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Admission de la preuve déloyale par le juge : un coup de canif dans la confiance employeur/salarié
Peut-il être admis qu’une preuve obtenue de manière déloyale soit produite devant la justice civile ? Désormais, par un revirement de jurisprudence qui aligne le régime de la preuve au civil et au pénal, et se soumettant à la jurisprudence communautaire, la Cour de cassation la déclare recevable, sous réserve qu’elle soit indispensable et proportionnée (Cass. Ass. plén. 22-12-2023). Cela n’augure rien de positif pour la confiance nécessaire entre employeur et salarié.
Il était une fois
Un salarié qui s’était fait licencier pour faute grave : le motif était tiré du refus réitéré de se soumettre à l’obligation de remettre à son employeur les éléments de suivi de son activité commerciale, refus qu'il avait exprimé lors d'entretiens. La seule preuve permettant de démontrer cette faute était des transcriptions écrites d’enregistrements audio clandestins de ces entretiens, puisque réalisés à l’insu du salarié. La juridiction du fond avait écarté des débats, cette preuve déloyale, et conclu à l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, puisqu’aucune autre preuve n’avait pu être produite. En effet, la Cour de Cassation jugeait jusqu’alors qu’une preuve illicite ou recueillie de façon déloyale était irrecevable. Elle avait consacré ce principe, inflexible, de loyauté de la preuve (Cass. ass. plén., 7 janv. 2011, nº 09-14.316, nº 09-14.667). A savoir : la cour de cassation avait ensuite évolué et reconnu les preuves illicites en 2020, sous certaines conditions. La preuve illicite est celle qui est issue d'un dispositif illicite (par exemple d'un enregistrement de vidéosurveillance qui n'a pas été mis en place dans l'entreprise conformément à la loi en raison notamment du défaut de consultation préalable des instances représentatives du personnel). La preuve déloyale peut se définir comme celle qui a été recueillie à l'insu de la personne (exemple : enregistrement audio d'une personne réalisé sans l'en informer) ou obtenue par une manœuvre ou un stratagème (exemple : faux client pour tester l'attitude d'un salarié).
La recevabilité de la preuve déloyale n’est heureusement pas automatique : méthode
La preuve déloyale n’est recevable que si elle ne porte pas atteinte au caractère équitable de la procédure. La méthode est la suivante. Le juge doit s’assurer : - que la production de preuve déloyale est indispensable à l'exercice du droit à la preuve de celui qui la verse aux débats, - et que l'atteinte est strictement proportionnée au but poursuivi. « indispensable » ? : celui qui produit une preuve déloyale doit démontrer qu'il n'existe pas d'autre moyen de prouver les faits. Pour démontrer que l'atteinte est « proportionnée au but poursuivi », il est nécessaire de justifier que la pièce produite poursuit un but légitime, puis d'établir que cette atteinte à la vie privée n'excède pas ce qui est nécessaire pour permettre à la partie, en l'espèce l'employeur, de prouver la matérialité du fait qu'il allègue. « but légitime » ? : l'exercice de son pouvoir de direction qui implique notamment de pouvoir suivre l'activité de ses salariés sera-t-il apprécié comme un but légitime ? La protection des patients dans un établissement de soins ou le secret des affaires ont précédemment été reconnus comme tel. S'agissant maintenant de la « mesure de l'atteinte à la vie privée », le juge doit constater que les éléments de preuve n'excèdent pas ce qui est strictement nécessaire au succès de la prétention de la partie qui les produit. Ainsi, la cour d‘appel de renvoi de cette affaire aura à s’interroger sur le contenu des enregistrements : l’employeur produit il uniquement les extraits utiles au litige ou l’intégralité qui pourrait alors être appréciée comme excessive et portant atteinte à l’équité du procès ? Et finalement la cour d’appel devra opérer un contrôle de proportionnalité, c’est-à-dire mettre en balance les droits en cause : le droit à la preuve et les droits fondamentaux de la partie adverse. Comme l’exprime la cour de cassation : "[répondre] à la nécessité de ne pas priver un justiciable de la possibilité de faire la preuve de ses droits, lorsque la seule preuve disponible pour lui suppose, pour son obtention, une atteinte aux droits de la partie adverse". Ainsi, produire une preuve déloyale n’est pas une garantie qu’elle soit recevable : il reste toujours préférable de privilégier les preuves licites et loyales.
Un far west des relations de travail a craindre
Il est donc désormais possible d’enregistrer tout ce qui pourrait constituer une preuve en sa faveur, voire de fomenter un stratagème pour l’obtenir. Les salariés et les employeurs pourraient se mettre à enregistrer toutes paroles à l’insu de leur interlocuteur et se tendre des pièges, de façon intéressée et utile pour leur défense ! Il faut espérer qu’il sera encore possible de se parler dans l’entreprise sans se faire enregistrer. Et de ne pas vivre sa relation professionnelle en étant constamment sur ses gardes. La confiance indispensable dans toute relation humaine doit continuer à exister dans les relations de travail.
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Un bref rappel des règles qui gouvernent le droit à la preuve
Par deux arrêts d’Assemblée plénière du 22 décembre (Cass. Ass plén., 22-12-23, n°20-20648 et n°21-11330), la Cour de cassation admet désormais que dans un litige, une partie puisse utiliser, sous certaines conditions, une preuve obtenue de manière déloyale pour faire valoir ses droits.
