, secrétaire général d'Optic 2000, la plus grande coopérative dans le secteur de l'optique.
À cette urgence s’ajoute la hausse permanente des tarifs des complémentaires de santé : en 2017, les factures des mutuelles ont augmenté de 2 à 4 %, et les perspectives pour l’année en cours sont similaires, voire pires avec l’explosion des tarifs senior. Pour répondre à ces défis (en commençant par faire baisser les tarifs de santé), les entreprises coopératives proposent des solutions concrètes.
Réponse n° 1 : la délégation de compétences
Restons dans le domaine de l’optique, avec un exemple très parlant. Les professionnels le constatent : une demande évidente remonte du terrain, à la fois des opticiens et des consommateurs/patients. Ces parties souhaitent que les ophtalmologues délèguent une partie du diagnotic aux opticiens qui endosseraient des atours directement liés à la médecine pour la première fois. Ils deviendraient ainsi des partenaires de santé aux côtés des ophtalmos.
Afin d’apporter de la crédibilité à cette démarche de service et de qualité, les opticiens ont fait appel à des organismes de certification indépendants comme l’AFNOR. Objectif : obtenir de précieux sésames prouvant la qualité des services proposés. Dans cette optique, un acteur mutualiste comme Optic 2000 a choisi de développer la formation interne. « Nous disposons d’un centre de formation continue pour nos opticiens et avons choisi de faire certifier nos points de vente « qualité en optique » pour l’AFNOR. Nous pensons qu’il en va de notre responsabilité d’acteur de santé et que c’est important pour nous crédibiliser auprès de nos partenaires », poursuit Yves Guénin. Cette stratégie a porté ses fruits, dans le cas de cette entreprise coopérative.
Réponse n° 2 : la politique de « reste à charge zéro »
La formule figurait dans les objectifs du nouveau gouvernement dès 2017, pour les trois domaines optique, audio et dentaire : parvenir au « reste à charge zéro ». Plusieurs plates-formes professionnelles ont remis des propositions à la direction de la Sécurité sociale. Là aussi, le domaine de l’optique est un bon indicateur. La réponse à la demande de baisse des tarifs a pris la forme d’une formule monture unique et deux verres correcteurs. « Nous avons une offre qui s’adapte aux planchers de prise en charge du contrat responsable et qui est compatible avec 92 % des cas de défauts de vision », avance Marianne Binst, directrice générale de Santéclair, une mutuelle de santé basée à Nantes. Objectif : ne pas toucher aux économies des Français les plus défavorisés et permettre l’accès à l’appareillage optique pour le plus grand nombre.
En octobre dernier, le Conseil interprofessionnel de l’optique (CIO) a enfoncé le clou, sur l’urgence d’agir : « Garantir l’accès à des produits de santé adaptés et de qualité aux 40 millions de Français qui en ont besoin est un véritable défi de santé publique. La filière contribue à relever ce défi, en nombre de personnes équipées comme en qualité d’équipements et ce, dans toutes les gammes de prix et en répondant aux besoins de chacun », estime le CIO.
Réponse n° 3 : la stratégie du web-to-store
Avant d’arriver en boutique, objets et services passent par la case « grossiste ». Dans le cas des pharmaciens comme dans de nombreux autres secteurs, la relation client est devenue la pierre angulaire de l’approche commerciale des marques, y compris des coopératives. Les réponses nº 1 et nº 2 amènent inévitablement à ce point nº 3 : le lien créé entre le marque et le consommateur, à travers des publicités ou du parrainage, doit permettre de convertir un potentiel client visitant le site internet en acheteur physique dans un point de vente. Pour cela, la maillage de proximité est ici aussi essentiel, comme la formation du personnel alors que les problèmes de vue touchent 60 % de la population française. Tous ces ingrédients doivent être réunis pour façonner une relation client irréprochable. L’ancrage dans les territoires est donc crucial. En France, les entreprises distribuant les médicaments aux pharmacies s’appellent des « répartiteurs ». Ces acteurs, essentiels dans la chaîne d’approvisionnement, s’appuient eux aussi sur leur connaissance du terrain. « Nous opérons avec trente-deux agences en France. Nous faisons actuellement de gros efforts sur le maintien à domicile. Nous aidons les pharmaciens à le permettre, à travers l’allocation de vie. C’est un axe fort du développement de la coopérative. Il faut être irréprochables, c’est pour cela que nous avons demandé l’établissement de la norme ISO pharmacie. Il faut impérativement que le pharmacien confirme son rôle de personnel de santé », explique Alein Bertheuil, président d'Astera, coopérative du secteur pharmaceutique, n° 3 de la distribution de médicaments en France et n° 9 des dix plus grandes entreprises mutualistes françaises. Cette réactivité, au plus près du terrain, permet de raccourcir les circuits de distribution et de donc de faire des économies, de renforcer les liens de confiance entre pharmaciens, opticiens et orthophonistes mais aussi tous les professionnels de la santé comme les médecins généralistes et spécialisés, les dentistes, les sages-femmes, les infirmiers, les chirurgiens…
Les pouvoirs publics, eux, sont dans leur double rôle de pourvoyeurs de moyens pour aider le secteur à se restructurer et de garants de l’information. De nombreuses campagnes de sensibilisation ont eu pour objet « d’éduquer les patients », en conseillant toujours de vérifier si le professionnel de santé est conventionné par la Caisse d’assurance maladie ou si ce dernier pratique des honoraires hors normes ou non. Les curseurs à aligner pour que les prix puissent baisser sont nombreux et l’approche des entreprises coopératives, plus humaine, semble en adéquation avec les tendances de fond qui traversent la société française aujourd’hui.