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27 / 08 / 2013 | 40 vues
Pascal Pavageau / Membre
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Modernisation de l’action publique (MAP) : mille actions programmées sans concertation préalable

Le gouvernement a officialisé mi-juillet sa démarche de « réformes » pour la fonction publique selon un nouveau cadre : celui de la « modernisation de l’action publique », la MAP.

En janvier, dans l'article « MAP : de la RGPP à la RGPP++ », puis en avril dans « Échec et MAP », j'ai déjà eu l'occasion d'analyser et de détailler les annonces faites par le Premier Ministre lors des deux premières réunions du comité interministériel pour la modernisation de l’action publique (CIMAP).

Cela s’est traduit par 80 décisions [1].

À celles-ci s’ajoutent 40 nouvelles, annoncées le 17 juillet par le troisième CIMAP.

Aucune concertation préalable

La démarche est identique aux deux premières et à la RGPP : aucune concertation préalable (pas même avec les ministères !) et un débat parlementaire préalable totalement absent alors que de nombreuses mesures auront des conséquences législatives.

Sur les 561 mesures de la RGPP, environ 300 n’étaient pas terminées en mai 2012 (en cours ou pas engagées). Le Président de la République, le Premier Ministre et le gouvernement ont indiqué au cours de l’été 2012 qu’ils mettaient fin à la RGPP. Or, le premier CIMAP du 18 décembre 2012 a officialisé que les 300 mesures RGPP non abouties se poursuivent ou s’engagent pour aller à leur terme !

Des mesures RGPP voient leur aboutissement lors du CIMAP du 17 juillet 2013.

À cela s’ajoutent donc les 120 décisions MAP qui se traduisent en plus de 250 mesures concrètes.

D’autres CIMAP sont d’ores et déjà annoncés par le gouvernement (au moins un autre d’ici la fin de l’année 2013). Ainsi, la liste des mesures de la MAP va encore s’allonger.

Viennent ensuite se rajouter de nouvelles réformes structurelles (fusions, mutualisations, suppressions etc), instaurées par chaque ministre dans un « programme ministériel de modernisation et de simplification » (PMMS), couvrant la période 2013-2015 de sorte à rentrer dans le cadre de réduction budgétaire imposé par la loi de programmation des finances publiques [2].

L’examen des différents PMMS montre que la quantité des réformes structurelles est importante. Plus de 200 mesures ministérielles triennales seront prises d’ici fin 2013. L’annexe 2 présente une courte synthèse des PMMS. Par ailleurs, des évaluations ont été lancées sur différentes politiques publiques.

Celles déjà abouties servent de prétexte pour mettre en œuvre des mesures supplémentaires, notamment en termes de réformes structurelles (fusions, mutualisations ou suppressions).

Au final, les services publics (des trois versants [3] de la fonction publique mais principalement ceux de l’État et en particulier les services déconcentrés régionaux et départementaux ainsi que les opérateurs) vont être affectés par plus de 1 000 mesures concrètes, souvent génératrices de réductions de moyens, de postes, d’effectifs, de structures et de missions, du fait de la RGPP, de la MAP et des PMMS [4]. Le tout sur une période très courte, à savoir 2008-2015.

Comme la RGPP, de nombreuses mesures MAP vont affecter l’usager (directement ou indirectement) et parfois le salarié de façon spécifique.

Bien entendu, les fonctionnaires et les agents publics sont les premiers concernés par ces réformes structurelles, notamment avec des réductions de moyens de fonctionnement, des suppressions de postes et des mobilités géographiques et/ou fonctionnelles imposées.

Le poids des maux du choc de simplification

Beaucoup de « simplifications pour les entreprises » sont prévues [5] : procédures simplifiées, dématérialisations (justifiant ainsi au passage des suppressions de postes publics et de services publics territoriaux), suppressions de contrôles (y compris fiscaux), dérèglementations nouvelles et suppressions de normes.

