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05 / 05 / 2023 | 392 vues
Nicolas Faintrenie / Membre
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Constat d’effroi chez les Commissaires de Justice

Le législateur a créé en 2015 le métier de commissaire de justice, né de la fusion des métiers d’huissier de justice et de commissaire-priseur (1). La première étape de cette fusion des métiers est effective depuis le 1er juillet 2022.

 

Quelles conséquences sur les salariés et les branches professionnelles ?

 

La Section des Services a toujours combattu la constitution d’une branche professionnelle des professions libérales, portée notamment par le rapport (officiellement jamais sorti) Ramain (2). En effet, la conception d’une telle branche exprime l’idée de la défense des intérêts du statut d’exercice des employeurs – les Professions Libérales – alors que la branche professionnelle doit construire les droits et garanties des salariés.
 

La branche professionnelle, outil des employeurs ou au service des salariés ?
 

La création de la nouvelle profession des commissaires de justice illustre cette compréhension et/ou cette entente entre le patronat et l’Etat pour refonder les branches selon une logique administrative et capitalistique plutôt que sur une logique sociale et économique. Non sans l’assentiment de quelques organisations syndicales de salariés…Ainsi, par un accord du 8 novembre 2018, les organisations patronales et syndicales de salariés (FO non-signataire) « ont fait le choix d’engager des discussions afin d’envisager un rapprochement entre elles dans le but de créer une seule et unique branche des commissaires de justice et des opérateurs de ventes volontaires », ce projet répondant « au souhait du législateur » (3).


Cette conception de la branche, centrée sur le statut de l’employeur, est symptomatique. Par comparaison, les travaux de rapprochement des branches du personnel non avocat des cabinets d’avocats et des avocats salariés ont vocation à constituer la branche du personnel salarié des cabinets d’avocats. Il convient d’ajouter que cette fusion s’opère dans le respect des règles fixées par l’Etat s’agissant de la réforme des branches professionnelles.

 

Nouvelle profession, nouvelle branche ?

 

S’agissant des commissaires de justice, cette fusion a été totalement affranchie des règles posées par l’Etat. Ainsi, l’accord précité de 2018 n’a pas fait l’objet d’un examen par les services de l’Etat dans le cadre de la fusion des branches. En outre, cet accord a été conclu à durée déterminée jusqu’à fin 2019. Et les négociations se sont poursuivies après cette date. A l’été 2022, la conclusion d’un « bloc 1 » assez conséquent a été présentée pour une mise à la signature.

 

Il ne comportait toutefois pas l’allocation de fin de carrière, somme conséquente dont bénéficie chaque salarié d’une étude d’huissier de justice à la fin de sa vie active. Ce fut l’occasion pour notre organisation syndicale  d’adresser un courrier aux services de l’Etat afin d’avoir des précisions sur le cadre de la négociation, pourtant présidée par un représentant de l’Etat. Ce courrier soulignait l’urgence de la situation et mentionnait qu’il ne devait pas être partagé, notamment auprès des organisations patronales, lesquelles auraient pu être tentées de dénoncer les conventions collectives.

 

  • Le patronat et l’Etat s’entendent pour refonder les branches selon une logique administrative et capitalistique plutôt que sur une logique sociale et économique

 

De manière assez extraordinaire, à l’occasion de la réunion de négociation suivante, l’ordre du jour transmis par l’Etat mentionnait la négociation d’un accord de méthode, destiné à sécuriser la branche professionnelle, en contradiction avec l’ordre du jour décidé lors de la réunion précédente. A l’exception de FO, cet accord a été signé afin de faire paraître plus juridique la configuration actuelle. Surpris par cette initiative, notre organisation syndicale écrit aux services de l’Etat pour connaître leur rôle dans ce tour de passe-passe et pour avoir une réponse à sa demande de précision sur l’environnement présidant à cette fusion des branches. En décembre 2022, les services de l’Etat ont écrit à la Chambre nationale des commissaires de justice afin de partager, qu’à leur sens, la fusion procédait d’une mise en cause (voir encadré). L’Etat n’a, en revanche, toujours pas répondu à nos courriers.
 

  • L’allocation de fin de carrière en sursis
     

Deux éléments intéressent les organisations patronales dans cette fusion : sauvegarder une autonomie de métier, alignée sur leur statut plutôt que celui des salariés ; mettre fin à certains avantages comme l’allocation de fin de carrière (AFC). L’activité de notre syndicat  a permis, à l’occasion de la réunion de négociation conclusive, de contraindre les organisations patronales à placer dans l’accord la problématique de l’AFC. Cette prise en compte a été imparfaite puisque le texte, imposé par le patronat, prévoit d’une part le maintien de l’allocation pour certains salariés et d’autre part la disparition totale de l’AFC si un nouvel accord sur cet objet n’a pas été conclu au 30 septembre 2023. Conditionner le maintien d’un droit – que le patronat souhaite abattre – à la signature d’un accord collectif conclu par ce même patronat, constitue une situation remarquable d’un point de vue du droit. Il s’agit d’une clause potestative, prohibée en droit français (voir encadré).

