Organisations
Retour sur l’histoire des comités d’entreprise…
Avant 1945…
Si le souhait des travailleurs de participer à la gestion des entreprises s’est manifesté dès les origines du capitalisme, notamment à travers diverses formules (coopératives de production, ateliers sociaux…), rares ont été les expériences concrètes de création de comités ouvriers en France au XIXème siècle [1]. Quelques conseils d’usine d’inspiration catholiques ont certes vu le jour mais il ne s’agissait pas à proprement parler de véritables organismes de représentation du personnel.
Il en est ainsi de l’expérience réalisée dans une filature de laine dite du « Val des Bois » dans le département de la Marne dès 1875 [2]. Inspiré des syndicats mixtes catholiques, le conseil d’usine qui était instauré avait notamment pour but d’établir une coopération des ouvriers à la direction professionnelle et disciplinaire de l’usine basée sur une confiance réciproque. Composé d’élus ouvriers et du patron, le conseil d’usine avait pour objectif de permettre à ses membres de donner leur avis sur certaines questions (mesures disciplinaires, accidents, salaires…) et de porter les réclamations des travailleurs au patron. Les ouvrières avaient également leur propre conseil d’usine. Mais cette expérience s’inscrivait dans un cadre rural traditionnel et visait davantage à orienter les travailleurs dans un sens favorable à l’entreprise.
Chez Schneider, une expérience de représentation salariale a également été menée au Creusot, avec la création de délégués d’atelier suite à deux grandes grèves qui ont mobilisé les travailleurs en 1899. Selon Eugène Schneider, l’instauration de ces délégués a été le moyen de gagner trente ans de paix sociale. Par ailleurs, cette expérience a suscité plusieurs projets visant à généraliser les délégués d’atelier de la part de Jean Jaurès et d’Alexandre Millerand. Mais ces projets n’ont pas abouti.
Une loi du 8 juillet 1890 a institué des délégués des ouvriers mineurs mais leurs compétences étaient limitées. Élus par les travailleurs, les délégués procédaient à des visites dans les mines qui avaient pour but exclusif d’examiner les conditions de sécurité du personnel occupé et les conditions dans lesquelles se produisaient les accidents. De plus, la loi prévoyait l’annulation de l’élection d’un candidat qui s’intéressait à des questions ou revendications étrangères aux fonctions de délégué.
Qu’en était-il à l’étranger à cette même période ? Dans les pays anglo-saxons, des comités ouvriers ont été créés dès la Première Guerre Mondiale dans les usines travaillant pour la défense nationale et après la fin de la guerre, ce système a eu tendance à se généraliser. En 1917, des comités d’usine avaient été créés dans la Russie soviétique. Par ailleurs, certains pays comme la Belgique, la Suisse et la Norvège ont mis en place des procédures de désignation de délégués précédemment à la prise de décision de l’employeur, par exemple en matière de durée du travail et de règlement d’atelier. Sous l’impulsion de l’Organisation Internationale du Travail, l’idée d’une participation des travailleurs aux décisions qui les concernent a fait son chemin dans de nombreux pays, avec la création de premiers conseils d’entreprise.
En France, le patronat français a été favorable aux conseils d’usine à la fin de la Première Guerre Mondiale pour, en quelque sorte, contrer le flot d’idées sociales. Mais cela n’a pas duré.
Ce n’est qu’avec la loi du 24 juin 1936 que les délégués du personnel ont été instaurés en France.
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, la charte du travail (du 4 octobre 1941) avait institué des comités sociaux d’entreprise. La désignation de leurs membres était subordonnée à l’accord du chef d’établissement. Ces comités étaient purement consultatifs et s’occupaient exclusivement des questions sociales, notamment en matière de ravitaillement, d’où leur surnom de comités patates.
1945 : la « première » naissance des CE
Avec l’ordonnance du 22 février 1945, sont nés les comités d’entreprise. Mais le projet de leur instauration figurait déjà en bonne place dans le programme d’action du Conseil National de la Résistance du 15 mars 1944. À la Libération, des comités mixtes à la production ont été créés mais également des comités patriotes d’entreprise et des comités de gestion.
