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07 / 12 / 2020 | 718 vues
Julien Picard / Abonné
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L’indemnisation du télétravailleur : un principe constant de jurisprudence

Une jurisprudence favorable au télétravailleur
 

Avant les ordonnances Macron de septembre 2017, l’article L1222-10 du Code du travail obligeait expressément l’employeur à « prendre en charge tous les coûts découlant directement de l’exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci ».
 

Désormais, la prise en charge par l’entreprise des coûts directs du télétravail n’est plus explicitement mentionnée dans le Code du travail, mais il n’en demeure pas moins que l’obligation de remboursement des frais engagés par le salarié pour les besoins de son activité professionnelle, et dans l’intérêt de l’employeur, est un principe jurisprudentiel constant. Dans un arrêt récent, la Cour de cassation a d’ailleurs spécifié qu’une clause contractuelle imputant au salarié ses dépenses relatives aux besoins de son activité professionnelle est réputée non écrite (27 mars 2019, 17-31116, société Heliotronic).
 

La Cour de cassation affirme de plus que le travail à domicile, à la demande de l’employeur, constitue une immixtion dans la vie privée donnant lieu à la fois à indemnisation et remboursement de frais :
 

  • « L’occupation, à la demande de l'employeur, du domicile du salarié à des fins professionnelles constitue une immixtion dans la vie privée de celui-ci et n'entre pas dans l'économie générale du contrat de travail. Si le salarié accède à la demande de son employeur, ce dernier doit l'indemniser de cette sujétion particulière, ainsi que des frais engendrés par l'occupation à titre professionnel du domicile » (7 Avril 2010, 08-44865, Nestlé Waters).
  • Dans cette affaire, Nestlé Waters prenait en charge tous les frais directs du télétravail matériel informatique, téléphone, connexion internet, etc. L’arrêt stipule que cela est insuffisant : l’utilisation d’une partie du domicile personnel pour l'activité professionnelle constitue en soi des frais professionnels devant faire l'objet d'une indemnité spécifique.
     

La Cour de cassation a réaffirmé cette position dans un arrêt du 11 juillet 2012 (10-28847, société Maxim France). Des jugements plus récents confirment qu’un salarié peut prétendre à une indemnité au titre de l’occupation de son domicile à des fins professionnelles (Cour d’appel de Reims, 22 Janvier 2020, 18/02372) ou que l’employeur ne peut se soustraire à l’indemnité de sujétion que s’il prouve que le télétravail s’effectue à la demande du salarié (Cour d’appel de Lyon, 18 décembre 2019, 17/00835).

 

Attention aux textes infondés ou ambigus
 

À un moment où le télétravail se répand de façon exponentielle, cette jurisprudence mérite d’être rappelée, d’autant que le ministère du Travail l’ignore totalement dans son guide « Questions/réponses sur le télétravail », publié en mai 2020. A la question « Mon employeur doit-il m’indemniser ? », ce guide répond abusivement « non ». Il précise : « L’employeur n’est pas tenu de verser à son salarié une indemnité de télétravail destinée à lui rembourser les frais découlant du télétravail, sauf si l’entreprise est dotée d’un accord ou d’une charte qui la prévoit ».
 

Sur un autre plan, on peut regretter que l’accord national interprofessionnel (ANI) du 26 novembre 2020 sur le télétravail ne mentionne à aucun moment la notion d’indemnisation. Son chapitre consacré à la prise en charge des frais professionnels est en outre à la fois minimaliste, restrictif et sujet à interprétation :
 

  • « Il appartient à l’entreprise de prendre en charge les dépenses qui sont engagées par le salarié pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de l’entreprise, après validation de l’employeur » : les employeurs indélicats risquent d’exploiter à leur profit cette référence à une « validation » de leur part...
  • « Le choix des modalités de prise en charge éventuelle des frais professionnels peut être, le cas échéant, un sujet de dialogue social au sein de l’entreprise » : le mot « éventuel » peut laisser croire – à tort – que l’employeur a le droit de s’exonérer de la prise en charge de certains frais professionnels.
     

Avant la négociation de l’ANI, le Medef avait averti que l’accord ne pourrait pas introduire d’obligations pour les employeurs. En fait il ne se contente pas de cela : il les passe sous silence, alors même que le texte se fixe officiellement pour objectif « d’expliciter l’environnement juridique applicable au télétravail ». D’évidence cet objectif n’est pas atteint !
 

Daphné Lecointre et Julien Picard


Daphné Lecointre et Julien Picard sont co-fondateurs du cabinet PNL Conseil, spécialisé dans l’intervention à destination des CSE. Ils ont contribué à la rédaction de l’ouvrage « CSE : prérogatives des ex-DP et représentants de proximité » (éditions Gereso). 

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