Organisations
Ouvrir la boîte noire de la qualité humaine pour l’améliorer
Quand les dimensions humaines d’une organisation restent dans une boîte noire, il n’y a aucun espoir d’améliorer la qualité de vie au travail. Retour sur l’atelier organisé par Miroir Social et parrainé par Better Human avec les témoignages de la DRH et de la CFE-CGC du laboratoire Innothera qui s’est engagé dans la démarche Haute Qualité humaine (HQH).
« On est capable de parler de haute qualité environnementale dans des bâtiments où le niveau de la qualité humaine est déplorable. Ce décalage est un non sens. L’indice de la qualité humaine (IQH) cherche à mettre de la mesure sur la qualité de la gestion humaine et produire un bilan humain comme l’on a un bilan financier de l’entreprise », explique Florence Bénichoux, médecin de formation et fondatrice du cabinet Better Human qui porte la démarche de la Haute qualité humaine (HQH) consistant à croiser le recueil de la perception des salariés avec les données objectives de l’entreprise (L’Indice de la Qualité Humaine (IQH). L’outil propose dès lors un pilotage en deux dimensions de la qualité de vie au travail.
Les réponses des salariés (« le ressenti ») sont converties en notes colorées sur une pyramide découpée en cinq niveaux de qualité humaine : les 5 S : le « Sur », le « Sain », le « Simple », le « Serein » et le « Sens ». De l’autre côté, l’agrégation des données chiffrées objectives, elles aussi converties en notes, alimentent la même pyramide. Sur le plancher du « sur », on retrouve ainsi des questions sur l’accidentologie, l’environnement macro-économique, la formation et la politique salariale auxquelles des données sur les taux de fréquence et de gravité des accidents du travail, le renouvellement, le taux de CDI, les licenciements pour inaptitudes etc. se trouvent associées… Au dernier étage de cette pyramide des 5S, place aux questions sur la diversité, la justice sociale ou encore la gouvernance. «Au delà de sa valeur absolue, l’IQH est d’abord un levier de comparaison entre les différents établissements d’une même entreprise. C’est aussi son évolution qu’il est important de suivre sur la durée », souligne Florence Bénichoux. Point important, c’est la direction qui intègre elle-même ses données en ligne dans le système expert.
Rigueur méthodologique
Comment se calcule alors une note colorée ? Au premier étage du « sur » par exemple, le turnover pèse pour 20 % de la note. Cet indicateur s’articule sur quatre axes : le turnover complet, le turnover complet des CDI, le turnover des sorties et le turnover des sorties en CDI… Autre exemple, au troisième étage du « simple », l’indicateur du temps de travail se compose de l’agrégation de deux données : le taux d’heures supplémentaires et le pourcentage de salariés en temps partiel choisi. Les notations s’établissent en fonction de référentiels sectoriels (sur l’accidentologie notamment) ou propres au cabinet.
« Nous nous assurons de la cohérence globale des pondérations et des indicateurs que nous intégrons dans l’algorithme du système. Pour garantir la conformité et l’opposabilité des données, nous demandons aux directions d’intégrer les documents sources en téléchargement. C’est essentiel pour éviter les potentiels biais d’interprétation », explique Philippe Emsalem, ingénieur et économiste, responsable du cabinet Avyso, partenaire historique de Better Human. C’est notamment Avyso qui, en 2012, a mené la première étude de terrain du retour sur investissement des actions de prévention pour le compte de l’organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBPT) sur la base des actions engagées par 27 entreprises. Cette étude révélait que, pour 100 euros engagés dans une action de prévention, les gains économiques étaient de 219 euros, soit un rendement de 2,19.
Le vert alerte chez Innothera
Le laboratoire pharmaceutique Innothera, spécialiste des pathologies quotidiennes, vient de se livrer à l’exercice de l’HQH auprès des 800 salariés en poste en France (700 à l’international) sur les 2 sites français de production (médicaments - textile médical et dispositifs médicaux) et le Siège. Le taux de participation de 89 % est en lui-même très significatif du besoin éprouvé par les salariés de livrer leur sentiment sur leur façon d’être dans cette entreprise familiale, dont la troisième génération de dirigeants entend continuer de produire en France en dépit d’une concurrence de plus en plus agressive.
La pyramide des 5S est verte et plutôt claire, mais, pour autant, les notes sont parfois à la limite. Pas surprenant pour la DRH comme pour les syndicats, car si l’entreprise se porte économiquement bien, des défis majeurs en termes d’innovation et d’évolutions techniques se préparent, toujours perçus avec appréhension par les collaborateurs quant à l’impact sur leur emploi. Les salariés sont bien conscients des changements à venir dans leurs métiers. Au site vosgien de Nomexy où l’usine est passée de 45 à 360 salariés en 20 ans, le taux d’absentéisme affiche 9,8 % et le turnover augmente. Ces indicateurs ne trompent pas, sans pour autant apporter une vision globale, synonyme de prise de conscience collective.
Tous les syndicats (FO, CFDT et CFE-CGC) se trouvent intégrés dans le comité de pilotage de la démarche HQH. « Les résultats sont l’occasion d’objectiver le ressenti des salariés à l’égard notamment de ligne managériale que nous percevions depuis deux ans déjà et surtout d’engager des actions concrètes. La principale attente des salariés est de ne pas en rester à un constat », explique Laurent Vernier, délégué syndical central CFE-CGC (58 % des voix) du groupe.
Comprendre pour agir
Pour la direction d’Innothera qui croit fermement au management par la valeur, l’IQH procède d’une volonté de comprendre le risque d’une perte d’adhésion pour mieux inverser la tendance. Les résultats vont donc être discutés dans toute l’entreprise en présence des managers et des salariés.
Très concrètement, les encadrants vont désormais proposer des entretiens de reprise aux salariés régulièrement absents afin de désamorcer les tensions potentielles. Pour faire vivre les valeurs, chaque manager va se voir remettre un jeu de cartes très original représentant tous les comportements qui y sont associés. Le dessinateur Gabs a illustré chacune des cartes. Au début de chaque réunion d’équipe, une carte sera tirée au sort et l’on prendra cinq minutes pour discuter de la réalité de son application. Socrates est le nom de cette démarche 100 % maison portée par la DRH. « Les managers vont devoir prendre leurs responsabilités et nous allons les y aider en les formant », explique Xavier Tedeschi, DRH du groupe. Mais le management par la valeur n’est plus une condition suffisante. Les données du système d’information du groupe et de la BDES vont en effet prochainement alimenter l’IQH. « Cela va nous permettre de développer un suivi du capital humain avec toute la pédagogie que cela sous-entend à l’égard des salariés. La transformation du groupe va être menée volontairement. Toutes les décisions qui vont être prises mettront les conséquences sur les emplois dans la balance et nous proposerons des changements de métier à tous les gens concernés », affirme Xavier Tedeschi.
Passage historique incontournable, le séminaire d’intégration de deux jours auquel toutes les nouvelles recrues du groupe participent va s’enrichir des premiers enseignements de l’IQH car l’objectif de cette immersion vise un langage commun sur des valeurs pour questionner le sens de l’engagement collectif dans l’entreprise.