Le texte de l’ordonnance du 22 février 1945 a été accueilli par de nombreuses critiques car il ne reprenait pas les principes définis par le Conseil National de la Résistance et se montrait particulièrement restrictif. Ainsi les comités d’entreprise étaient limités à certains secteurs (industrie et commerce) avec une extension possible par décrets à certains services publics à caractère industriel et commercial. De plus, ils ne concernaient que les entreprises comptant au moins 100 salariés. Le comité d’entreprise devait être informé (et non consulté) sur l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise. Cette information portait aussi sur les résultats financiers de l’entreprise dans les entreprises de plus de 500 salariés.
Après le départ du général de Gaulle de la présidence du gouvernement provisoire de la République, son successeur a déposé un projet de loi modifiant les attributions économiques du comité d’entreprise. Ce projet ayant été jugé trop limité, une proposition de loi d'Albert Gazier a été déposée. Elle a débouché sur la loi du 16 mai 1946.
Un nouveau statut du comité d’entreprise dès 1946
En 1946, le législateur a profondément modifié le régime des comités d’entreprise (abaissement du seuil de mise en place des comités d’entreprise de 100 à 50 salariés, extension des comités à d’autres secteurs d’activités, possible assistance par l’expert-comptable…). Une compétence obligatoire des comités d’entreprise a été instaurée en matière d’organisation et de marche générale de l’entreprise. Un droit d’information obligatoire sur les bénéfices de l’entreprise a été mis en place. Les membres des comités d’entreprise ont également pu bénéficier de moyens pour exercer leur mandat (20 heures de délégation par mois contre 15 dans le cadre de l’ordonnance de 1945).
Ce nouveau régime a favorisé l’essor des comités d’entreprise (le nombre d’entreprises assujetties a été multiplié par deux) et a subi quelques modifications, notamment avec la loi du 18 juin 1966 (information du comité d’entreprise en cas de compression des effectifs).
Les réformes du comité d’entreprise depuis 1982
À l’occasion des lois Auroux, en 1982, le régime des instances représentatives du personnel a subi d’importantes modifications (création d’une subvention de fonctionnement de 0,2 % de la masse salariale, création du comité de groupe…) et c’est aussi cette même année qu’a été créé le CHSCT.
À maintes reprises, le thème du comité d’entreprise a été réformé par le législateur. Sans souci d’exhaustivité, en voici quelques exemples. Avec la loi quinquennale de 1993, les heures de délégation, les réunions et les informations économiques du comité d’entreprise ont subi un recul. L’information des comités d’entreprise a certes été renforcée (notamment pas la loi dite « de modernisation sociale » du 17 janvier 2002) mais la tendance des réformes récente va dans le sens d’une baisse des moyens au service des instances représentatives du personnel.
Avec la loi Rebsamen du 17 août 2015, la délégation unique du personnel, jusque-là réservée aux entreprises de moins de 200 salariés, est étendue aux entreprises de moins de 300 salariés (sur simple volonté de l’employeur), avec intégration du CHSCT, à laquelle FO s’est opposée. De plus, dans les entreprises d’au moins 300 salariés, le législateur a permis, par accord collectif, le regroupement à la carte des instances représentatives du personnel. D’autres modifications ont également remodelé en profondeur le régime des comités d’entreprise, notamment avec l’instauration de délais préfixe pour la consultation du comité d’entreprise, le regroupement des thèmes de consultation en trois blocs ou encore l’instauration de la base de données économiques et sociales.
La fusion des instances mettra donc un terme à la « vie » des comités d’entreprise, des délégués du personnel et du CHSCT… D’où le sentiment qu’une page historique se tourne.
[1] En ce sens, M. Cohen, L. Milet, « Le droit des comités d’entreprise et des comités de groupe », LGDJ, 2017.
[2] J.-P. Le Crom, « L’introuvable démocratie salariale : le droit de la représentation du personnel dans l’entreprise (1890-2002) », Syllepse p. 9 et s.