 

  • Cette situation est inacceptable du point de vue syndical

 

Les autres organisations s’étant portées signataires du texte, FO l’a paraphé, en soulevant deux réserves : l’une liée au cadre de la négociation, l’autre liée au caractère illicite de la clause potestative. Il n’est pas garanti que la procédure d’extension soit achevée avant que la date limite du 30 septembre soit atteinte, laissant les négociateurs dans un épais brouillard.

 

  • L’Ecole paritaire moribonde

 

Par un décret du 15 novembre 2019 pris en application de la loi de 2015, l’Etat a également signé l’arrêt de mort de l’école paritaire formant les salariés des études d’huissiers de justice (l’ENP-EPP). Depuis sa création, cette école – paritaire – a formé des milliers de salariés, en axant sa pédagogie sur un apprentissage au plus près des besoins des apprenants au regard des attentes et réalités des études d’huissiers.

 

Mettant en œuvre la fusion des métiers au profit de celui de commissaire de justice, le décret a conféré à la chambre patronale la légitimité de constituer une école de formation pour les futurs commissaires de justice. Par une phrase, l’Etat a également permis que la chambre puisse décider, de manière unilatérale, de former les salariés destinés à travailler au sein des études de ces commissaires.

 

Cette possibilité a été mise en œuvre, et l’ENP-EPP vidée de sa substance. Nos courriers, adressés tant au ministère de la Justice qu’à celui du Travail, n’ont trouvé aucun écho et aucune réponse. Cette situation est relancée par une alerte de l’opérateur de compétences s’agissant des fonds de la formation consommés par la branche, et les garanties apportées par celle-ci (paritarisme et qualité des formations).

 

Les échanges se multiplient sur la réinjection d’une dose de paritarisme dans la formation des futures salariés des études d’huissiers de justice. Soubresaut ou retour à la normale ?

 

  • Les salaires minima dans l’impasse ?

 

Dans un contexte d’inflation, la négociation des salaires minima hiérarchiques se pose avec une grande acuité pour la branche. Mais laquelle  Une problématique semblable s’est posée dans la nouvelle convention collective des Professions réglementées auprès des juridictions (4). Notre organisation syndicale  avait alerté sur les conséquences néfastes de la lenteur des négociations, alors que la nouvelle grille des salaires minima était enfermée dans la future convention. C’est ainsi que, d’une grille dont le premier niveau était très au-dessus du SMIC, les salariés de la branche ont été privés de négociation et tributaires d’une grille obsolète.

 

Afin d’éviter cette situation, nous avons demandé l’ouverture de négociations des minima salariaux dans le champ des salariés des études d’huissiers de justice. Les autres organisations syndicales ont demandé l’ouverture de cette négociation dans le champ des salariés des études de commissaires de justice. Les organisations patronales ont demandé l’ouverture de négociation sur les salaires dans le champ demandé par FO, en contrepartie de la suppression de l’allocation de fin de carrière..

 

Procédure de mise en cause

 

Elle est prévue à l’article L. 2261-14 du code du travail, lequel prévoit que « Lorsque l’application d’une convention ou d’un accord est mise en cause dans une entreprise déterminée en raison notamment d’une fusion, d’une cession, d’une scission ou d’un changement d’activité, cette convention ou cet accord continue de produire effet jusqu’à l’entrée en vigueur de la convention ou de l’accord qui lui est substitué […] ». L’application de cette procédure, prévue dans le cadre d’une entreprise, n’est pas prévue pour être réalisée au niveau

 

Clause potestative

Article 1170 du Code civil. La condition potestative est celle qui fait dépendre l’exécution de la convention d’un événement qu’il est au pouvoir de l’une ou de l’autre des parties contractantes de faire arriver ou d’empêcher. Article 1174 du Code civil : toute obligation est nulle lorsqu’elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s’oblige.

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1). Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, JORF du 7 août 2015. Parmi les co-signataires pour la promulgation de la loi : le ministre de l’Economie, de l’industrie et du numérique, Emmanuel Macron.

2). Rapport portant le nom de son rédacteur, devenu l’actuel Directeur Général du Travail.

3). Accord du 8 novembre 2018 relatif aux modalités de négociation, JORF du 29 novembre 2018, BOCC 2019-6.

4). Salariés des greffes des tribunaux de commerce, des études d’administrateurs et de mandataires judiciaires, et des avocats au conseil.

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