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La médiation extrajudiciaire, modèle idéal de la justice bourgeoise ?
L’institution prud’homale est et reste en danger. Ses spécificités (proximité, gratuité, oralité, conciliation préalable obligatoire) gênent. Constamment, ses pourfendeurs cherchent de nouveaux moyens pour l’atteindre.
Leur solution miracle, c’est la médiation extrajudiciaire et les modes alternatifs des conflits. « Regardez comme cela est efficace : ce mode alternatif, consensuel, ne donne évidemment lieu qu’à des accords gagnant-gagnant, au contraire de la justice arbitraire que sont les prud’hommes », nous disent-ils. Point d’orgue de la démonstration de l’efficacité de ce mode « amiable » de résolution des litiges : les légères indemnités (285 millions d’euro seulement) perçues par Bernard Tapie, dans l’affaire du Crédit Lyonnais, sous l’arbitrage évidemment impartial de trois professionnels. Et qui paie la facture : l’État français, bien sûr. Autant d’argent qui ne sera pas investi dans l’amélioration du service public de la justice. Qui s’étonnera ensuite que la Cour des Comptes ait estimé ladite procédure d’arbitrage non conforme au droit ?
Pourtant, de telles situations n’ont pas freiné les ardeurs des partisans de l’ultralibéralisme. Est-ce là la seule façon qu’ils ont trouvée pour désengorger les tribunaux ? N’y a-t-il personne d’autre que Force Ouvrière pour constater que les dysfonctionnements de la justice ne sont que la triste et inéluctable conséquence de la révision générale des politiques publiques (RGPP) ? Selon le rapport de la Commission européenne pour l’efficacité de la Justice (rattachée au Conseil de l’Europe), la justice française est aujourd’hui classée au 37ème rang (sur 43) des pays du Conseil de l’Europe pour le budget public annuel total alloué au système judiciaire rapporté au produit intérieur brut (PIB) par habitant ! Elle se situe derrière des États tels que l’Azerbaïdjan, l’Albanie ou l’Arménie.
- Instaurer la médiation extra-judiciaire, c’est mettre en place une justice privée, payante. Le Conseil supérieur de la prud’homie (au sein duquel l’activisme de FO n’est plus à démontrer) va prochainement se pencher sur un projet de transposition de la directive d’avril 2008 portant « sur certains aspects de la médiation civile et commerciale ». M. Barroso, présentant la directive, a exposé que « la médiation peut permettre une résolution rapide et peu onéreuse des litiges ». Dans « peu onéreuse », il y a onéreuse (on parle d’au moins 600 euros uniquement pour introduire le dossier). On est déjà loin de la gratuité, donc de l’accessibilité de la justice à tous. Et dans la rapidité prônée, on peut aussi craindre un risque d’une justice privée expéditive.
Il ne faut pas se fier aux prédictions de Cassandre : la médiation ne donnera pas plus de moyens aux juges, elle ne rétablira pas les salariés dans leurs droits et leur dignité. Elle ne remplacera jamais la juridiction prud’homale, par la voie de laquelle la partie faible au contrat peut retrouver sa dignité par un procès juste et équitable.
Aujourd’hui, en France, il n’y a pas assez de juges, de personnels, de tribunaux et de moyens techniques affectés à la justice. Proposer la médiation comme un palliatif aux difficultés de la justice est à la fois un mensonge et une atteinte irréparable à notre socle républicain et au principe constitutionnel d’égalité de tous devant la loi. Sortir de la logique destructrice de la RGPP est le seul moyen pour garantir un accès à la justice, partout et par tous. Vite, il y a urgence !