D’une manière générale, la simplification peut être intéressante, voire nécessaire, mais elle suppose au préalable :

  • un débat sur les missions et les contrôles afin de garantir le service public républicain ;
  • une étude des effets des mesures envisagées, notamment vis-à-vis des salariés.

Dans les CIMAP, aucune concertation et la « simplification » est décidée dogmatiquement, comme justificatif aux économies budgétaires dictées par une politique d’austérité.

La décision n° 19 mérite que l'on s’y arrête. Elle orchestre ce qui pourrait vite devenir une grande cacophonie. « Désormais, le silence de l’administration vaut acceptation ». Cette mesure, déjà annoncée par le Président de la République début 2013, est inscrite dans le projet de loi habilitant le gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens, adoptée au Sénat le 16 juillet. Cette décision pose de nombreux problèmes juridiques et règlementaires. En outre, elle n'a de sens que si les pouvoirs publics donnent à l'administration (de l'État comme des collectivités territoriales) les moyens et les effectifs suffisants pour instruire les demandes et pouvoir répondre dans les deux mois, ce qui n'est pas le cas, a fortiori après la RGPP et la MAP.

Les risques sont donc :

  • soit que l'administration n'émette des refus de principe (sans avoir eu le temps, faute de moyens, d'instruire sur le fond : le refus de principe devient alors une sorte de protection) ;
  • soit que des autorisations tacites ne soient données par absence de réponse dans les deux mois alors qu'elles peuvent conduire à des mises en œuvre dangereuses (pour le demandeur, pour d'autres usagers, pour l'environnement etc.) ou en contradiction avec d'autres règlementations (urbanisme et environnement, par exemple).

Dans ce dernier cas, l'administration (préfet ou élu) n'ayant pas donné d'accord formel, la responsabilité de la mise en œuvre sera transférée au demandeur.

Derrière une mesure dite de « simplification », il y a un transfert de responsabilité de l'administration vers l'usager...

RÉATE 2

Parmi les nouvelles décisions du CIMAP du 17 juillet, la plus importante, à court et long termes, est certainement la n° 30. Associée à d’autres, elle organise, de façon insidieuse, la seconde phase de la réforme de l’administration territoriale de l’État (RÉATE 2).

Ses effets de réduction de l’intervention de l’État aux niveaux régional et départemental seront immenses.

La première RÉATE date de 2010 dans le cadre de la RGPP [6]. Elle a notamment conduit à supprimer les directions départementales ministérielles pour créer dans chaque département 2 ou 3 DDI (directions départementales interministérielles), à coups de fusions et de suppressions de services, d’effectifs et de missions. Ici, la RÉATE 2 s’effectue de façon masquée : les réformes structurelles sont relativement réduites, il s’agit essentiellement d’une mesure de gestion qui vise à confier au préfet de région la responsabilité fonctionnelle et hiérarchique d’organiser les directions et services de l’État comme il le souhaite.

L’interministérialité imposée en 2010 au niveau départemental est ici remontée au niveau régional. De fait, le lien entre les ministères et tous les services déconcentrés régionaux et départementaux est rompu.

Le préfet de région devient l’unique « chef de l’État dans sa région »

S’il conserve une obligation de résultats sur la mise en œuvre des politiques publiques et des programmes de chaque ministère, la RÉATE 2 lui permet de s’organiser et de prioriser comme il le veut. Pratiquement, il pourra réorganiser tous les services de « sa » région, imposer des mobilités aux agents d’une DDI ou d’une préfecture d’un des départements de « sa » région pour se rendre dans une direction régionale, confier une mission d’instruction d’urbanisme à un agent de l’inspection du travail (et réciproquement) etc.

C’est une attaque sans précédent contre le statut général et les statuts particuliers de corps. C’est une rupture historique : les ministères n’ont plus la main sur l’intervention de l’État au niveau local.

