Organisations
Les 12 heures de travail mises en examen à l'hôpital
Le travail en amplitudes de 12 heures soulève un débat dans de nombreux établissements hospitaliers. En effet, compte tenu de la crise, du manque d’effectif et des contraintes excessives qui pèsent sur le personnel hospitalier, les directions trouvent là un moyen d’économiser des emplois et certains membres du personnel y trouvent leur compte pour, par exemple, fuir l’organisation actuelle du travail qui est devenue insupportable.
À la demande des organisations syndicales, le ministère de la Santé a convoqué un groupe de travail pour examiner cette question.
Dans un document présenté à la CHSCT nationale [1] le 24 septembre, le ministère a fait le point sur :
- l'état des lieux,
- la réglementation et la jurisprudence,
- la santé et la sécurité du personnel et des patients.
1- État des lieux
À partir des bilans sociaux des établissements hospitaliers, il ressort que 10,55 % seraient concernés par une organisation du travail en 12 heures.
Le bilan porte sur 239 établissements dans lesquels 42 000 agents sont en 12 heures.
Il est noté que si auparavant cette organisation était limitée aux services des urgences et de réanimation, les 12 heures s’étendent aujourd'hui dans quasiment tous les services.
Cette demande est d’abord exprimée par les directions qui voient là une attractivité économique et par certains membres du personnels qui trouvent là un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle (agents plutôt jeunes). Pourtant, des études soulignent qu’une trop grande amplitude horaire est un facteur de dégradation de la vie personnelle (43,8 % du personnel hospitalier travaillent en équipes tournantes et seulement 21 % dans la fonction publique et 16 % dans l’ensemble des salariés).
2- Réglementation et jurisprudence
Réglementation
Le ministère rappelle que l’amplitude quotidienne maximale du travail est de 9 heures de jour et 10 heures de nuit (article 7 du décret 2002-9 du 4 janvier 2009), que le dépassement de ces amplitudes quotidiennes est dérogatoire « lorsque les contraintes de continuité de service l’exigent en permanence ».
Le tout est de savoir ce que sont ces exigences permanentes.
La contrainte de continuité d’un service hospitalier est d’être ouvert 24h/24h et 365 jours par an. Dans ce cadre, la durée du travail est de 9 heures de jour et 10 heures de nuit. Mais pour assurer cette exigence en permanence, par exemple lorsqu’un agent est absent à la relève ou en cas de plan blanc ou lorsque le service se retrouve en sous-effectif chronique, il peut être dérogé à cette limite jusqu’à 12 heures. Voilà ce que peut être une dérogation.
Ce qu’en pensent les juges
Le ministère a recensé dans ce même document les principales jurisprudences qui disent le droit en fonction des circonstances.
Le juge estime que le contexte de sous-effectif chronique dans le service justifie la contrainte de continuité du service public mais il estime par ailleurs que les problèmes de recrutement non démontrés ne permettent pas d’autoriser les 12 heures.
Le juge rejette les arguments d’une direction qui motive les 12 heures en prétextant améliorer l’attractivité du service ou l’homogénéisation du temps de travail.
Les souhaits exprimés par le personnel ne constituent pas non plus un motif qui justifie la mise en œuvre des 12 heures.
Enfin, les juges ont déclaré illégale l’organisation du travail en amplitudes de 12 heures si elle ne permet pas d’assurer un temps de repos continu de 12 heures minimum entre deux journées de travail ; si elle ne permet pas de donner au moins un dimanche de repos tous les 15 jours ; si cette organisation conduit à travailler plus de 48 heures sur 7 jours.
Le travail en 12 heures implique forcément un maximum de 3 jours travaillés par période de 7 jours.
3 - Les risques professionnels
C’est une obligation pour le directeur chef d’établissement. Il doit obligatoirement consulter le CHSCT avant toute décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail (article L.4612-8 du Code du travail).
Une organisation du travail en 12 heures ne peut en aucun cas conduire au non-respect de la réglementation relative au repos, rappelle le ministère.
Effets potentiels sur la santé et la sécurité du personnel et des patients :
baisse de vigilance (après 9 heures de travail, augmentation du risque d’erreurs…) ;
accidents du travail (accident d’exposition au sang, accident de trajet…) ;
troubles divers, prise de poids, troubles du sommeil, conduites addictives, risques cardiovasculaires, cancer ;
irritabilité (après 2 jours de travail en 12 heures..) ;
exclusion (travailleurs vieillissants, pathologies diverses…).
De nombreuses études ont été menées et donnent les résultats suivants :
effet sur le sommeil : 8 études trouvent une amélioration, 6 disent que c’est neutre et 13 démontrent une dégradation des conditions de sommeil ;
effet sur la vigilance : aucune étude ne trouve d’amélioration, 1 dit que c’est neutre et 3 notent une dégradation de la vigilance ;
effet sur la fatigue : 1 étude trouve une amélioration, 3 études démontrent la neutralité et 4 études constatent une dégradation de l’état de fatigue ;
effets somatiques : aucune étude ne trouve d’amélioration, 2 études constatent la neutralité et 9 études disent qu’i y a dégradation des effets somatiques ;
sur les arrêts pour raison de santé : aucune note ne trouve une amélioration, 4 études disent que c’est sans effet et une démontre la dégradation pour les plus de 50 ans.
Ainsi, sur 55 études, 9 notent une amélioration, 16 sont neutres et 30 soulignent une dégradation du fait du travail en 12 heures.
Dans la synthèse que formule le ministère on peut relever les phrases suivantes :
« L’organisation du travail en 12 heures a des effets démontrés sur la santé et la sécurité du personnel et des patients. Ces effets sont variables d’une personne à l'autre.
Parmi ces effets, certains peuvent porter atteinte à la santé et à la sécurité du personnel et l'handicaper. Lorsque les troubles sont installés et sans changement d’environnement de travail, leur évolution négative semble inéluctable, au moins sur le long terme.
Des préconisations sont d’ailleurs édictées par différents organismes pour tenir compte et prévenir les effets potentiellement délétères d’une organisation en 12 heures qui est mise en place (SFMT -Société Française de Médecine du Travail, et INRS ; Institut National de Recherche et de Sécurité) ».
Les conclusions de FO
Cette forme dérogatoire d’organisation du travail en 12 heures touche plus de 10 % du personnel de la fonction publique hospitalière. Souvent mise en place sans concertation et sans prendre en compte les risques professionnels, la grande majorité des études conclue à la dégradation de l’état de santé des agents à plus ou moins long terme et des risques pour les patients.
L’extension de cette dérogation dans les établissements hospitaliers résulte essentiellement du manque chronique de personnel hospitalier dans tous les secteurs d’activités et de la volonté des pouvoirs publics d’économiser des emplois.
C'est pourquoi FO revendique la fin des suppressions de postes, la création des effectifs nécessaires, l'arrêt du pacte de responsabilité et des économies qui détruisent les emplois, le service public et les garanties statutaires.
Prochaine réunion le 3 novembre au ministère.
[1] Commission hygiène, sécurité et conditions de travail du Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière composée des représentants du ministère, des directeurs (FHF) et des syndicats représentatifs (dont FO).