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Covid-19 : il faut vite changer les règles du licenciement économique
Alors que certains pays prennent des mesures exceptionnelles pour éviter des licenciements massifs, le gouvernement écarte l’idée de s’engager dans une telle voie. Les ordonnances Macron de 2017 se révèlent pourtant totalement inadaptées à la situation.
Des textes dérogatoires doivent être adoptés pour éviter qu’au chômage partiel ne succède le chômage « tout court » pour des milliers de salariés.
Les ordonnances Macron ont significativement modifié la définition du licenciement reposant sur des difficultés économiques.
Jusqu’en 2017, les licenciements fondés sur les difficultés économiques d’une entreprise ne pouvaient pas résulter d’un « simple tassement de l’activité », d’une « perte de marché » ou d'une « simple baisse d’activité ». Au contraire, elles imposaient une démonstration rigoureuse qui s’appuyait nécessairement sur une pluralité de données comptables, financières et économiques.
Depuis les ordonnances Macron, les employeurs peuvent désormais se contenter de démontrer l’« évolution significative » d’un seul indicateur économique tel qu’une « baisse des commandes ou du chiffre d’affaire », « des pertes d’exploitation » ou encore « une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation ».
Le législateur ajoute qu'une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est caractérisée lorsqu’elle dure entre un à quatre trimestres, selon la taille de l’entreprise. La comparaison s’effectue « avec la même période de l'année précédente ».
Cette définition étriquée des « difficultés économiques » a pour vocation principale d’écarter toute appréciation circonstanciée de la situation des entreprises par les juges.
Ainsi, est désormais dénié au juge le droit d’apprécier ce que les indicateurs pertinents seraient, la durée dont il convient de tenir compte, l’ampleur des variations et la mise en perspective des indicateurs combinés.
Or, quiconque s’est déjà penché sur l’analyse de la santé financière d’une entreprise sait qu’un seul de ces critères ne saurait, indépendamment des autres, signifier quoi que ce soit. Imagine-t-on un instant qu’un rachat d’entreprise puisse s’opérer après analyse d’un seul de ces critères ?
Il faut bien le dire, le législateur (surtout lorsqu’il s’exprime par le biais d’ordonnances) nourrit une défiance anormale à l’égard des juges dès que l’activité économique des entreprises est en cause.
Cette défiance est d’ailleurs allée si loin que le juge a même été exclu de l’appréciation des préjudices subis par un salarié victime d’un licenciement injustifié puisqu’il est désormais tenu d’appliquer des barèmes d’indemnisation forfaitaire et plafonnés (les fameux barèmes Macron).
La crise sanitaire « n’est qu’une parenthèse » et les règles doivent s’adapter.
La période extraordinaire que nous traversons et ses conséquences déjà connues ou facilement identifiables démontrent particulièrement les limites de la définition juridique actuelle du motif économique.
De nombreuses entreprises fonctionnent au ralenti voire sont à l’arrêt total en raison des règles sanitaires de confinement. Parallèlement, plus de la moitié des actifs du secteur privé est aujourd’hui indemnisée au titre de l’activité partielle.
Mais, dans un tel contexte, que peuvent bien signifier les indicateurs précédemment évoqués, pris indépendamment les uns des autres et sur des périodes relativement courtes ?
Les diminutions de commandes ou de chiffres d’affaires inévitables qui sont intervenues et continuerons d’intervenir ces prochains mois caractérisent-elles à elles seules, de véritables difficultés économiques ou ne constitueront-elles que des baisses d’activité conjoncturelles ? Évidemment, cela dépend. C’est précisément pour cette raison qu’une appréciation circonstanciée de chaque situation s’impose.
Or, en sa rédaction actuelle, la loi ne permet pas une telle approche et permettra à la quasi-totalité des employeurs de mécaniquement disposer d’un motif économique de licenciement au sortir de la crise sanitaire quand bien même leurs difficultés ne seraient que passagères, voire totalement artificielles. Sur ce point, on rappellera les propos de Yolanda Diaz (Ministre du Travail espagnole) qui a interdit les licenciements résultant de la crise du covid-19 car « cette crise est une parenthèse ».
En cette période si particulière, les salariés voient pour la plupart leurs revenus diminuer. L’État finance massivement les mesures d’activité partielle.
Les entreprises doivent également prendre leur part et ne pas se servir de leur masse salariale comme variable d’ajustement face à la crise sanitaire.
Une adaptation des textes, au moins temporaire, est donc nécessaire pour préserver l’emploi face à la crise. Cette adaptation ne nécessiterait d’ailleurs pas d’innovation particulière puisqu’elle pourrait simplement se matérialiser par l'application des dispositions qui préexistaient à celles des ordonnances Macron de 2017. Elle consacrerait alors un retour du juge qui pourrait de nouveau apprécier de manière circonstanciée la situation des entreprises en fonction des indicateurs qui seront les plus pertinents.
Enfin, il semble également opportun d'écarter l’application des plafonds des barèmes Macron pour les licenciements économiques injustifiés qui interviendraient postérieurement à la crise sanitaire. Seule une telle mesure permettra d’assurer l’effectivité de cette incitation à ne pas rompre les contrats de travail.
Cela permettra alors de reléguer la décision de licencier à ce qu’elle doit être : un ultime recours.