Avant d’étudier plus en détail les arrêts en question, un bref rappel des règles qui gouvernent le droit à la preuve s’impose.
En matière civile, la preuve apportée par une partie au succès de sa prétention était, jusqu’à ces arrêts, soumise à l’exigence de loyauté.
En effet, par un arrêt d’Assemblée plénière du 7 janvier 2011 (Cass. Ass plén., 7-1-11, n°09-14667) la Haute juridiction ordonnait d’écarter des débats, des éléments de preuve obtenus de manière clandestine, à l’insu des intéressés, car obtenus de manière déloyale.
En droit du travail, cette exigence de loyauté commandait, par exemple, que l’enregistrement clandestin, d’une conversation téléphonique privée, sans que l’auteur des propos n’ait été informé de cet enregistrement, soit déclaré déloyal et par conséquent irrecevable (Cass. soc., 23-5-07, n°06-43209).
En revanche, l’utilisation de messages écrits laisse supposer que l’auteur des propos a connaissance que ceux-ci peuvent être enregistrés. La preuve n’est dès lors pas obtenue de manière déloyale, elle est recevable (même arrêt).
La loyauté était une garantie contre l’utilisation par une partie, de stratagème ou d’artifice dans la manifestation de la vérité.
La jurisprudence de la Cour de cassation s’accordait, toutefois, difficilement avec celle de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), beaucoup plus permissive. La CEDH estime depuis de nombreuses années qu’une preuve, fut-ce-t-elle illégale, ne doit pas être écartée de manière catégorique. Il convient, selon elle, de s’assurer que cette preuve ne soit pas la seule versée aux débats, et que d’autres éléments viennent corroborer cette preuve (CEDH, 12-7-88, Schenk c/Suisse, n°10862/84).
En 2019, la CEDH réitère sa position et affirme que des éléments de preuve, même illicites, peuvent être admis, dès lors que la procédure dans son ensemble, conserve un caractère équitable (CEDH, 17-10-19, Lopez Ribalda c/Espagne, n°1874/13 et 8567/13). La CEDH opère une balance des intérêts en présence, et invite les juridictions nationales à en faire de même.
La Cour avait déjà commencé à suivre la voie de la CEDH, en admettant que la production d’un élément de preuve illicite n’entraîne pas nécessairement son rejet (arrêt AFP, Cass. soc., 25-11-20, n°17-19523) dès lors que cette production est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi. Mais elle n’avait pas encore jugé de la sorte lorsque l’élément de preuve n’était non pas illicite, mais obtenu de manière déloyale.
Désormais, la Cour étend sa solution à cette dernière hypothèse.
Dans le premier arrêt (n°20-20648), les faits étaient les suivants : un salarié a saisi la justice afin de contester son licenciement pour faute grave. Pour apporter la preuve de cette faute, l’employeur a soumis au juge l’enregistrement sonore d’un entretien au cours duquel le salarié a tenu des propos ayant conduit à sa mise à pied. Cet enregistrement avait été réalisé à l’insu de l’employé. La cour d’appel a déclaré cette preuve irrecevable, car l’enregistrement avait été réalisé de façon clandestine.
Aucune autre preuve ne permettant de démontrer la faute commise par le salarié, la cour d’appel a jugé que ce licenciement était sans cause réelle et sérieuse. L’employeur a donc formé un pourvoi en cassation.
Dans la seconde affaire (n°21-11330), un salarié ayant pris des congés est remplacé par un intérimaire. Ce dernier a utilisé le poste informatique du salarié absent. Le compte Facebook du salarié absent était resté ouvert sur cet ordinateur, laissant l’intérimaire prendre connaissance d’une conversation par messagerie Facebook qui y avait été tenue à son sujet. Dans cette conversation, le salarié absent sous-entendait que la promotion dont avait bénéficié l’intérimaire était liée à son orientation sexuelle et à celle de son supérieur hiérarchique. L’intérimaire a transmis cette conversation à l’employeur.
Le salarié ayant tenu ces propos via Facebook a été licencié pour faute grave, puis il a contesté ce licenciement en justice. Selon lui, le juge ne pouvait tenir compte de ses conversations par messagerie Facebook car leur utilisation remettait en cause le principe de loyauté de la preuve et portait atteinte au respect de sa vie privée.
La cour d’appel a écarté des débats cette conversation par messagerie Facebook. Aucune autre preuve ne permettant de démontrer la faute commise par le salarié, la cour d’appel a jugé que ce licenciement était sans cause réelle et sérieuse. L’employeur a formé un pourvoi en cassation.
La question posée à la Cour de cassation dans les deux affaires était la suivante : une preuve obtenue de manière déloyale peut-elle, sous certaines conditions, être soumise au juge ?
La Cour a effectivement répondu à cette question par l’affirmative.
Elle affirme que désormais, des moyens de preuve déloyaux peuvent être présentés au juge, à qui il appartiendra de peser les intérêts en présence. Ces moyens ne pourront toutefois être admis qu’à la condition d’être indispensables à l’exercice du droit à la preuve et que l’atteinte aux droits de l’autre partie, soit strictement proportionnée au but poursuivi. Ce qui n’était pas le cas dans le deuxième arrêt pour lequel l’atteinte à la vie privée a en quelque sorte « protégé » le salarié.
Il conviendra d’être vigilant dans les futures affaires sur ce qu’entend la Haute juridiction par une atteinte strictement proportionnée.