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Des centaines de postes de conseillers numériques dans les maisons France services sont menacés
Dans les maisons France services, les conseillers numériques aident les quelque 10 millions de Français qui ont des difficultés à se servir d’internet. Or, en 2025, les crédits alloués à cette mission sont en baisse de 30 %. L’association Sens du Service public redoute des conséquences dramatiques pour de très nombreux usagers.
Claire Hédon, défenseure des droits, souligne régulièrement que « de nombreux Français rencontrent des difficultés pour accéder aux services publics en ligne, notamment en raison d’un manque de compétences numériques et d’un accès limité à Internet. Il est essentiel de les accompagner pour garantir l’égalité d’accès aux droits ». Si en 2022, environ 67 % des adultes en France ont effectué au moins une démarche administrative en ligne, un tiers des adultes ont renoncé à effectuer une démarche en ligne en raison de divers obstacles.
La dématérialisation vise à simplifier les procédures administratives, réduire les coûts et améliorer l’efficacité des services publics. Elle permet également de limiter les déplacements et de rendre les services accessibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Depuis la Covid-19, le gouvernement a accéléré la transformation numérique des services publics, une politique commencée depuis une vingtaine d’années. En 2024, le nombre de démarches administratives disponibles en ligne a augmenté de 30 %, passant de 250 à 325 démarches. Or, environ 15 % de la population adulte en France est en situation d’illectronisme, 47,4 % des habitants des zones rurales ont un accès limité à internet et près de 54 % des Français éprouvent des difficultés à effectuer des démarches en ligne.
Pour accompagner ce mouvement de dématérialisation, il est donc essentiel de mettre en place des mesures d’accompagnement pour assurer l’inclusion numérique de tous et garantir l’égalité d’accès aux droits. Ainsi, le dispositif France Services a été mis en place en 2019, succédant aux Maisons de services au public créées en 2013. Ce dispositif vise à offrir un accompagnement personnalisé aux citoyens pour les aider à réaliser leurs démarches administratives en ligne.
Les conseillers numériques France Services, des professionnels formés, jouent un rôle clé dans cet accompagnement. Ils assistent les usagers pour des démarches telles que la déclaration d’impôts, la demande de prestations sociales ou encore l’inscription sur les listes électorales. Leur présence est particulièrement précieuse pour les personnes âgées, les personnes en situation de handicap et celles qui ne sont pas à l’aise avec les technologies numériques. En 2024, plus de 4 000 conseillers numériques ont été déployés.
Grâce à leur aide, les usagers gagnent en autonomie et en confiance. En 2024, le taux de satisfaction des usagers des services France Services a atteint 96,1 %, avec 82 % des demandes satisfaites en une seule visite. Le programme France Services bénéficie d’un financement important de l’État, avec un budget annuel de plusieurs millions d’euros. Ces fonds permettent de recruter et de former les conseillers numériques, d’équiper les espaces France Services en matériel informatique et de développer des outils pédagogiques adaptés.
L’inclusion numérique menacée par la baisse des financements
Cependant, ces financements sont actuellement menacés par les restrictions budgétaires. L’annexe budgétaire du projet de loi de finances 2025 précisait que « dans un contexte de maîtrise des finances publiques, il est proposé de réduire progressivement le financement de l’État du dispositif ». C’est ainsi, que le budget 2025 adopté prévoit une réduction des crédits alloués à l’inclusion numérique de 20 M€ (de 67 M€ à 47 M€). Cette baisse de financement pourrait mettre en péril la pérennité des initiatives d’inclusion numérique, y compris les postes de conseillers numériques, et aggraver les inégalités face à la dématérialisation croissante des services publics.
La baisse des financements des conseillers numériques aurait des conséquences dramatiques pour les usagers. En l’absence de soutien, de nombreux citoyens risquent de se retrouver exclus des services publics en ligne, aggravant ainsi le phénomène d’illectronisme en France. Les personnes les plus vulnérables seraient les premières touchées, avec un risque accru de non-recours aux droits et de marginalisation sociale.
Les conséquences d’une réduction des financements pour les conseillers numériques seraient particulièrement lourdes pour les collectivités locales. Actuellement, les collectivités territoriales financent en moyenne 60 % d’un poste de conseiller numérique. En l’absence de soutien financier de l’État, ces collectivités devraient compenser le manque de ressources par leurs propres moyens, ce qui pourrait entraîner une pression accrue sur les budgets locaux. Sans un financement adéquat, les collectivités risquent de voir augmenter les inégalités numériques sur leur territoire. Les zones rurales et les quartiers défavorisés, déjà touchés par un accès limité à Internet et un manque de compétences numériques, seraient naturellement les plus impactés. Cela pourrait exclure davantage de citoyens des services publics en ligne, renforçant ainsi les inégalités sociales et territoriales.
Bien que des difficultés de financement pérenne des conseillers numériques puissent survenir, cela ne justifie pas un abandon précipité du dispositif. Pour cette nouvelle politique publique, il est crucial d’avoir de la visibilité budgétaire. Un engagement financier sur plusieurs années permettrait de garantir la continuité et l’efficacité des actions menées. Un financement stable et prévisible est essentiel pour assurer la pérennité des services et la formation continue des conseillers numériques.
Un rôle crucial pour aider les citoyens
De plus, la mutualisation des financements entre différents opérateurs pourrait être une solution viable. Selon un rapport de la Cour des Comptes, une meilleure coordination et mutualisation des ressources entre les différents opérateurs (collectivités, La Poste…) permettraient d’optimiser les moyens disponibles et d’assurer une utilisation plus efficace des fonds publics. Cette approche pourrait renforcer la pérennité du dispositif France Services et garantir un accompagnement durable pour les citoyens.
Les conseillers numériques France Services jouent un rôle crucial pour aider les citoyens à naviguer dans la dématérialisation des démarches en ligne et garantir l’inclusion numérique pour tous. Maintenir et renforcer les financements de ce programme est essentiel pour lutter contre l’illectronisme et assurer un accès équitable aux services publics.
Comme l’a si bien dit l’écrivain Daniel Pennac dans son livre « Chagrin d’école », « le numérique, c’est l’inclusion, c’est la médiation, c’est la possibilité pour chacun de trouver sa place dans la société ». Investir dans la médiation numérique, c’est investir dans l’avenir de notre société, en permettant à chacun d’avoir accès aux services publics.
Le Sens du service public est un think tank qui regroupe une cinquantaine d’agents publics soucieux de « moderniser l’administration pour rendre le meilleur service aux usagers sans laisser personne au bord de la route. »
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NDLR: Le think tank regroupe une cinquantaine d'agents publics soucieux de moderniser l'administration pour rendre le meilleur service aux usagers sans laisser personne au bord de la route.
Les 15 fondateurs sont issus des trois versants de la fonction publique : territoriale, hospitalière et Etat.
cf: https://www.sens-du-service-public.fr/
Tribune publiée également dans le Nouvel Obs de la semaine dernière