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11 / 02 / 2015 | 119 vues
Audrey Minart / Membre
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Le travail militant au sein du planning familial

La doctorante Alice Romerio, a reçu une allocation du DIM Gestes en 2013, pour un projet de recherche en science politique sur l’émergence d’une figure de « militante professionnelle féministe ». Son terrain : le Planning Familial.

Si sa première discipline de « rattachement » était la philosophie, Alice Romerio (26 ans) a fini par se « reconvertir » en sciences politiques. Ce qui, dans ce laps de temps, n’a pas changé, c’est bien son intérêt pour la problématique du genre. « Lors de mon master en philosophie (mention philosophie et société), je m’intéressais à la gestion sociale de la reproduction… Des sujets qui n’étaient pas des classiques en philosophie ».

Après ces cinq années, elle a décidé de compléter son parcours en intégrant (en première année pour être sûre d’être au point théoriquement) un master en sciences politiques. Elle pensait alors continuer à travailler sur les mêmes sujets et plus particulièrement sur les grossesses perçues comme déviantes, dont elle souhaitait faire une généalogie. Un autre sujet a finalement davantage attiré son attention. « Une amie médecin m’a parlé d’une structure de la Protection Judiciaire de la Jeunesse à Saint-Denis, un dispositif créé par une initiative féministe dans les années 1980, qui accueillait des jeunes filles victimes ou auteurs de violences. Plusieurs associations s’y relayaient, dont le Planning Familial. Mais il devait fermer. J’ai donc écrit un article dessus, avec Arthur Vuattoux, pour la revue en ligne Mouvements ». Après discussions avec ses professeurs de Sciences Politiques, l’étudiante d’alors décide de travailler, dans le cadre de son mémoire en master 1, sur la rencontre entre militantisme et travail.

L’été suivant, elle a réalisé un stage à l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), qui luttait notamment contre le harcèlement sexuel au travail. Expérience qui l’a amenée à choisir, pour son mémoire de master 2, de travailler sur le parcours d’une dizaine de salariées du Planning Familial en Île-de-France, en prenant en compte notamment leurs formations et les représentations qu’elles avaient de leur travail et du militantisme. Recherches qu’elle a finalement poursuivies dans le cadre de sa thèse, après avoir pris une année pour construire son projet, rechercher des financements et après avoir donné des cours en sociologie des comportements politiques (Paris VIII) et en méthodologie de la recherche en sciences sociales (Paris XIII).

Histoire du Planning Familial

À l’heure actuelle, la doctorante travaille sur la socio-histoire de la professionnalisation dans l’association, en épluchant ses archives. « L’association a été créée en 1956. Elle était au départ très contestataire. En effet, elle luttait pour l’abrogation de la loi anti-contraception de 1920. En 1973, plusieurs de ses membres se sont également positionnés contre l’avortement… Ce qui a d’ailleurs provoqué une crise en son sein car l’association s’était masculinisée : un grand nombre de ses membres étaient des médecins et notables ». Lors de la création du ministère du Droit des femmes en 1981, le Planning en devient l’un des interlocuteurs, voire un partenaire, et participe à la mise en œuvre des politiques publiques sur la contraception, l’IVG, ou encore la santé sexuelle. « Il y a donc également, dans ce sujet, un aspect très « politiques publiques », avec les financements sur projet, les relations avec les collectivités territoriales. Ma question est : quels en ont été les effets sur le travail et le salariat ? Il y a toujours eu des questionnements autour du salariat. J’essaie donc de contextualiser : quels sont les enjeux à l’intérieur du mouvement ? De sexe, de classes ? Quelles relations avec l’État ? Quelle inscription dans le champ militant et quelles sont ses relations avec les autres associations ? »

Aujourd’hui, le Planning Familial se découpe en une confédération nationale, des fédérations régionales et associations départementales. Il compte environ 460 salariés et 900 bénévoles. « Mais à l’échelle locale, les associations peuvent être très différentes. Parfois on n’y compte que des salariés, parfois quasi-uniquement des bénévoles. Certaines refusent les bénévoles, d’autres les salariés. Quelle place pour chacune ? Quelle attention pour les conditions de travail des femmes dans des organisations féministes ? »

Quelles frontières entre « travail » et « militantisme » dans les organisations féministes ?

Si s’interroger sur le travail dans les associations n’est pas un questionnement récent, la particularité d’Alice Romerio est de se retrouver, dans cette thèse, au carrefour entre plusieurs sociologies : du travail, du militantisme et du genre. « Comment sont reconnues leurs compétences dans l’association et en dehors ? Au final : qu’est-ce qu’être militant ? Qu’est-ce qui délimite militantisme et travail, lorsque l’on constate que, parfois, salariés et militants ont la même activité ? Et quel engagement au travail ? ». Elle devrait notamment prendre en compte la question de la souffrance au travail et la différence entre travail prescrit, et travail réel. « Parfois, certaines salariées sont en CDD et n’ont qu’un contrat de 15 heures. Mais avec toutes les réunions et activités pouvant dépasser ce temps de travail, elles n’ont parfois pas le temps de trouver un autre mi-temps ailleurs. Ce qui aboutit parfois à des situations assez complexes ».

En plus de travailler à une socio-histoire de la professionnalisation, Alice Romerio a également commencé sa première phase d’enquête ethnographique dans une grande ville de province. « Je voulais commencer par une grande association, qui apparaît comme très professionnalisée et hiérarchisée, avec très peu de bénévoles. J’ai été assez surprise des résultats : l’existence d’une forte division du travail et d’une direction n’implique pas qu’il y ait moins de militantisme ou d’attention au bien-être de chacune. On porte même une attention toute particulière aux conditions de travail puisqu’elles sont toutes en CDI, à une exception près ».

L’association, comme de nombreuses autres, traverse cependant une phase délicate puisque les financements sont en diminution et la question des licenciements et même celle de la fermeture de la structure se posent. Le travail d’enquête devrait se poursuivre sur au moins deux autres terrains : une association située en banlieue parisienne (où travaillent autant bénévoles que salariés) et dans une association rurale.

Quelle professionnalisation du champ associatif ?

L’histoire du Planning a aussi vu la construction d’un nouveau groupe professionnel : le conseil conjugal et familial. « Le mouvement a commencé dans les années 1970. Le Planning a participé, avec d’autres associations, à l’agrément d’une formation dans ce domaine.  Les questions du salariat, de la formation et de la posture d’expert ont toujours été débattues au Planning, différentes positions se sont opposées. Aujourd’hui se pose la question de la reconnaissance des compétences des femmes y ayant travaillé.

La réduction des subventions ne participent-elle pas à la remise en question de la professionnalisation des salariées du Planning ? « C’est plus compliqué que cela… Je pense qu’il y a en réalité une double injonction de la part des finançeurs : ils attendent de plus en plus des professionnels sachant faire des bilans, des demandes de subventions… Pour résumer : ils donnent moins et attendent de plus en plus que ceux à qui ils donnent soient des professionnels ».

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