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26 / 06 / 2025 | 13 vues
Jean-Claude Delgenes / Abonné
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La subversion en entreprise : comprendre les règles du jeu pour ne pas en être (trop) la victime

La subversion n’est pas un phénomène réservé à la sphère politique ou à l’activisme militant. Elle est bel et bien présente, parfois invisible, souvent efficace, dans l’univers feutré mais tendu de l’entreprise où elle est utilisée aussi bien par quelques directions ( une minorité peu scrupuleuses) que, parfois, très modestement, par certains représentants du personnel. Loin d’être un fantasme, elle s’ancre dans une réalité quotidienne faite de rapports de force, de stratégies d’influence et de jeux de pouvoir.

Nanzeeba Ibnat



Connaître les mécanismes de la subversion, c’est apprendre à se protéger, mais aussi à mieux négocier. Tout bon négociateur doit connaître les rouages de « l’art cynique de la subversion ».


Quand les négociations dérapent… ou dérivent
 

Chez Technologia, plusieurs situations récentes ont révélé à quel point les rapports sociaux peuvent basculer dans l’irrationnel à la suite de manipulations souterraines. Des négociations qui semblaient bien orientées ont parfois tourné à contre-courant, sans explication apparente. Des décisions attendues ne se produisent pas ou sont contraires aux attentes. 


Dernièrement, dans une PME sous-traitante du nucléaire, une décision de mutation forcée à plusieurs centaines de kilomètres, concernant un petit groupe de salariés dont deux délégués syndicaux, a fini par être acceptée… sans résistance. Pourtant, les élus avaient initialement dénoncé la manœuvre et il est vrai qu’il y avait vraiment matière pour l’emporter au tribunal et faire annuler cette micro réorganisation qui avait pour objectif d’exfiltrer en fait des élus du personnel qui gênaient un peu trop. Que s’est-il passé ?
Les entretiens individuels, la pression douce, les récits sur la « vraie vie ailleurs », ont fini par convaincre un syndicaliste chevronné d’abandonner son mandat pour ouvrir un bar, pendant que sa collègue, effondrée, négociait une rupture conventionnelle. Ce n’est pas simplement un retournement de situation : c’est une stratégie subversive réussie.
 

La subversion : un art ancien, des techniques modernes

La subversion est vieille comme le monde. Mais aujourd’hui, elle s’appuie sur des sciences modernes – psychologie sociale, sociologie, sciences cognitives – et sur des outils redoutables comme les réseaux sociaux ou les médias. Elle fonctionne sur une logique systémique : chaque action individuelle, chaque mot, chaque choix d’information, vise un effet précis. Elle peut bien entendu instrumentaliser des acteurs sociaux voire des experts qui acceptent d’entrer dans ce jeu en conscience car ils y trouvent intérêt.


Le bon subversif se présente comme le porte-voix d’une cause juste dans cet exemple la bonne marche de l’entreprise qui soit disant impose de faire taire toute opposition, toute singularité. Il incarne le combat contre « la bêtise » qui n’a pas de sens car pour finir la décision revient toujours au dirigeant (une contestation récurrente des décisions de la direction n’a pas lieu d’être) ou « l’injustice » (deux élus ne peuvent pas prendre en otage tous les salariés et l’entreprise), il peut parfois défier l’ordre légal établi (la loi protège les élus du personnel de toute discrimination) , et cherche à discréditer l’autorité (les salariés étaient très soudés derrière leur leader) .


Son efficacité repose souvent sur trois piliers :
 

  • La démoralisation des adversaires, en instillant le doute, la culpabilité, la solitude.
  • Le discrédit de l’autorité, en brisant l’image de compétence ou de légitimité afin de ruiner l’influence acquise et les effets d'entraînement.
  • La mobilisation de la majorité silencieuse, celle qui ne dit rien, qui hésite, mais qui bascule si elle est séduite par une rhétorique efficace.

Les ingrédients d’une subversion réussie

Le bon subversif sait exploiter les failles humaines. Il nourrit les ressentiments, l’individualisme, la défiance vis-à-vis du collectif. Il construit un récit manichéen dans lequel les personnes ciblées considérées comme des adversaires incarnent le mal, il cherche à provoquer l’isolement par le mépris, la peur, l’oppression. Il joue à attirer les « belles âmes », celles qui sont influencées dans une logique de défense de certaines valeurs universelles (par exemple la logique de l’entreprise qui est confrontée à la concurrence), tout en agrégeant les rancunes personnelles, en unifiant les aigris, parfois les humiliés qui ont de forts ressentiments et souvent même les plus instables. En bref, le discours subversif s’appuie souvent sur la dénonciation,  il détourne des valeurs universelles pour créer une polarisation émotionnelle.


Internet est un amplificateur décisif. La psychologie sociale, les sciences cognitives et les médias numériques permettent aujourd’hui de comprendre et de conditionner plus efficacement les individus. Les réseaux sociaux utilisés à cet escient nourrissent un climat de défiance, afin d’entretenir la colère, de rendre viral un soupçon ou une erreur. Une information bien présentée, relayée par un média critique, peut devenir un instrument de destruction massive de la confiance. Même une simple coupure de presse, si elle est émotionnellement chargée, peut faire perdre pied à toute personne. La crédibilité d’un média allié ou d’une dénonciation relayée par la presse est souvent surestimée par les victimes d’une action subversive, qui peuvent perdre pied par suite d’un seul article malveillant.

Des techniques précises, un objectif clair

Les techniques subversives ne relèvent pas de l’improvisation.

Elles sont méthodiques :
 

  • Chercher un incident ou une faute, puis en faire une affaire emblématique.
  • Organiser la disqualification morale de l’adversaire.


Instaurer un climat de tribunal populaire, où les personnes visées sont présentées comme coupables avant même d’être entendues. Révéler un fait choquant, sous couvert de transparence, dans un contexte qui en décuple l’effet. La logique est toujours la même : isoler, affaiblir, disqualifier. 


Pourquoi les acteurs sociaux doivent il se former à la subversion


Dans un univers professionnel où les incertitudes s’accumulent, la subversion peut faire des ravages. Elle prospère sur la peur, l’insécurité, l’absence de communication ou de cohésion. Elle touche tous les camps : directions d’entreprise, syndicats, collectifs informels, réseaux militants, voire certains consultants.


Il est donc urgent de former les acteurs du dialogue social à ces mécanismes qui, dans les faits, déterminent souvent les négociations. Non pas pour sombrer dans la paranoïa, mais pour éviter d’être pris au piège. Le bon négociateur doit savoir détecter les signes avant-coureurs d’une dynamique subversive, comprendre les leviers psychologiques en jeu, et surtout renforcer les bases du dialogue : transparence, cohérence, exemplarité.

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