Comme avec les PMMS (programmes ministériels de modernisation et de simplification, évoqués plus haut), la RÉATE 2 de la MAP transfère la responsabilité des réorganisations de structures (fusions, mutualisations, suppressions, déménagements etc.) :

  • soit aux ministres via leurs PMMS ;
  • soit aux préfets de région via ces décisions de la RÉATE 2 : les services déconcentrés seront en réorganisation continue sans aucun cadrage national.
  • À chaque changement de préfet de région (soit en moyenne tous les deux ans), il y aura des changements d’organisation, une nouvelle répartition des missions, de nouvelles mutualisations, suppressions, déménagements…

Les préfets ont déjà reçu consignes de mutualisations au niveau interministériel (décisions 34 et 38 du CIMAP du 17 juillet).

Très concrètement, les DDI sont menacées de suppression (un tiers des effectifs supprimés, tiers régionalisés par « remontée » de missions dans les directions régionales, le tiers restant intégrant la préfecture de département, devenant « sous-préfecture de région ») ; une préfectorisation des directions départementales des finances publiques est envisagée ; des suppressions de trésoreries ; des sous-préfectures seront supprimées, jusqu’à 30 % (environ 50 à 80 sous-préfectures sont ainsi menacées) ; des nouvelles suppressions de gendarmeries et de commissariats sont prévues (déjà plus de 25 supprimés depuis 2008, auxquelles s’ajoutent 5 suppressions de commissariats officialisées le 11 avril) etc.

À cela s’ajoute le fait que les opérateurs des ministères (implantations territoriales des établissements publics) sont également victimes des réductions d’effectifs et de moyens.

Rappelons que, contrairement à l’engagement pris par le Premier Ministre le 13 mai (réaffirmé lors de la conférence sociale de juillet), cette RÉATE 2 est décidée sans aucune concertation préalable. Le gouvernement s’est réfugié derrière la mission « Weiss Rebière », instaurée par le CIMAP du 3 avril, pour prendre ces décisions 30, 31 et 32 qui forment la RÉATE 2 de façon unilatérale.

Depuis le 17 juillet, les réactions des responsables ministériels et des chefs de services déconcentrés (eux non plus jamais consultés) ont été très vives face à une telle orientation qui sonne de fait la fin de l’intervention territoriale, spécialisée et technique de l’État.

Il convient enfin de noter que donner l’intégralité de la responsabilité de l’organisation et de l’action de l’État sur une région à un seul fonctionnaire (préfet de région) conduit :

  • non seulement à des inégalités (organisation différente d’une région à l’autre pour une même mission publique, réorganisations permanentes) ;
  • à rendre l’action publique illisible et incohérente pour l’usager ;
  • mais pose également une réelle question de contrôle démocratique.


Sur la MAP, notre confédération condamne une méthode, des objectifs et des principes RGPP qui demeurent et sont renforcés. Nous revendiquons également que les décisions instaurant la RÉATE 2 soient immédiatement abandonnées. Pour le service public, cette « modernisation de l’action publique », c’est « échec et MAP ».


[1] Voir annexes aux circulaires n° 02-13 du 7 janvier et n° 69-13 du 15 avril 2013.
[2] Avant, le comité de la RGPP décidait seul de « quel bras couper » à un ministère ; désormais, le ministre a l’obligation de « s’amputer » lui-même selon un PMMS, mais tout en respectant les coupes imposées antérieurement par la RGPP, les 120 nouvelles décisions du CIMAP et les futures mesures des prochains.
[3] La MAP élargit le processus RGPP à toute la fonction publique.
[4] Comme l’indique Force Oucrière, MAP = RGPP++ (RGPP + MAP + PMMS).
[5] Voir notamment la décision n° 20 (annexe à la circulaire).
[6] Circulaire 220/2009 du 7 décembre 2009 « mise en place de la réorganisation territoriale de l’État ».

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